L’arrivée de M. Farandou à la tête de la SNCF, en 2019, a quelque peu détonné : un cadre issu de la promotion interne, au profil d’ingénieur, d’origine provinciale, relativement modeste (il a grandi dans un faubourg populaire de Bordeaux), une pointe d’accent du Sud-ouest : un « cheminot première langue », selon l’élément de langage utilisé. Et force est d’admettre qu’à titre personnel, j’ai plutôt de la sympathie pour l’homme et je pense qu’il croit plus sincèrement à la cause du transport public que son sémillant prédécesseur, pur produit de l’entre-soi des Grandes Ecoles et de la bourgeoisie parisienne, avec lequel il forme un contraste saisissant.
Mais au-delà de l’homme, quelle politique ? M. Farandou est arrivé dans un contexte très défavorable au transport ferroviaire, sous-financé et méprisé de la tutelle. La politique de la SNCF a contribué au chemin de croix du transport ferroviaire par les trois tendances suivantes : la yaourtisation, c’est-à-dire la dilution de la prestation ferroviaire dans une série de marques et d’innovations marketing plus ou moins heureuses ; l’avionnisation, ou la mise en place d’une série de contraintes d’utilisation qui constituent autant de barrières à l’usage ; le rabougrissement, ou la baisse de l’offre : derrière l’affichage d’un dynamisme commercial apparent, la SNCF se réfugie dans quelques place-fortes commerciales où sa position semble inexpugnable – pour l’essentiel, l’avion sur rail avec Paris comme point de départ ou d’arrivée, dans un contexte où l’arrivée de la concurrence risque d’aggraver la polarisation sur les parcours les plus rentables.
Depuis son arrivée, le nouveau PDG a instauré un discours en défense du transport ferroviaire. Dans un document intitulé « Faire Fois deux », il rappelle que le train « est indispensable pour décarboner, pour désaturer les villes et les autoroutes et pour consommer moins d’une énergie électrique verte devenue plus chère », avec des idées que j’ai défendues dans mon livre, comme la mise en place de RER dans les métropoles régionales ou la réfection des petites lignes. On notera aussi les sorties d’Alain Krakovitch contre les voyages en avion des joueurs du PSG et contre le système des voitures de fonction. Les grincheux diront que c’est de la communication, ce qui est vrai, mais sur le principe, ces sorties ont au moins le mérite de dénoncer certaines des aberrations du mode de vie d’aujourd’hui – et c'est toujours mieux que Pepy qui présentait le train de nuit comme une vieillerie bonne pour les appelés du contingent, comme on le ferait d'une vieille chaussette trouée.
Quant aux réalisations… malheureusement, l’inertie semble dominer. Pour la yaourtisation, aucune remise en question de la scission de l’offre entre les deux marques Inoui et Ouigo, malgré les effets de coupure qu’elle produit ; Ouigo s’exporte même en Espagne, entre Madrid et Barcelone (un succès certes, mais en reliant les deux plus grandes villes d’un pays, la SNCF n’a pas choisi le marché le plus difficile…), et s’étend aux trains classiques (Ouigo Train classique)…
Pour l’avionnisation, aucune mesure commerciale notable d’assouplissement de l’usage du train : Rachel Picard est partie, sa politique est restée. A la fin du mois d’août encore, j’étais à Toulouse Matabiau et le haut-parleur annonce la fermeture des portails d’accès au TGV : sommes-nous encore dans une gare ?
Pire, avec la mise en place, en juillet dernier, de la réservation obligatoire sur des trains entre Paris et la Normandie, l’avionnisation du train gagne désormais les TER de longue distance. Confrontée à l’affluence d’heure de pointe, dont la gestion fait pourtant partie de son métier, et incapable d’accroître la quantité de trains, la SNCF instaure ce principe, si commode pour asservir le voyageur à des conditions d’emprunt de plus en plus léonines, qui permet de rationner l’offre et donc, en fait, de perpétuer le malthusianisme ferroviaire français. Au passage, la SNCF prend l’habitude de transformer une difficulté d’exploitation en contrainte pour le voyageur…
J’en viens à l’aspect du rabougrissement, c’est-à-dire la baisse de l’offre. Cela peut paraître invraisemblable, mais les chiffres de l’ART sont accablants : entre 2015 et 2019, malgré la mise en service de 700 km de LGV, l’offre en trains-kilomètres a baissé. La question qui fâche : à quoi bon étendre le réseau à grande vitesse, ou réclamer toujours plus de lignes nouvelles, comme les accès ferroviaires au Lyon - Turin, si c’est pour exploiter de moins en moins de trains ?
Dans son article Faire deux fois, M. Farandou prend la Suisse et de l’Autriche en exemple pour la part très élevé du train dans les déplacements. Mais le succès de ces deux pays tient au fait qu’ils pratiquent un train fréquent, souple d’utilisation et confortable, l’inverse précisément de ce que fait la SNCF : pour parvenir à l’objectif de doublement du trafic, il faudra déyaourtiser, désavionniser, accroître l’offre ferroviaire, à rebours de la tendance observée depuis 25 ans : M. Farandou, oserez-vous ?
Bien cordialement,
Vincent Doumayrou,
auteur de La Fracture ferroviaire, pourquoi le TGV ne sauvera pas le chemin de fer,
Préface de Georges Ribeill. Les Editions de l'Atelier, Ivry-sur-Seine, 2007.
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