Au mois de janvier, la Commission européenne a publié un sondage qui mesure le degré d’adhésion des populations des pays membres de l’Union européenne (UE) à sa politique d'aide militaire à l'Ukraine. Il en ressort que 74 % des habitants de l’ensemble de l’UE la soutiennent, avec cependant des extrêmes très marqués : le soutien s’étend en effet de 97 % en Suède à seulement 48 % en Bulgarie. Ces chiffres confirmeraient donc, si besoin en était, qu'il n'y a pas une opinion publique européenne mais autant d'opinions publiques que de pays.

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Mais quel est le facteur qui a le plus d’influence sur l’ampleur du soutien ?
On pourrait facilement croire que les peuples d’Europe centrale et orientale, parce qu’ils ont davantage subi l'impérialisme russe (soviétique, en fait), seraient plus hostiles à la Russie et prendraient fait et cause pour l'Ukraine. Que nenni : les Pays baltes et la Pologne se trouvent bien dans ce cas de figure, en revanche, le soutien à l’Ukraine apparaît inférieur à la moyenne en République tchèque, et extrêmement bas dans d’autres pays d’Europe centrale et orientale, y compris la Hongrie et la Slovaquie, qui ont pourtant subi l’intervention militaire directe des chars soviétiques, en 1956 et 1968 respectivement.
La distinction entre le Sud dispendieux et le Nord rigoureux de l'Europe apparaît avoir beaucoup plus d’importance. Les pays qui soutiennent le plus l'Ukraine sont majoritairement au Nord, toutefois, l'Allemagne et l'Autriche, pourtant au centre de l’Europe austéritaire, la soutiennent assez peu, alors qu’au contraire l’Espagne et surtout le Portugal sont très en pointe dans le soutien. Ce critère n'apparaît pas comme décisif.
En fait, l’un des facteurs le plus fort me semble être celui de la maîtrise de l’anglais : plus la population d’un pays maîtrise bien l’anglais, plus elle tend à soutenir l’effort de guerre proukrainien.
Tout d’abord, le soutien est extrêmement élevé dans les deux pays où l’anglais a un statut officiel de droit ou de fait, à savoir l’Irlande et Malte. Le sondage ne reprend pas le Royaume-Uni, car il n’appartient plus à l’Union européenne, mais selon un article paru par ailleurs dans le journal Le Monde, le soutien à Kiev y est très fort aussi (* : voir le lien en annexe).
Dans les pays où l’anglais n’est pas la langue vernaculaire de la population, il faut comparer les résultats du sondage avec l'index de compétence en anglais de l'institut Education First, repris en annexe (*).
Sur 35 pays classés, sept des pays où la maîtrise de l’anglais est « very high », notamment les Pays-Bas et les pays scandinaves, figurent au rang des dix premiers soutiens de la politique de l’UE, qui comptent aussi l’Irlande et Malte, non repris dans le classement d’Education First parce l’anglais y est langue officielle. Autrement dit, neuf des dix pays les plus proukrainiens sont soit des pays anglophones, soit des pays qui un niveau en anglais « très élevé ».
Parmi les pays de langue romane, la population du Portugal, pays de langue romane où l’on parle le mieux anglais, est celle qui soutient le plus la politique pro-ukrainienne, devant l'Espagne, la France, l'Italie et enfin la Roumanie, dans l’ordre de soutien décroissant.
Le même phénomène affecte les pays de langue slave. Les deux peuples qui maîtrisent le mieux l’anglais sont aussi les deux qui soutiennent le plus la politique de soutien à l’Ukraine : il s’agit de la Croatie et de la Pologne, dans un ordre inversé il est vrai, devant, là encore dans un ordre décroissant, la Slovénie, la République tchèque, la Slovaquie et la Bulgarie ; ces derniers ont un niveau d’anglais considéré comme « moyen » (curieusement, l’index d’Education First omet la Slovénie).
Toutefois, l’Allemagne et surtout l’Autriche parlent bien anglais et soutiennent peu l’effort de guerre. Dans le cas de l’Autriche, c’est lié au statut de neutralité du pays, qui fait consensus au sein de la population ; dans celui de l’Allemagne, à d’évidentes raisons historiques. De la même façon, en Grèce, le niveau d'anglais est moyen mais le soutien à l'Ukraine est minimal : c'est dû sans doute à la tradition historique communiste et à la tradition orthodoxe, facteur confessionnel de fraternité avec la Russie.
Au fait, quid de la France ? On la considère souvent, pour des raisons historiques liées à la force qu'y ont eue le Parti communiste et la tradition gaulliste, et, précisément, par le piètre niveau d’anglais de sa population, comme un pays rétif à l'atlantisme ; en l’espèce, elle devrait donc moins adhérer aux livraisons d’armes à l’Ukraine que les autres pays d’Europe. Pourtant, avec un taux de soutien de 78 %, elle figure légèrement au-dessus de la moyenne comme de la médiane des pays de l’UE ; parmi les pays limitrophes, l'Espagne et le Luxembourg soutiennent davantage l'Ukraine, mais l'Allemagne, l'Italie et la Belgique le font moins. Le pays se trouve donc dans une sorte de ventre mou qui reflète une sorte de « normalisation » de l'opinion française, notamment par rapport à l'atlantisme.
Le lien entre l’anglophonie et l’adhésion géopolitique n’est donc pas mécanique et doit être pondéré par d’autres facteurs. Il apparaît pourtant que, si tous les pays (très) bons en anglais ne soutiennent pas le soutien européen à l’Ukraine, en revanche les pays qui soutiennent le plus l’Ukraine sont tous (très) bons en anglais. La politique de l’UE étant de facto suiviste de celle des États-Unis, il est loisible de penser que la bonne maîtrise de l’anglais rend un peuple plus perméable à l’influence géopolitique de la politique étrangère américaine.
Bien cordialement,
Vincent Doumayrou,
auteur de La Fracture ferroviaire, pourquoi le TGV ne sauvera pas le chemin de fer,
Préface de Georges Ribeill. Les Editions de l'Atelier, Ivry-sur-Seine, 2007.
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Le lien vers le classement d’Education First :
https://www.ef.com/wwen/epi/
Et vers l’article du journal Le Monde en date du 22 février 2023 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/22/apres-un-an-de-guerre-les-contestations-des-populations-occidentales-au-soutien-a-l-ukraine-sont-minoritaires-mais-en-hausse_6162872_3210.html
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