Dysinformation ?
Face aux carnages à Gaza, face aux centaines de milliers de morts de la guerre en Ukraine, face à la montée d’une exécration d’Israel dans le monde entier, face au réarmement relancé partout sur la planète et aux populations qui attendent les JO de Paris comme un logiciel de détente souriante, les mots sont d’une faiblesse rare. Rarement sans doute, la société du spectacle n’aura à ce point jeté un doute sur tout ou presque. Qui croire ? Entendre le Président Macron évoquer l’hypothèse d’envoyer des troupes en Ukraine et en retour la menace poutinienne d’une destruction de la civilisation peut provoquer un effet de sidération avec un avantage certain du côté du président Russe : quand il évoque la possibilité de sacrifier des gens par centaines de milliers au nom de l'intérêt supérieur de la nation, il nous reste un peu de mémoire pour penser qu’il en est capable[1]. Debord disait que dans nos sociétés du spectacle, le vrai est devenu un moment du faux. Comment aujourd’hui se départir de l’arsenal des « fake » envoyés de partout ? Comment se faire une idée consistante de ce qu’il se passe quand tant d’astuces et de hautes technologies sont consacrées à brouiller, escamoter, rabâcher des mensonges jusqu’à ce qu’ils aient l’air d’être la vérité?
Quand j’étais lycéen, on parlait de l’Afrique du Sud comme d’une société abominable, honteuse. Aujourd’hui, c’est l’Afrique du Sud qui vient expliquer à Israël ce qu’est un crime de masse et un apartheid. L’idée que co-existent des identités au sein d’un même espace géographique pouvait couler de source un peu partout sauf dans les pays ségrégationnistes. Aujourd’hui, cela paraît une hérésie quasi munichoise que d’imaginer Juifs et Musulmans, Russes et Ukrainiens vivant pacifiquement sur un même territoire…
Et pourtant, que pouvons-nous, citoyens de pays où existe un certain « état de droit » sinon éventuellement rappeler que la seule alternative, dans la durée, est celle que nommait Martin Luther King : apprendre à vivre comme des frères ou mourir ensemble comme des imbéciles.
Que pouvons-nous sinon faire appel à une lucidité sombre en rappelant qu’il existe des bénéficiaires nets à l’heure où le monde danse au bord d’un précipice nommé guerre mondiale... ? De quelle humanité faire preuve sinon tenter de rallier à l'exigence de faire taire les armes le plus vite possible, quitte à sembler sortir un drapeau blanc dérisoire, tandis que personne ne parvient à empêcher que l’armée israélienne tire sur une foule de civils affamés ?
Que se passe-t-il? Il est partiellement rassurant que du monde entier parviennent les messages de sympathie aux Palestiniens qui subissent la furie de Nétanyahou et sa clique après le raid assassin du 7 octobre. On pourrait y joindre des messages de soutien aux Israéliens minoritaires et pacifistes, juifs et musulmans. Il y en a des milliers, on ne les voit que très peu. J’y ajoute un salut amical aux pacifistes de tous pays. La paix n’a pas bonne presse. Elle est éventuellement décourageante, naïve en diable, incite à baisser les armes en considérant la stupidité absolue de la guerre elle-même. Jaurès avait prévenu, personne ne l’a écouté et l’immondice de 1914-18 s'est imposée.
Il faut savoir testostérone garder quand on envoie des milliers de personnes se faire déchiqueter à coups de drone et d’armes ultramodernes. Il faut « sauver la face », sauver l’honneur. Dans un monde où l’ultra-compétition est la marche normale de l’économie, les « livraisons d’armes » ne sont dorénavant discutées que sur leurs modalités.
Allons donc, vous voudriez laisser les Ukrainiens sans défense face à Poutine ? Mon incompétence géostratégique est telle que je vous épargnerai tout avis sur cette question. Je laisse les spécialistes expliquer l’art de la guerre et les techniques pour « imposer le récit de la victoire » ou décrire les percées « sanglantes et laborieuses » de l’armée russe ou ukrainienne. Mais je peux inviter à observer que nous vivons plus largement dans un monde où les uns se satisfont d’utiliser des machines qui vont détruire le travail et la vie des autres, et où, en bout de chaîne, les écologistes sont perçus comme priorisant l’existence des blaireaux à celle des ouvriers. A chaque fois que l’on pense à « éliminer des gens » comme si on allait les effacer, on prolonge la chosification en cours. On dénonce les « fascistes » sans se soucier d’être dans le pire de la déshumanisation : la mise à mort à distance qui ne fait « même pas mal » et presque aucun bruit.
Allons, ne faut-il pas d'évidence, aujourd’hui, « tuer pour la paix » ? C’était une expression des pacifistes américains pendant la guerre du Vietnam pour dénoncer l’impérialisme de leur propre pays.
Revenons vers cette planète de l’horreur, cet autre monde que représente Gaza pour nous autres Européens de l’Ouest. Un peu partout dans le monde, ont eu lieu des manifestations appelant un cesser le feu immédiat comme un minimum syndical d’humanité, j’en ai fait partie, j’ai signé des appels. En toute impuissance jusqu'ici. Sur les réseaux sociaux, comme sur les places publiques, j’entends les propos de gens écœurés, radicalisés, qui semblent dire : « honte sur vous Israéliens et votre armée exterminatrice. » Comme ailleurs, on dit « honte sur vous les Russes ». Ou, si l’on écoute d’autres sources, plus rares sous nos latitudes : « honte sur vous les Ukrainiens qui, vendus à l’OTAN, conduisez vos jeunes à la mort en suivant les projets de la CIA via leur clown de président ». Ailleurs, où l’on est particulièrement vigilant vis à vis des stratégies américaines, on dira même : Honte sur vous, occidentaux qui continuez une politique conduisant à l’accaparement des richesses de l’Est par les pays – riches - de l’Ouest. Honte sur vous, Européens d’accompagner la stratégie guerrière des Etats-Unis qui se sont toujours formidablement enrichis via les conflits mondiaux etc.
Derrière la disparité des perceptions, des illusions réelles et du niveau de mauvaise foi, nous entendons, de partout, au moins un phénomène commun se banaliser : la hiérarchisation de l’importance des vies. Récemment, un dessin décrivait bien cette tendance, qui par un humour sinistrement noir, décrédibilise un certain « humanisme » franco-moralisateur : un couple est devant la télévision où l’on voit un avion larguer une bombe, au milieu des décombres, une femme lève les bras au ciel avec son enfant mort à côté d’elle. Devant la télévision, la femme, dans son fauteuil, dit : « quelle horreur ». L’homme lui rétorque : « ça dépend, c’est où ? » [2]
Toute la journée nous entendons ce distinguo entre les victimes qui valent 1 (ou zéro) et celles qui valent 10 000. « je vous rappelle qu’il reste des otages français. ». Que les autres crèvent par milliers, rien à foutre, mais s’il reste des otages de chez nous, faudrait voir à pas déconner. Ainsi va la « diplomatie ». Une longue pédagogie de la discrimination des importants et des autres. Sans un minimum d’indifférence, me direz-vous, nous ne survivrions pas une minute… mais là quand même, ça va très loin. Pas même de maquillage humanitaire ou à peine. Une longue culture de la protection des « comme nous » et de négation des « pas comme nous ». Gare, camarades, cette pente est drue.
Après le revirement de la Région PACA refusant de financer 2 films jugés anti-israélien, le cinéaste et producteur Eyal Sivan, a déclaré : « nous accorder implicitement un pouvoir de faire fléchir le Hamas, je ne sais pas si c’est de la bêtise ou de la pure mauvaise foi. En tout cas, on n’a pas à redouter l’arrivée du RN au pouvoir en Paca : il est déjà là. »[3]
La honte et l’impuissance se mêlent pour la plupart des personnes qui refusent de défendre une quelconque mise à mort d’innocent qu’il soit juif, musulman ou chrétien, enfant, femme, jeune conscrit russe ou ukrainien. Quiconque se réjouit de la mort de ces milliers de jeunes participe à cette chosification globale, tandis que chacun brandit le mot « fasciste » tout en se félicitant de l’anéantissement de « l’ennemi ». Le formidable Laurent Wauquier, président de la Région Auvergne-Rhône Alpes, a dit que la « destruction du Hamas était une condition de la paix ». L’inviter à imaginer le point de vue d’individus infériorisés depuis l’enfance est sans doute une offense à la « fermeté » nécessaire pour « éradiquer » ou « terroriser » les terroristes. J’ose pourtant, en tant que cinéaste, cette invitation à changer l’axe, même très brièvement de son regard. Oups, ça y est, voilà que je délire... imaginer Wauquier se mettre à la place des pas comme lui... pourquoi pas chercher à comprendre pendant qu’on y est.
La banalité du mal s’étend et on repense aux tortionnaires pendant la guerre d’Algérie, « que voulez-vous faire contre des menaces terroristes sinon faire avouer par tous les moyens? ». Eh bien... peut-être commencer par refuser la torture puis tenter de coexister. Trop tard. L’Algérie et la France continuent leurs « je t’aime moi non plus » sans accepter que nous sommes dorénavant liés pour le meilleur et pour le pire.
Observons que certains, beaucoup sans doute, ont eu honte, après coup. Tel Claude Eatherly, pilote américain de l’avion qui a largué la bombe sur Hiroshima. Devenu totalement fou après avoir pris conscience de ce à quoi il avait collaboré. D’autres, comme le général Pinochet, sont morts dans leur lit sans sembler beaucoup regretter l’ultra-violence qu’ils ont fait exécuter. D’autres encore comme Bush, père et fils peuvent parader sur les plateaux de télévision avec le sang d’un million d’Irakiens sur les mains sans que cela gêne exagérément les « pays amis ». Raison d’Etat : si on n’avait pas été là ça aurait été pire.
Je me joins volontiers à ceux qui voudrait réussir à « faire honte ». Honte sur ceux qui ne craignent pas de laisser la guerre détruire, humilier à mort. Nous aimerions qu’ils aient honte. Mais y a-t-il réellement moyen de faire honte à des gens qui ont sombré dans une forme de folie plus ou moins aiguë ? Plus ou moins froide. Une forme de pathologie à mi-chemin entre l’autisme et le narcissisme poussé à l’extrême, insensibilité, voire excitation par la souffrance ou l’anéantissement de l’autre.
Faire honte... je ne dis pas que c’est impossible, je pose la question. Eatherly a été dévoré par la honte, mais elle est probablement venue toute seule le hanter. Parce qu’il n’avait qu’une toute petite conscience de ce à quoi il participait quand il pilotait l’avion qui allait détruire une ville. Est-ce que l’on peut faire rougir des gens qui ne craignent pas le massacre ou l’exécution de l’autre à distance ?
Est-ce que l’on peut faire éprouver de la vergogne à ceux que la « raison d’Etat » a conduit à faire mourir dans l’Arctique un opposant qui faisait preuve d’un courage qui semble presque « inconscient » ou venu d’un autre temps ?
Réussira t’on à faire honte à tous les dirigeants européens qui laissent mourir à petit feu en prison un héros de la liberté sur ordre du grand frère américain qui attend qu’on l’extrade pour l’emmurer à vie[4] ? Peut-on faire honte aux cyniques absolus ou aux fous radicaux ?
Car comment expliquer ce qu’il se passe à Gaza sinon par une folie, une folie ancrée dans de froids calculs et une domination ultra-violente depuis des décennies, une folie hideuse pas plus ni moins horrifiante que lorsque n’importe quelle population se livre à une punition collective sur une autre, à l’expression d’une supériorité méprisante d’une autre ?
Les soldats qui tuent des enfants à Gaza sont-ils plus ou moins « fous » que ces blancs furieux lynchant des noirs aux États-Unis ? Plus ou moins irrationnels que ces Hutus massacrant 1 million de Tutsi à la machette ? Plus ou moins délirants que les furieux laissant libre cours à la haine vengeresse le 7 octobre avec pour seule certitude celle qu’ils « n’allaient pas laisser indifférent » ? Sont-ils moins tarés que ceux qui, en Europe, ne jugent pas anormal que l’on bombarde des hôpitaux et que cela conduise à amputer des enfants sans anesthésie dans des hôpitaux privés de tout à Gaza ? Il y a différents degrés, différentes échelles, sans aucun doute.
A la guerre comme à la guerre, disent certains dans des salons calfeutrés avec BFM en musique de fond. On nous demande de choisir notre camp, de déterminer le pire du moins pire, tandis que de jeunes franco-israéliens ne craignent pas d’aller participer à ce que de plus en plus d’observateurs désignent comme un génocide… Et qu’un peu partout le piège des haines absolues se referme. Chosification. Extension du domaine du réarmement.
Que voulez-vous faire? Laisser Poutine avancer jusque Berlin ? Flancher et se soumettre ? Laisser les furieux du Hamas continuer à tuer des Juifs ?
Je ne suis sûr de rien et certainement moins que toute autre chose de la psychologie poutinienne. Mais de là à utiliser le même langage de tueurs et de penser « anéantir l’armée russe »… n’y a t’il rien qui gêne ? Rien qui gêne dans l’évocation tranquille d’une possible « frappe préventive » de la Russie que j'entends ici et là ?
Pensons-nous que le « Make america great again » de Trump révèle une blessure narcissique moins grave que celles des Russes qui s’estiment « humiliés par l’OTAN »? Pensez-vous que c’est en aggravant les « sanctions contre la Russie » en interdisant aux artistes et aux sportifs russes d’être présents que l’on va « moucher Poutine » et faire cesser un « régime fasciste » ? Ne faudrait-il pas au contraire, de toute urgence cesser de parler "des" Russes, et cesser sans délai toute forme de punition collective ?
A Gaza, il y a quelque chose que les diplomates qualifient de « réponse non proportionnée » avec ce sens magnifique des euphémismes qui évitent de rappeler la chair et les cris des gens.
Face à cela, à partir d’aujourd’hui, pour tenter d’éviter de sombrer moi-même, je vais me venger en scénarisant une histoire qui prendrait un tour inédit, où les gagnants d’aujourd’hui ne le sont plus dès demain. Où les folies cessent d’être une valeur recherchée par les marchés mais sont considérées comme un dérèglement qu’il convient de soigner. Où les machiavéliques et glaciales stratégies sont identifiées, nommées et dénoncées comme telles, comme on peut aujourd'hui qualifier les calculs des industriels qui voyaient d’un bon œil s’annoncer la guerre de 1914. Car si quelqu’un se régale, c’est bien l’esprit capitaliste lui-même. Ou de façon plus incarnée, ceux qui se frottent les mains de tous ces nouveaux marchés qui s’ouvrent, armement et « reconstructions » en tête.
Prendre le temps de chercher réellement les fauteurs de guerre ? C’est Poutine allons. Non, ce sont les « nazis ukrainiens ». Non c’est le Hamas. Non… ces dingues d’Israéliens et leur armée de merde, que tout le monde appelle par son petit nom « Tsahal ». Une chose s’affirme pourtant sans trop de contestation : que de marchés fructueux derrières ces destructions, ces nouvelles privatisations annoncées en Ukraine, ces marchés du déminage …
Pendant ce temps, il faut choisir notre camp. Choisir notre catégorie d’inhumanité. L’humain peut aller très loin dans la démence collective, de ça nous sommes certains. Comment réussirons-nous à nous en extraire à présent que les armes ont parlé à ce point, à présent que de tels enfers ont été créé entre peuples ? Réussirons-nous à faire que ce soit une honte d’exterminer des gens alors que beaucoup applaudissent les morts comme d’autres acclament leurs athlètes dans des stades ? Choisir son camp ? Les Suisses vous emmerdent.
Comme figures centrales de ma série de récits, il y a ici une Israélienne et une Palestinienne qui, main dans la main, commencent avec une colère froide et répètent, face caméra, avec un calme radical : Vous mentez ! Elles répètent « vous mentez quand vous dites que nous ne nous parlons pas entre Juifs et Musulmans. Vous mentez quand vous dites que nous ne savons pas voir la souffrance de ceux que l’on nous désigne comme ennemi et qui ont comme nous perdu leur enfant, leur père, leur sœur. Vous mentez quand vous dites que la peur est dans un seul camp.
Ailleurs une femme russe mariée avec un ukrainien regarde la caméra bien en face et dit : vous mentez. Vous mentez quand vous dites qu’on ne pouvait pas vivre sur un même territoire et parler plusieurs langues, parler le russe et l’ukrainien. Et l’ouzbek et l’arménien. Vous mentez quand vous dites que nous n’avons pas de mémoire commune. Vous mentez quand vous dites qu’il y va de notre honneur de tuer au nom de la nation et de la langue.
Ailleurs encore, un soudanais s’exprime dans un français impeccable, face caméra toujours. Il dit : personne ne parle de nous ou presque. Mais nous, nous lisons les médias internationaux : savez-vous combien les Russes dépensent en armement cette année ? 100 milliards de dollars. Et combien le budget américain pour le même type de dépense en une année ? 700 milliards. Vous mentez quand vous dites que l’Est menace l’Ouest et que l’inverse n’est pas vrai. Vous mentez quand vous expliquez qu’un camp est gentil, et un autre méchant. Vous mentez comme quelqu’un qui dans un stade de foot, ne voit pas la faute de l’un des joueurs de son équipe et crie à mort l’arbitre, au sein d’une masse ivre de puissance.
Elle est pakistanaise, et vit en ménage avec un Indien chrétien : vous mentez disent-ils, tour à tour, face caméra eux-aussi. Vous mentez en disant que les actes les plus violents viennent de nulle part et n’ont pas été générés, instillés, goutte à goutte, par le venin de l’humiliation durable. Vous mentez quand vous dites qu’on voit les mêmes choses d’un coté ou de l’autre du mur de la pauvreté. Vous mentez en continuant de vendre le régime de la consommation comme horizon définitif du genre humain. Vous mentez quand vous parlez de démocratie alors que ce sont les forces de l’argent qui dictent ce qui est bien et ce qui est mal. Et l’imposent parfois avec des bombes et des campagnes médiatiques, en même temps.
Plusieurs tentations mortifères m’ont assailli ces derniers temps, y compris celle d’envoyer tout le monde se faire foutre. De me réfugier dans une misanthropie presque apaisante. Décidément, quelle sale espèce cet humain. Et les médias d’en rajouter 24h/24, de raconter l’histoire de ces femmes qui tuent leur bébé, de ces pères qui frappent à mort leur enfant. Ces gros abuseurs de cinéastes pré-me too qui profitaient avec morgue de leur notoriété et du désir de notoriété. Le désir de reconnaissance peut conduire à des extrémités dont la guerre est un des pires avatars. On n’arrêtera sans doute rien de cette furie avant longtemps. Mais si un jour cela repart dans l’autre sens, vers un sursaut d’humanité, il faudra creuser ce mot : reconnaissance. Ou celui-là : considération.
Chercher à comprendre, même sur les bords, pourquoi les Russes haïssent ceux qui racontent que la libération de l’Europe est le fait des Etats-Unis. 300 000 soldats américains tués pendant toute la seconde guerre mondiale, c’est beaucoup, mais les Russes et Ukrainiens perdaient dans le même temps 20 millions d’âmes sur le front Est face aux nazis. Nous ne comprendrons jamais les délires russes tant que ces « récits » ne seront pas un peu corrigés, amendés, nuancés. Tant que les « récits » entonneront, moitié moutons, moitiés stratèges militaires, les chants de guerre des uns ou des autres.
« Oui mais », ne sont-ils pas de terribles autoritaires ? Alors que nous pas du tout. Ni en France, ni en Hongrie, ni en Italie. Rien à voir, c’est vrai, nous n’avons pas d’arctique à proximité et on ne tue pas encore d’opposant en prenant à peine le soin de maquiller. Oui il y a des nuances importantes, essentielles. Cela ne change pas l’enjeu de comprendre d’où viennent ces autoritarismes et surtout pourquoi ils sont apparemment « demandés » par les peuples qui élisent une Meloni comme d’autres ont élu Mussolini. De la poigne pour cogner sur les pauvres et les étrangers vite ? Un jour, je crois que nous lirons des témoignages, des traces, indiquant qu’à notre époque, beaucoup étaient passés du côté de la chosification radicale des humains. Et pas seulement chez les Russes ou les Israéliens. Qu’une technocratie froide nous incitait chaque jour à penser l’autre comme une chose. Des objets qu’on peut cramer, abandonner, utiliser puis jeter comme une chose. Annuler, canceliser. Je remercie ceux et celles qui chaque jour se battent avec fermeté et tendresse contre ça et m’incitent à tout faire pour tenter de leur ressembler. Et comme eux, chercher obstinément à ne pas prendre comme argent comptant toute la stupidité sophistiquée que cette époque tente de vendre comme quelque chose de « normal ».
Vincent Glenn février 2024
[1] Les données disponibles, toutes sujettes à caution vont de 200 000 morts militaires (pour moitié de Russes et d’Ukrainiens) à 800 000 morts (si on additionne les chiffres communiqués par les gouvernements russes et ukrainiens) avec une estimation, à ce jour invérifiable, se situant autour de 50 000 victimes civiles
[2] lire l’indispensable texte de Serge Halimi et Pierre Rimbert : Le journalisme français, un danger public dans le monde diplomatique de février 2024
[3] Alignée sur le RN, la Région PACA retire deux films jugés « anti-israéliens », Lucie Delaporte, Mediapart du 28 février 2024
[4] lire le texte de Carine Fouteau sur Assange. Mediapart édition du 20 février