L’actualité confinante et terrorisante me conduit d'abord à contextualiser cette publication avec un petit « théorème de la haute coupure ».
La fameuse coupure entre les « zélites » et le « peuple »… Cela fait si longtemps que j’entends ça que je me demande si j’ai vécu politiquement autre chose que le sempiternel sentiment d'être « mal représenté » par nos élus, ce sentiment parfois baptisé de son nom savant, la « crise de la représentativité ». Pauvre Représentativité, cette déesse malmenée… que beaucoup voudraient mettre à mort avec une démocratie « directe » ou « participative ». (Je précise que selon ce que j’ai pu observer, le principe actif de la démocratie est dans chaque geste « direct » et chaque « participation » et que ces adjectifs accolés à démocratie relèvent du pléonasme. La démocratie est une longue conquête et jamais un octroi des puissants. Mais je précise aussitôt qu’une certaine représentativité et capacité de délégation me semble tout aussi vitale pour… la démocratie)
La liste des arguments expliquant les causes de cette méfiance généralisée vis à vis de notre actuelle « classe politique » est dorénavant surabondante. A ceux qui ne comprennent pas pourquoi Trump n’est pas si largement devancé que ne le prédisait les sondages, il est bon de donner à visionner une vidéo où Julian Assange explique comment la fondation Clinton a été directement financée, pendant de longues années, par l’Arabie saoudite et le Qatar, et pourquoi il peut y avoir de légers doutes dans la population sur la sincérité de certains à vouloir « punir l’islamisme politique ». En France, les photos qui montrent les Valls et autres Sarkozy bras dessus bras dessous avec les Emirs devraient interdire à ceux-ci toute forme d’avis sur le sujet mais comme chacun sait, la vergogne est inégalement distribuée parmi les hommes. Alors, oui, il y a sans aucun doute une « coupure » entre les élus et les peuples, que Bernard Lubat résumait avec brio : quand les zélitrichent, les populâchent.
Mais mais mais… Je crois que plus que jamais, il faut veiller à ne pas se tromper d’adversaire, et savoir que seule une population bien informée et déterminée à refonder la République peut nous tirer à terme de cette crise de sens généralisée. Son peuple, ses intellectuels ET ses représentants ou candidats politiques. Sans élus, c’est le « capitalisme direct », l’absence de « corps intermédiaires », bref, chacun pour soi et les géants financiers pour tous.
La lettre que je publie, ci-après, va dans le sens d’inviter les activistes social-écolos non pas à « hausser le ton » contre notre gouvernement et son Macron de président, mais à prévoir et organiser leur remplacement par une autre politique, d’autres élu-e-s et une tout autre cohérence. Avec la prochaine élection présidentielle comme - certes pénible mais - incontournable échéance.
Ces derniers jours, tandis que l’Union européenne semble plus que jamais l' instance « coupée » des peuples par excellence, Pierre Larrouturrou, député européen et rapporteur du budget, est entré en grève de la faim pour mettre en lumière l’importance des décisions en cours concernant la taxation de la spéculation. Tandis que nos cerveaux sont massivement accaparés par les insondables questions sur la gestion du virus et les analyses sur nos capacités à accepter de nouveaux tours de vis, il n’est pas anecdotique de rappeler que l’Union européenne est, en ce moment même, en train de décider de son budget pour les 7 prochaines années. (Tout au moins c’est peut-être un sujet qui mérite autant que de délibérer sur la pertinence de porter le masque à la maison comme le suggère notre remarquable premier ministre)
Entre une petite entaille à une main, très visible parce qu’elle saigne et une maladie en apparence invisible chez un ou une psychopathe, c’est la première que l’on perçoit le mieux à première vue. Ce n’est pas nécessairement ce qu’il y a de plus grave. Le virus, aussi microscopique soit il, est devenu phénoménalement visible. Les pathologies sociales qu’il aura généré, elles, ne sont pas encore en pleine lumière.
Il ne s’agit pourtant pas de relativiser. Je plaiderai invariablement pour des conduites civiques et attentives aux autres, mais pour dire aussi clairement que possible d’où je parle, je rejoins les analyses qui considèrent que non seulement les conséquences économiques, éducatives, démocratiques, du traitement de la pandémie sont exorbitantes, mais surtout que le traitement politique de la crise aura généré des maladies psychiques durables et extrêmement graves chez des millions d’individus. En altérant avec une grande violence le bien précieux qu’est la coopération sociale et tout ce qui relève de la culture, de la convivialité et des solidarités au quotidien. (Je ne parle même pas des annonces faites pour « renforcer nos hôpitaux » dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles relèvent aujourd’hui du cosmétique sans véritable plan)
En résumé, je compte parmi ceux qui pensent que les remèdes du confinement et de l’autoritarisme façon girouette auront été plus graves que le mal. Et qu’il n’y a rien de pire qu’une population terrorisée prête à toutes les régressions sociales et démocratiques orientée par des dirigeants sans scrupule. Sauf miracle révolutionnaire (mais la vie n’est-elle pas coutumière de bien des mutations et révolutions?), je ne vois pas d’autre solution que de se mettre au plus tôt en ordre de bataille pour imposer d’autres priorités que celles, sécuritaires et inégalitaires de nos gouvernants actuels.
C’est en ce sens que je livre la contribution ci-après, écrite il y a plusieurs mois après une discussion avec 2 camarades qui me parlaient comme si j’étais un « anti-mélenchoniste » primaire, incapable d'identifier les qualités de notre Mélenchon national.
Je tenais à dire que ses récentes prises de position de celui-ci contre la dérive autoritaire-sécuritaire (du vote de la loi interdisant de filmer les forces de l’ordre jusqu'à l’ubuesque interdiction de vendre des livres dans les librairies et les supermarchés) me paraissent limpides et à soutenir, comme beaucoup d’autres de ses propositions. Mais que cela ne suffit pas pour forger une espérance allant bien au delà des cercles insoumis-compatibles.
Je précise qu’il s'agit d’un point de vue totalement hors parti, qui peut être critique vis à vis des politiques en général et de la France Insoumise en particulier, mais en essayant de ne pas jeter le bébé des paroles honnêtes avec l’eau croupie du bain de la politique politicienne.
Vincent Glenn (5 novembre 2020)
Chère S1.
je prends enfin le temps de revenir sur quelques malentendus, avec cette question : mais de quoi donc Jean-Luc Mélenchon est-il le nom ?
Petit préalable humain : comme nous tous, les responsables politiques peuvent avoir plusieurs facettes, quelques contradictions et une belle palette de nuances. Je ne vais pas chercher ici à accabler ni à encenser le leader de la France insoumise, ni à livrer un énième portrait, mais te dire ce qui me semble déterminant pour le petit bout d’histoire qui s’annonce ces prochains mois et prochaines années. Comme tous les exercices prospectifs, il est tout à fait sujet à caution, mais a minima, de la sorte, tu connaîtras mieux ce qui fonde mon opinion.
Il y a d’abord une expression qui me semble caractéristique d’un certain état d’esprit : « ça aurait pu marcher ». Tu l’as utilisé en parlant de la Présidentielle de 2017, et je l’avais entendu des dizaines de fois dans la bouche de militants « insoumis ». C’est pourtant un horrible conditionnel passé, de la catégorie « ça aurait pu ». Si on refaisait le match, si on refaisait l’histoire, on aurait très bien pu y arriver.
Comme le communisme2 aurait pu réussir s’il n’avait pas été capturé et assassiné par ces criminels de staliniens. Je le concède d’ailleurs volontiers, « si Trotsky n’avait pas été assassiné », l’histoire aurait sans aucun doute été toute autre. Hélas, nous avons dorénavant en commun cette histoire-là et dans la vraie vie, les idéaux et pratiques soviético-marxistes ou maoïsto-chinoises n’ont guère tenu les promesses d’un monde débarrassé des absurdités capitalistes et encore moins des dominations.
Cette usage du conditionnel passé indique une attitude qui exprime différentes variantes d’un « on n’était pas loin, c’est con... », ou encore « si ces traitres ne nous avaient pas saboté ». Or, je crains qu’en politique, l’intégration des « traitres », des adversaires redoutables et autres défections de pseudos-alliés fasse partie du jeu. Tout simplement, la prise en considération de la vie réelle, avec ses PFH (Putains de facteurs humains) qui font que notre espèce échappe largement aux simplifications idéologiques et aux additions des forces telles qu’on pourrait les croire logiques.
Avant de revenir au camarade Mélenchon, je vais faire un petit détour vers mon propre héritage. Ayant comme tu sais un père qui a longuement milité à l’OCI (Organisation communiste internationaliste), organisation trotskyste fameuse où sont passés aussi bien Mélenchon que Jospin ou Cambadélis, mais aussi Bertrand Tavernier, Jacques Kirsner ou Alain Corneau, j’ai été précocement sensibilisé à ce versant militant, ses aspects fascinants et aussi ce qui me fait aujourd’hui comprendre pourquoi je m’en sens éloigné, intellectuellement, psychologiquement, politiquement et pour tout dire, humainement. En résumé ? Un esprit guerrier, souvent dominateur et sectaire, avec une tendance récurrente à exprimer : « la meilleure preuve que nous sommes les bons, c’est que nous sommes très minoritaires et que nous le resterons ».
Dans l’absolu, j’ai une estime certaine pour cet esprit fièrement minoritaire, - et plus généralement les avants-gardes - qui peut avoir des correspondances étroites avec ce que Corinne Morel-Darleux décrit avec l’expression de « refus de parvenir ». Cela peut même avoir la classe de Diogène disant à Alexandre le Grand : « Ôtes toi de mon soleil ». Et dessiner l’envers de la soumission carriériste. Y compris en considérant l’expression de Deleuze : « être de gauche c’est savoir que la minorité c’est tout le monde. » Mais cela peut aussi recouvrir une dimension sectaire assez navrante.
Il y a évidemment une myriade de façons d’être inspiré par Trotsky dont témoigne la prolifération des groupes qui se sont réclamés de lui. Indices parmi d’autres de ce que cela a conduit à des victoires, Lula fut élu président au Brésil en s’appuyant sur d’efficaces réseaux trotskystes, Mitterrand aussi. J’observe par ailleurs que ses figures les plus connues ont mimétisé la figure du chef de l’Armée rouge sous plusieurs aspects : l’exigence intellectuelle comme valeur-clef, un sens et un goût du pouvoir et de l’organisation ; par ailleurs, un certain hédonisme, une tendance à apprécier les plaisirs de la bonne chair, plus ou moins contrariée par un versant « raide comme la justice », ou cassant jusqu’à l’exclusion sectaire et martiale. J’ai été élevé là dedans, avec d’un côté les bons, les justes, et de l’autre, les nazes, les nuls. Les purs et les pourris. Ceux qui sont avec nous, et ceux qui sont contre. Les frères, quelques frangines, et les rapaces. Du noir et du blanc, pas beaucoup de nuances de gris. Ajoutons à tout ça une tendance à tout percevoir ou presque dans l’existence sous l’angle des rapports de force. Je parle de traits de caractère repérés à de nombreuses reprises et non d’un portrait robot, le réel étant plus complexe que ça.
Je ferme aussitôt cette parenthèse sur ce qu’ont signifié mes ascendances trotskystes pour en revenir au camarade Mélenchon qui, tu l’auras compris, me semble avoir gardé quelques tendances malgré une longue conversion à la social-démocratie. Je précise que cette double dimension (le versant trotskyste comme le social-démocrate) ne me poserait strictement aucun problème s’il ne s’était autant prononcé en faveur du « dégagisme ». Pour un ex-ministre-ex-sénateur-ex-imposé-sur-la-fortune n’ayant fait qu’une seule et brillante carrière, celle de politicien, il y aurait un acte immédiat de cohérence qui consisterait à dégager immédiatement lui-même.
Mais chacun gère ses contradictions, même les esprits vifs comme le sien. Il n’empêche que je préfère l’itinéraire complexe de Mélenchon au versant « dégagiste » de son idéologie. Soyons immédiatement très clair sur un point : comme avec Ruffin ou Quatennens, je suis d’accord avec ce qu’il dit à 95% sur le fond. Beaucoup plus rarement sur le ton. Depuis des années, il a pris position en faveur de tout ce qu’il me paraissait important de défendre, qu’il s’agisse du non à la constitution en 2005 ou de la défense de Julian Assange, ayant un discours, encore récemment, particulièrement clair et humain sur la différence entre les migrants pauvres que l’on traque et les étrangers richissimes à qui l’on permet tout. C’est aussi un pédagogue hors du commun et sa théâtralité en fait un spectacle quasi constant, parfois pour le pire, souvent pour le meilleur. Je pense tout simplement que cela en fait l’un des activistes les plus consistants de son époque, ayant longuement mis les mains dans le cambouis de la realpolitik et ne s’étant pas limité à commenter le match sur le bord du stade.
Mes réserves, tu t’en doutes, sont nombreuses. Je n’aime absolument pas sa posture, imitée par ses principaux lieutenants, qui insinue souvent que tous les autres sont des imbéciles, des profiteurs ou les 2 à la fois. Comme si nos adversaires n’avait pas d’intelligence et surtout comme si lui n’en profitait pas. Comme s’il ne comptait pas parmi cette classe de super nanti, cette haute bourgeoisie de gauche (souvent très estimable par ailleurs, qui a produit des profils comme Susan George ou Robert Badinter). Enfin, je n’apprécie guère son humour – ou plutôt son absence d’humour. Ni sa tonalité si souvent marquée de ressentiment. Il y a de quoi l’être ? Eh bien justement, je suis persuadé que ce qu’il manque, c’est une force et un discours politique qui ne cède pas trop au ressentiment.
Il y a aussi des accusations contre lui qui relèvent de la – très - mauvaise foi, venant de ceux qu’il irrite ou insupporte. Il compterait parmi cette catégorie de Narcisse qui aime se montrer, se voir et s’entendre ? En réalité, quel-le politique ne l’est pas ? On pourrait en dire autant des artistes ou de la plupart des « personnalités » dans divers domaines. Contrairement à beaucoup de camarades, je ne m’étonne pas que les « politiques » ait un égo assez costaud, et je ne vois vraiment pas comment, sans cela, quiconque pourrait monter à la tribune et s’adresser à des millions de personnes en développant des convictions et une offensive.
Ce qui m’importe beaucoup plus, ce serait de réussir à faire entendre au mouvement que la symbolique de « l’insoumission » est une impasse. Pourquoi ? Parce qu’on ne conquiert pas un pays et un Etat comme la France avec une posture « d’insoumis ». Pourquoi ? Parce que cela revient à rester dans une position fondamentalement défensive, et surtout c’est le signe d’un refus de réfléchir sur les symboles : s’imagine-t-on un amiral « insoumis », et dirigeant un sous-marin nucléaire ? Des préfets « insoumis » ? L’Etat c’est le cadre. Conquérir l’Etat veut dire : nous avons le sens des responsabilités et nous savons que nous avons besoin de fédérer très au-delà de notre petit cercle de convaincus pour parvenir à cette conquête. Surtout si on veut opérer un virage radical.
Il y a donc un saut majeur à faire entre la posture certes très combative d’opposants minoritaires (17 députés sur 577) et celle d’un mouvement devenant culturellement et électoralement majoritaire. Parvenir à cet objectif implique qu’il faudra « gérer », gendarmes et militaires, universités et bibliothèques, transports publics, centrales et hôpitaux. Et pour préparer et crédibiliser un tel virage politique nous avons besoin d’une symbolique de reconstruction, qui fédère, et certainement pas qui découpe entre « soumis » et « insoumis ». « Nous les insoumis » veut dire « vous les soumis ». Rejoignez-nous ou allez vous faire foutre. Il serait salutaire que les milliers de partisans « insoumis » aient conscience de cela : que l’insoumission soit une posture identifiante pour une minorité, oui. Mais que ce n’est pas une attitude cohérente avec la conquête d’une majorité.
Au-delà de la nécessité de la création d’une autre symbolique, il y a la figure du chef : Mélenchon clive profondément et génère des réactions littéralement phobiques chez tous ceux qui se sentent infériorisés par lui. Et ils sont très nombreux. Ayant voté sans aucun regret pour lui à l’élection présidentielle de 2016, et en considérant la grande réussite de la dynamique France Insoumise jusque cette étape, je constate que cet élan ne s’est pas transformé en la capacité d’unir les forces plus largement qu’il ne l’a déjà réalisé : si l’objectif est de gagner des élections et de conquérir l’Etat, il faut prioritairement sortir de cette posture d’insoumission et être dans une symbolique où il s’agit bien de conquérir quelque chose. Qu’est-ce qui peut unir les mille nuances de l’arc en ciel coloré des communautés réellement existantes ? La production de symboles. Des actes ou des objets, comme le désormais célèbre gilet jaune, qui permettent de rassembler une foule de tendances et d’origines.
Ce n’est donc pas qu’une affaire de programme. Parenthèse toute personnelle, j’étais d’autant plus d’accord avec la plupart des arguments et propositions du programme « l’Avenir en commun » que contrairement à un Mélenchon ne quittant le Parti socialiste productiviste qu’en 2008, j’œuvrais à diffuser les thèmes et propositions de l’écologie politique dès le tout début des années 1990. Cette année-là, avec la future maman de mes enfants, nous lancions une société de production dont une des principales raisons d’être était d’accompagner, en faisant des films, les objectifs du sommet de Rio Janeiro de 1992. Je rencontrai à cette époque des personnages inspirants, tels Théodore Monod ou René Dumont. Quand 25 ans d’engagement social-écolo plus tard, certain-e-s m’expliquaient qu’il n’y a rien à côté de « l’Avenir en commun » des insoumis, j’éprouvais le sentiment d’avoir à faire à des gens récupérant nos batailles sans vergogne, sans aucune reconnaissance des apports des autres, et surtout l’impression d’être légèrement pris pour un con. Je ne mentionne ça que pour préciser ce qui me pose un problème d’ordre à la fois stratégique, comportemental et symbolique.
Depuis les Gilets jaunes jusqu’aux luttes contre la réforme des retraites, il y a eu en France un mouvement social exceptionnel par sa durée, sa radicalité et sa capacité à toucher pratiquement toutes les catégories socio-professionnelles. Transformer cette énergie en construction politique demande un effort immense de positivisme et d’intégration de gens issus de milieux extrêmement divers. Il demande d’inspirer confiance et quelque chose qui va en sens inverse de la peur.
Je ne dis pas que nous réussirons à fédérer les « 99 % » dont Serge Halimi exprimait avec justesse que c’est un leurre politique au delà du côté plaisant de la formule. Ni qu’il sera simple, des gilets jaunes aux militants associatifs, en passant par les jeunes et moins jeunes, d’agréger des colères qui vont de petits commerçants plus-ou-moins-poujadistes jusqu’aux syndiqués des différentes fonctions publiques, de la CGT à la CFDT. Mais je garde une forte intuition quant à l’enjeu politique que cela représente : faire gagner un mouvement social écolo suppose incarner bien autre chose que de la colère, du ressentiment, des guéguerres de clans et des attitudes clivantes. Il faut un minimum d’enthousiasme communicatif. Et de sens de l’apaisement.
Je reviens donc à ma question de départ, dans tout ça, de quoi donc Mélenchon est-il le nom ? Indéniablement d’un être doué d’une intelligence remarquable, courageux jusqu’à en être désagréable avec une certaine élite installée du côté du manche, triplé d’un orateur d’envergure.Alors quoi ? Ça ne suffit pas pour en faire un candidat permettant que la tendance social-écologiste l’emporte à la prochaine Présidentielle.
Dans cette 5ème république où nous ne savons toujours pas faire sans « présidentiable », il faut s’accorder bien entendu sur un programme, mais aussi sur une figure qui mette le cap sur une transition social-écologique et qui en même temps rassure. Disons les choses plus explicitement, à la veille des municipales de 2020, sauf émergence fulgurante, je pense que c’est Jadot qui est le mieux placé3.
Au delà de cette dimension de « casting présidentiel » (aussi regrettable qu’indispensable si on intègre un minimum de réalisme), une des grandes priorités, pour ceux qui souhaitent faire émerger une troisième voie écologiste et sociale, ni-Macron-ni-Le Pen, est de s’accorder sur les bases d’un programme commun aussi lisible que possible. Ce sera inévitablement une grosse tambouille, des compromis, de longues discussions et même de bonnes bastons. Mais c’est ce qui peut créer une dynamique associant une multitude de tendances qui peuvent s’écharper vigoureusement sur certaines choses, mais aussi s'accorder sur l’essentiel : que les citoyens et leurs élus reprennent le pouvoir de décision, fassent cesser radicalement les processus de privatisation.
La bataille centrale est celle de redéfinir et d’étendre le domaine des biens communs. Il y a mille façons de le faire, y compris avec la possibilité d’établir concrètement toutes sortes de « délégations de service public ». Mais la base est de faire cesser la vente de nos communs, qu’il s’agisse des barrages, des routes, des hôpitaux ou des forêts.
Pour cela, nous avons besoin d’un élan qui se formule en quelques mots : transmettre la conviction qu’un mouvement social-écolo, pas trop austère et chiant, a de vraies chances de gagner. Cela face à des Macron & Le Pen qui malgré le « duel inéluctable » que voudraient nous imposer les mass medias, ne sont pas si en forme que ça.
Enfin, je crois que partant de la division actuelle, le sentiment laissé au plus grand nombre que chacun défend sa chapelle ne pourra être dépassé qu’avec la création d’un nouveau mouvement, en forme d’archipel ou de fédération, dans lequel aucune des identités politiques actuelles n’aura à se renier tout en portant des objectifs essentiels avec les autres. C’est cette alchimie-là qui me paraît avoir encore des chances de gagner. En montrant comment et où il y a des zones d’accord et en remportant des combats en alliance avec les autres courants social-écolos4.
Je conçois que cela puisse être une remise en cause trop importante pour être entendue par les tenants de la France insoumise (en gros, je leur dis ni plus ni moins « lâchez cet étendard contestataire et entrez dans une coalition qui vous dépasse pour l’emporter »), mais j’espère quand même qu’ils entendront la nécessité de fédérer sur quelque chose allant bien au delà de « l’insoumission ».
Mon avis est qu’un candidat à la présidentielle doit savoir autant motiver que rassurer. Exciter, ouvrir d’autres imaginaires et proposer d’autres quotidiens, et en même temps, rassurer sur le fait qu’il va être en mesure de conquérir et gérer l’Etat. Quelles que soient ses qualités, je ne crois pas que Mélenchon en ait dorénavant la capacité. Un rôle d’excellent intellectuel, formateur, accompagnateur, vulgarisateur, possible très bon ministre même. Pas celui de candidat victorieux à la présidentielle.
Tonton flingueur-prof-camarade-expérimenté-un-peu-soupe au lait ? Oui, aussi ! « Les gens » l’aiment comme ça. Pas comme président. Il n’y a aucune certitude dans ce que je dis, mais des ressentis et des choses qui me semblent plus crédibles que d’autres. Et c’est ce que je perçois aujourd’hui, quand l’un des points clefs me semble de réussir à rassembler une masse critique et ouvrir des imaginaires constructifs.
Voici, chère camarade ce que je souhaitais te livrer comme arguments pour tenter ne pas se tromper de débat et si possible échapper autant à l’anti-mélenchonisme primaire qu’à l’attitude de ses adorateurs5.
Je t’embrasse
V.
1 Je n’ai laissé les noms des personnes à qui j’adresse ces lettres ouvertes que dans de très rares cas où ce sont des « personnages publics ». Tous les autres figurent par la première lettre de leur prénom.
2 Je compte parmi ceux qui pensent que le communisme est encore et toujours à l’œuvre à chaque fois qu’il y a une situation où dans la vie réelle, s’incarne le principe « à chacun selon ses besoin et de chacun selon ses capacités ». Je ne crois pas en revanche qu’il puisse exister un Etat mondial communiste inspiré de 1917. Je crois en des gestes et comportements communistes, pas en une quelconque dictature du prolétariat.
3 Note de relecture en octobre 2020 : ce texte a été rédigé tout début 2020. A ce jour, étant donné les disqualifications mutuelles et les différentes familles politiques, Jadot comme Mélenchon et Hidalgo plafonnent dans les sondages à 15 %. Très loin donc, derrière Le Pen et Macron qui sont donnés autour de 30 % chacun. Tout reste possible (souvenons-nous de Juppé, DSK ou Fillon si longtemps annoncés gagnants avant de s’effondrer), mais il va falloir apprendre très très vite à désigner et souligner les convergences, sans quoi, la bataille est perdue.
4 Ce mois d’octobre 2020 où je relis et annote l’ensemble de ces textes écrits il y a plusieurs mois, il y a eu l’appel des 1000. Je l’ai signé des 2 mains comme un souffle d’air frais en cette désolante période covidienne.
5 A l’heure où le Président Macron vient de promulguer le deuxième confinement, le besoin d’une libération et d’un souffle positif me semble encore renforcé.