En partant du vote de méfiance annoncé et de la chute du gouvernement Bayrou, voici 7 scénarios en réponse à la question : que pourrait-il bien se passer ces prochains temps, par exemple entre maintenant et le printemps 2026 ?
1er scénario : aussitôt après le pot de départ de François Bayrou, le président Macron nomme un autre membre du gouvernement actuel qui tente le tout pour le tout afin de faire voter un budget qui continue d’être prioritairement destiné à « tailler dans la dépense publique et réduire le poids de la dette ». L’argument d'une attitude raisonnable et responsable adoptant les sacrifices indispensables afin de diriger le pays de façon économe est martelé partout dans les médias. Darmanin-Retailleau composent le binôme inflexible dont la fonction est de montrer que l’ordre, c’est l’ordre et que cet ordre est désiré par une majorité de Français.e.s. La politique néolibérale se poursuit sans changer quoi que ce soit au culte du PIB et à la brutalité exercée sur les plus précaires. Le tout avec une ligne de conduite fermement incarnée par les gouvernements successifs des deux quinquennats Macron : faibles avec les forts, forts avec les faibles. Les lobbys réussissent dans la foulée à mettre à l’ordre du jour de nouvelles législations favorables aux multinationales. Les universités, et bientôt les prisons et l’audiovisuel public entrent dans le giron des privatisations envisagées afin « d’alléger la dépense publique ».
2ème scénario : le président annonce qu’après l’échec de ses deux propositions successives de premier ministre "tout bien réfléchi et après avoir beaucoup consulté", il se rallie à l'idée d'une cohabitation avec la candidate désignée par le NFP en 2024, Lucie Castets. Il anticipe que ce sera un échec (une vidéo filmée à son insu circule sur les réseaux, dans laquelle il dit à ses conseillers, hilare : “ils vont voir ce que c’est que diriger un pays”). Mais le grand désordre annoncé à l’occasion de la constitution du gouvernement écolo-social n’est pas au rendez-vous et le choix des nouveaux ministres s’effectue avec rapidité. Les premières mesures proposées au parlement sont habilement choisies parmi celles qui font des majorités évidentes : vote d’un budget privilégiant d’aller chercher de nouvelles recettes plutôt que tailler dans les budgets publics; abrogation de la loi sur les retraites; politique radicale de revitalisation des services publics; réflexion nationale engagée sur une politique d’investissement public et une industrie relancée en fonction des intérêts vitaux du pays, vote d'un RSA jeune accessible aux étudiants. Quand le printemps arrive, un budget est voté mais surtout, la musique gouvernementale a beaucoup changé. Sur fond de controverses, de pressions financières incessantes, de nouveaux faits-divers scabreux, de campagnes de presse réclamant la "fin du laxisme", le gouvernement est attaqué de toutes parts mais gagne progressivement ses galons de crédibilité et finit par être régulièrement soutenu par le pôle souverainiste qui martèle que "l'Etat français doit retrouver ses barrages et ses fleurons industriels nationaux". Le pari est annoncé dès le départ par la cheffe du gouvernement: “il ne s’agira pas de tout modifier en trois jours, ni de faire baisser la délinquance ou les pollutions en quelques semaines. Notre rôle est de mettre en avant d’autres priorités humaines, écologiques et donc économiques". Le Canard enchaîné titre : « Lucie Castets Première ministre : pas de promesse de grand soir, commençons par faire apprécier les petits matins".
3ème scénario: le président nomme un socialiste Premier ministre avec le double calcul de gagner du temps et de diviser un peu plus la gauche. De la sorte, il joue son va-tout pour renforcer le « bloc central », ce cercle de la raison au centre duquel le business continue comme avant, en faveur des plus fortunés et peu regardant sur les critères sociaux et écologiques. Sur fond d’une crise de confiance institutionnelle sans précédent, François Hollande revient au premier plan avec ses collègues Rebsamen et Cazeneuve. Il appelle à une concorde le temps de préparer « dans l’apaisement », des élections nationales en alertant solennellement sur les risques que font encourir les « extrêmes ». Claude Malhuret est désigné ministre des affaires étrangères et Raphaël Glucksmann est nommé au ministère de l’industrie, des finances et des armées avec un projet résumable par un slogan : “l’avenir sera européen, écologique, militaire et social ou ne sera pas”. Le couvercle économique reste hermétiquement fermé et personne ne songe sérieusement à éteindre le feu sous la casserole. The show must go on. Bientôt il y aura Noël puis Cannes, Roland Garros, l’Eurovision, de nouveaux championnats, de nouvelles coupes d’Europe, des séries à gogo. C’est le choix d’une "modération" étayée par toutes sortes de diversions. Cela commence certes à sentir fortement le roussi sur le plan social et climatique, mais le pari porte sur le fait que les gens finiront bien par reprendre le travail et se rallier à la real-économie dictée par le CAC 40 et le bloc central.
4ème scénario: Le président Macron provoque la dissolution de l’Assemblée nationale. Le RN en sort renforcé. Les écolos-sociaux ont des propositions qui recueillent un solide soutien au sein du pays, mais elles restent minoritaires, et le président réaffirme que la somme du décompte électoral penche en faveur d’une politique à droite de la droite. Des ministres du Rassemblement national entrent au gouvernement avec les amis d’Eric Ciotti et les derniers rescapés du macronisme. La colère populaire devient rage endémique, la violence monte d’un cran dans la société, beaucoup se radicalisent, les quartiers sensibles deviennent des quartiers sous haute surveillance et forment de véritables camps retranchés. L’armée est déployée, la répression augmente, le contrôle social et les incivilités aussi.
5ème scénario: après plusieurs semaines d’hésitation et sous une pression populaire sans précédent, le président démissionne et provoque une élection présidentielle anticipée dès le début du mois de février 2026. Jean-Luc Mélenchon est candidat et d’autres candidatures de gauche en profitent pour manifester qu’elles ne sont pas moins légitimes à participer aux élections. Les pro et anti-LFI se déchirent. Soutenus par une grande partie de la presse et de la droite, Raphaël Glucksmann, rejoint par une partie des socialistes, poursuit la diabolisation des Insoumis et plaide l'alliance avec le "bloc central" en faveur de "la raison sociale contre l’hystérisation idéologique des extrêmes". Le résultat est qu’aucun candidat de gauche n’arrive au second tour. La finale aura-t-elle lieu entre Édouard Philippe (ou Gabriel Attal?) face à Bardella (ou Le Pen) ?
6ème scénario: Le président Macron s’habille en chef de guerre, maximise le danger russe et appelle solennellement à contrer le "nouvel expansionnisme du Sud global". La rencontre organisée par le président chinois, en présence des chefs d'Etat russes, indiens, iranien et turcs a été l'occasion d'une démonstration de force contre la domination euro-américaine. La France s’engage avec le reste de l’Europe dans une surenchère militaire que l’on croyait réservée aux films catastrophes. Les marchands d’armes se régalent à l’abri de leurs bunkers, les États-Unis s’apprêtent à recueillir les dividendes de la guerre comme ils l’ont fait à l’occasion des conflits du XXème siècle. Les élections sont suspendues en France jusqu’à nouvel ordre. Des appels patriotiques fleurissent un peu partout et les hôpitaux sont mobilisés pour se préparer à accueillir les blessés. Le mouvement Foutu pour Foutu crée des manifestations partout selon un seul principe : quitte à être sur le Titanic, autant rester près de l’orchestre et continuer à danser au bord du précipice le plus tard possible.
7ème scénario: Le président annonce que des élections nationales auront lieu 8 mois après la démission de François Bayrou : à la télévision, il annonce la nomination d’un gouvernement provisoire qu'Olivier Faure accepte de diriger. Devant 20 millions de personnes, le président Macron précise que des élections législatives “auront lieu après les municipales car il faut que le pays continue de dialoguer et de débattre". Les unitaires écolo-sociaux autour de Lucie Castets et Marine Tondelier déterminent un candidat commun pour la présidentielle. Beaucoup pensaient à François Ruffin, d'autres à Clémentine Autain. C’est finalement… Dominique de Villepin qui sort du chapeau à la stupéfaction générale. Celui-ci, dans un discours qui fait fureur sur les réseaux sociaux, concède s’être sévèrement trompé sur le chapitre de la dette et se livre même à un vibrant exercice d'auto-critique sur ce qu'il nomme "sa pire erreur", à savoir son soutien à la privatisation des autoroutes. Coup de théâtre, il annonce rejoindre la dynamique en faveur d'un changement de paradigme et soutenir le programme Front Populaire 2027 en mettant en avant que "c’est le programme qui favorise le mieux à la fois les TPE/PME et les services publics". Avec Jean-Luc Mélenchon, Marine Tondelier, Eric Coquerel, Clémentine Autain, Benoit Hamon, Olivier Faure, François Ruffin et Clémence Guetté, ils font tribune commune autour d'une idée centrale : il faut refonder la République selon des priorités citoyennes et non selon les exigences des Multinationales. La guerre des gauches est enterrée pour de bon quand tout le monde s’accorde sur le fait que Jean-Luc Mélenchon est la personne la mieux qualifiée pour devenir Président de l’Assemblée nationale constituante. Lui-même s'est laissé convaincre, soucieux de laisser l’image de quelqu’un qui fait gagner son camp. Son énergie tellurique est alors l’une des très nombreuses composantes d’une mobilisation populaire et intellectuelle sans précédent depuis 1968. Une fédération improbable de mouvements se constitue en faveur de quelques grands objectifs et se concentre sur les enjeux vitaux du pays: inscrire différemment la France dans l’Europe en mettant un frein au dumping social et à la "concurrence libre et non faussée", mettre au sommet des priorités l’autonomie alimentaire et énergétique. L’eau devient la première grande cause nationale. Sur le plan international, parmi les tout premiers objectifs de ceux qui s'engagent en faveur de la nouvelle République se situe l’impératif d’une désescalade militaire radicale et d’une actualisation des accords de Bretton Woods avec un Conseil de sécurité élargi.
C’est sur ces bases que se fonde la « grande concorde de 2026 » provoquant l'alliance de toutes les forces du NFP et en y intégrant les gaullistes sociaux et un certain nombre de "réalistes centristes". Une révolution citoyenne et pacifique commence. L'avenir reste tout à fait incertain mais le nihilisme semble reculer à mesure qu'émerge un dialogue inédit entre les générations. Comme cela se disait à propos de ce qui caractérisait 1968 ou ce qu'il se passait sur les ronds-points des gilets jaunes: les gens se parlent.
Dans chacun de ces scénarios, il y a une part un peu fantaisiste, une autre plutôt déprimante, une autre franchement absurde, et ici et là quelques fines possibilités de progrès citoyens. Vous remarquerez que le président Macron est à chaque fois celui qui déclenche la suite des événements. Et dans la vie réelle, le fait du prince risque de continuer de primer lors des prochains temps de notre Vème République, même si celle-ci s'apparente de plus en plus à une profonde crise de régime. Il y aura vraisemblablement une combinaison de ces différentes évolutions possibles et sans doute quelques surprises radicales. Sur fond d'une économie globalement prédatrice, aliénante et écocidaire, mais poursuivie au nom d'un certain "réalisme", est-il si impensable de faire émerger autre chose ? La perspective d'un gouvernement de droite radicalisée imposant de nouveaux "sacrifices indispensables" et des "coupes budgétaires à la tronçonneuse" est-elle évitable ? Le programme du NFP de 2024 constitue une base solide pour faire valoir d'autres priorités. Réussir à en faire une politique signifie sans aucun doute d'établir des alliances inédites comme à l'époque où gaullistes et communistes s'accordaient suffisamment pour permettre la création de la sécurité sociale. Cela revenait à faire preuve d'un esprit à mi-chemin de l'utopie et du pragmatisme, sachant à la fois énoncer la possibilité d'un progrès humain et à transformer celui-ci en conquête.
Vincent Glenn
8 septembre 2025