Retours de flamme épisode 6
(ATTENTION ce texte est une fiction… toute éventuelle ressemblance avec des personnages réels étant cependant intentionnelle)
« Mal nommer les choses, c'est ajouter du malheur au monde », disait Albert Camus. Mais « l'ouverture d'esprit n'est pas une fracture du crâne » compléta Pierre Desproges.
Ne sous estimons pas qu’après la victoire, de justesse mais décisive, du Nouveau Front Populaire aux Législatives de juillet 2024, l’imaginaire de futures victoires avait copieusement grandi du côté des écolo-sociaux. Particulièrement après le mépris affiché par le président Macron. Avec le recul, on voit qu’on était encore assez loin du compte. Les levées de bouclier du bloc bourgeois était aussi prévisibles que celles provenant de l’arc nationaliste. Dès le mois d’août 2024, l’impatience confinait à la fébrilité et la confusion semblait tout ensevelir ou presque. Les menaces de motion de censure étaient agitées avant même que le Président Macron n'ait encore nommé de Premier Ministre... De l’autre côté de l’Atlantique, l'attentat contre Trump fit monter d'un cran l'agressivité de tous ceux et celles qui étaient profondément atteint par les ressentiments et les désirs de « renverser la table ». Or le ressentiment collectif - comme la force récurrente du « détester ensemble » dans l’histoire - n'était pas un simple « ressenti », c'était une forme de purgation des passions. Des passions tristes et pleines d’aigreur, sans doute, mais des passions quand même. Autrement dit, des énergies que l’on ne peut pas apaiser en les ignorant puisqu’elles s’expriment précisément pour qu’on les voit ou qu’on les entende. Kamala Harris est venue vivement stimuler le camp démocrate mais cela ne dissolvait pas l’énergie qui s’exprimait en face. D’autant moins quand on entendait la candidate user d’euphémismes à propos du soutien massif des Etats-Unis à la politique criminelle d’Israël, ou encore déclarant avec emphase : « Comme commandante en chef, je veillerai à ce que l'Amérique dispose toujours de la force de combat la plus puissante et la plus meurtrière au monde ». Tout ceci n’allait pas nécessairement vers la désescalade. En conséquence, une pléiade d’intellectuels originaires de 123 nations a honorablement adressé une lettre à la candidate démocrate pour lui demander ce qu’elle comptait faire pour une paix mondiale durable. Cela a apparemment pesé un certain poids par la suite.
C’est dans ce contexte qu’est sorti sur les réseaux, d’abord de façon relativement discrète, un autre texte également anonyme, assez symptomatique il me semble, des inflexions qui se sont produites en 2025-2026. Je cite ici la première partie in extenso, dans le cadre du témoignage que l’on m’a demandé de faire auprès de la Commission d’étude sur le Grand Virage. Cette « tentative basiste», épousant la forme du glossaire, est une des traces significatives de la diversité des élans qui ont œuvré à cette période en faveur d’un dynamitage des hypocrisies. Contrairement au lyrisme de 20091 fois plus fort, il s’agit d’un texte plutôt à cheval entre l’ironie noire et le jonglage de sens polysémique. Je le cite également parce qu'il me paraît être une des nombreuses manifestations en faveur d'un changement de tonalité et de ce que l’on a appelé par la suite la lutte contre les « crypto-dominations » ou « l’attaque méthodique des simulacres ».
Tentative de clarification basiste en milieu hystérisé
Mesure : (usage moderne:) indication chiffrée à propos d’une partie du réel à l’aide de différents outils et unités. (mythologie:) opposé à démesure ou hubris. Dans la mythologie grecque, qu’il s’agisse d’Icare, de Prométhée ou d’Orphée, la démesure, en tous domaines, conduit au désastre parce qu’elle concourt à créer des formes de douleurs, de trahisons, de sanctions divines ou de châtiments exemplaires. Voir éventuellement à « trop de peur », « trop de pessimisme », « trop de liberté », « trop de sécurité », « trop de naïveté », « trop de numérique », « trop de contrôle », « trop d’informations »... voir aussi à « pharmakon » : à une certaine dose, signifie médicament, à une autre dose signifie poison.
Gentillesse : défaut majeur en politique jusqu’à nouvel ordre.
Tolérance : anciennement valeur progressiste désirable et dorénavant synonyme de laxisme excessif (voir à extrême gauche ou extrême droite) ou d’acceptation molle de toutes sortes de dominations et d’abus.
Débat : moment télévisuel où tout le monde parle et personne n’écoute et encore moins ne change d’avis. Voir aussi à confusionnisme, duel absurde ou raideur psychologique.
Nouveau Front Populaire : mouvement citoyen historique où l'on a observé une métamorphose faisant passer l’extension du cynisme radical vers des petits bouts d’émerveillements fragiles. Équivalent du triple salto avant en gymnastique. Peut faire mal au dos quand on ne s’y est pas préparé. Voir aussi à « quel.le premier.e ministre ».
Rationalité : mince espace mental situé entre la passion et les psychopathologies, qui tempère parfois les situations et permet dans certains cas des évolutions humaines qualifiées de progrès.
Société civile : se dit de quiconque fait de la politique tout en n’en faisant pas vraiment et en faisant quand même tout en pouvant se permettre de dire « ça c’est pas nous, c’est l’Etat », ou « c’est pas nous, c’est les politiciens ». (Voir éventuellement à « responsabilité à mi-temps », ou à un épisode de 2024 nommé « soudain la société civile se mit à considérer sérieusement les élections »)
Extrême gauche : cohorte de personnes irresponsables estimant que la politique consiste à modifier les conditions de production de la richesse (voir éventuellement à « conditions de travail ») et ses modes de répartition. Par extension : se dit de toute personne qui songerait à augmenter les impôts des plus riches, ce qui relèverait d’une atteinte au droit de dominer sereinement, voire un découragement intense pour tous ceux qui bossent vraiment sérieusement pas comme ces feignasses d’assistés.
Extrême-droite : groupe de militants politiques préférant aboyer en meute plutôt qu’avoir peur. Voir aussi à « catégorie de la population à qui l’on a trop bien réussi à faire honte et qui aujourd’hui se vengent en ne l’ayant plus du tout ».
Extrême-centre : nom utilisé pour désigner le groupe sociologique plaidant en faveur de la pertinence d’un gouvernement exercé par les multinationales pour les multinationales. Voir éventuellement à « défense viscérale des actionnaires du CAC 40 ». Par extension : ventre mou démocratique mais doté de bras très durs avec les précaires, qui comme la plupart des damnés de la terre, ne font pas de bruit quand ils meurent.
Jourdain : fleuve du Moyen-Orient signifiant « descendre » en arabe et « rivière de la peine » en hébreu. Témoigne d’une longue incompréhension langagière qui finira cependant par donner le prénom « Jordan ». Comme par hasard.
Complotiste : se dit de quiconque n’est pas entièrement d’accord avec ce que promeuvent certains déferlements médiatiques. (Plus rarement) Résistance intuitivo-confusionniste aux « voix autorisées » parfois nommées « voix du juste milieu » (voir à extrême-centre) ; équivaut souvent à la figure complexe et subtile des « tripes qui se regardent le nombril ». Par extension : tout personne étant prête à jurer que la terre est plate et que les Francs-maçons contrôlent nos moindres faits et gestes. Par extension de l’extension : disqualification radicale d’un.e adversaire politique qui n’apprécie pas l’angle sous lequel vous présentez « les faits », voire, déteste violemment le « d’où vous parlez ».
Antisémite : qualifie dorénavant quiconque voudrait ne pas faire de différence majeure entre les différents habitants vivant le long du Jourdain. Cas aggravant, certains préconisant que tous ces riverains aient les mêmes droits, cela peut donner alors le néologisme « antisémitisme des abrutis » à ne pas confondre avec le pléonasme « abruti d’antisémite » (Science:) malgré la preuve scientifique que les races n’existent pas, obstination durable à estimer que c’est faux, que certains sont moins égaux que les autres et sont dotés de divers défauts génético-religieux (Politique:) adjectif qualifiant toute personne ayant contribué à un creuset idéologique nauséabond et occasionné en France une furie collective historique abjecte qui a conduit des gens à dénoncer hommes, femmes et enfants parce qu’ils étaient juifs et à les envoyer à la mort.
Islamiste : toute personne ayant lu le Coran au moins une fois. L’Islam étant elle-même une religion subdivisée en une palette de variantes subtiles et hostiles les unes aux autres ; il existe une infinité de styles islamistes, les plus rouges étant les plus faciles à repérer au sein de la France contemporaine, presque toujours logés à la périphérie des villes, donc gauchistes. Utilisé parfois avec une certaine justesse pour désigner des individus à qui des fanatiques, souvent épaulés par ceux qu’ils rencontrent en milieu carcéral, ont transmis une haine passablement transcendantale envers ceux qui les ont ignorés, dominés, exclus, ou internés. À ce niveau de pathologie radicalisée, toutes sortes de terrorismes peuvent être raisonnablement anticipés; il reste toujours possible de chercher d’où vient le problème en profondeur, tout en concédant que, passé un certain stade, cela relève d’un défi mystique ou d’un dévouement social radical.
Laïcité: sert occasionnellement à se calmer autour d’un concept ; tendance à souhaiter que toutes les religions cohabitent en se supportant les unes les autres même si elles conduisent fréquemment de nombreuses communautés à ne pas pouvoir se blairer. Désigne aussi des franges radicalisées pour qui l’idée même de croire est un signe majeur d’hostilité envers ceux qui savent.
Xénophobe : se dit de quelqu’un atteint d’une pathologie de frayeur, d’allergie ou tout simplement d’une détestation aiguë des étrangers. Comme toutes les pathologies mentales elle ne se soigne pas par le reproche ni même par l’opprobre mais, occasionnellement, par le délicat éveil à la perspective qu’il y a peut être quelque chose à soigner ou à comprendre, ce qui revient à un art ayant beaucoup de similitudes avec le tissage de la dentelle. Et peu avec la marche décomplexée du rouleau compresseur.
Humoriste : se dit de toute personne ayant vocation à faire rire les gens. Par exemple Jérôme Cahuzac ou Patrick Balkany. Se dit aussi parfois de certaines personnes douées pour l’humour et l’esprit caustique qu’il vaut mieux, à ce moment, neutraliser et exclure des services publics audiovisuels dans la perspective d’abolir dès que possible les services publics audiovisuels qui ne servent à rien à part entretenir des humoristes.
Intellectuels : catégorie de la population qui tente de réfléchir de façon exigeante en visant épisodiquement à transmettre cette exigence à la population tout en évitant fréquemment que la population ne les comprennent trop. (Usage péjoratif :) Figure médiatique animée par des formes sophistiquées de crétinisme érudit s’étalant avec le ton implacable de ceux qui sont pénétrés de la certitude de compter parmi les élus. (Plus rarement:) Se dit parfois de quelqu’un que l’on trouve tout simplement intelligent ou cultivé. Voir éventuellement à « individus particulièrement doués pour la faculté d’abstraction et le fait d’apprécier les tours d’ivoire, en coupant autant que possible les liens avec le monde des affects, de la chair et des tripes, des sentiments et de la sensibilité ».
Convaincre : action mue par la certitude que l’on peut forcer quelqu’un à être raisonnable. En cas de désir irrépressible de « convaincre » un adversaire, se référer possiblement à la phrase de Raymond Devos : « on a toujours tort d'essayer d'avoir raison devant des gens qui ont toutes les bonnes raisons de croire qu'ils n'ont pas tort ». Préférer le terme « argumenter » ou « livrer une hypothèse rationnelle » ou « motiver, stimuler, inspirer, encourager, définir ». Éventuellement renoncer.
Passion : se dit d’un emportement préférable à la morosité fréquente du quotidien. La passion pour quelque chose, par exemple un drapeau ou une équipe de foot, est souvent très supérieurement intense aux habitudes des gens sérieux qui militent quotidiennement pour que les trains arrivent à l’heure ou que tout le monde ait accès à gratuitement à l’école. Depuis l'antiquité, on sait que la passion engendre presque toujours une mort précoce. Mais sans elle, qu’est-ce que ce serait chiant !
Chiant : expression familière désignant tout ce qui n’est ni ludique ni passionnant.
Contrôle : se dit de la tendance à la fois tripale et technologique à utiliser « de l’ordre de l’ordre de l’ordre » comme mot d’ordre. Voir aussi à « De l’ordre nom de Dieu ». Voir même à : « sors tes papiers et plus vite que ça ». Ou encore : « si ça continue comme ça la France va être ingouvernable comment on va faire ? »
Police : de « polis » qui signifiait « cité » en grec ancien. (usage moderne:) métier de haute pénibilité qui donne structurellement à ses agents le loisir de percevoir le monde par son biais le plus violent et dégradant (voir éventuellement à « fabrique du cynisme » ou « constat que la misère humaine donne rarement des résultats délicats et aimables »). Le vivant étant structurellement un mélange subtil d’ordre et de désordre, les fonctionnaires de police ont la mission d’être toujours du côté de l’ordre et par là d’occulter une part importante du vivant. On les appelle rarement les « gardiens de la paix », et c’est assez curieux, la paix étant pourtant une effrontée qui cherche toujours à sortir du cadre. La notion de « flic doux » étant globalement prohibée, il est fréquent que la police ne soit pas très aimée des gens que pourtant elle a mission de protéger. (extrait du petit dictionnaire de sociologie pataphysique :) portion de l’Etat qui gagnerait à être refondée dans la perspective d’une société plus libre, égalitaire et fraternelle. Par exemple, en faisant effectuer à toute personne candidate à exercer une responsabilité politique un stage d’une semaine entière à l’accueil dans un commissariat et un autre aux urgences à l’hôpital.
Équipe de France : espace suspendu et émoustillant où le nationalisme et l’esprit de marchandise poussé à l’extrême, peuvent s’exprimer sans crainte, avec l’assentiment et l’admiration de presque tous. Voir éventuellement à « puissance masculine adulée » ou à « façon de mettre à l’unisson toutes les couches sociales ».
Bonne pensée : se dit du moment où quelque chose devient clair même quand c’est complexe et parfois parce que c’est complexe et en même temps intelligible.
Bien pensance : est à la bonne pensée ce que les prodigueurs de conseils sont à celui ou celle qui s’est déjà suicidé.e. Voir éventuellement à « donneurs de leçon, sophistes, ou narrateurs de l’histoire du point de vue des winners ».
Winner : anglicisme consistant à décerner une valeur haute à des individus qui ont réussi à monter au sommet de l’échelle sociale en marchant parfois sur la tête des autres tout en suscitant leur admiration.
Looser: contraire de winner
Trafic : modalité d’échange permettant de valoriser un produit contre une somme d’argent de façon clandestine ou cachée. Voir éventuellement à « hypocrisie sociale profonde grâce à laquelle la consommation euphorisante et régulière d’un produit par la haute société se convertit mécaniquement en trafic criminel dans la basse société ». Donne le verbe « trafiquer » (voir éventuellement à truander, dissimuler, baratiner, brouiller). On peut trafiquer des résultats électoraux, des organes, des compteurs et un certain nombre de fois, la vérité elle-même.
La Tentative de clarification basiste en milieu hystérisé a été diffusé anonymement en 2 parties sur les réseaux sociaux. Vous venez d'en lire la première partie et pourrez vous référer à la seconde en annexe de mon témoignage dans le cadre de la Commission d'étude sur le grand virage de 2024-2027
Vincent Glenn juillet 2024