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Billet de blog 17 juin 2025

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Vous devriez avoir honte

Je n’envie pas particulièrement celles et ceux qui n’ont aucune vergogne. Pourtant, chez mes camarades écolo-sociaux, je me demande s’il ne faudrait pas un peu moins utiliser l’injonction à éprouver la honte.

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Il faudrait avoir honte d'être insoumis parce que Mélenchon, honte d'être socialiste parce que Hollande, Mitterrand ou Valls, honte d'être communiste parce que Mao, Staline, ou Ceucescu, honte d'être écolo parce que certain.e.s se préoccupent plus des chiens et des chats que des ouvriers.

Honte à vous, les gauches pluricolores avec vos 50 nuances pas sexy. Honte à nous tous, militants bariolés, battons nos coulpes jusqu’au sang, faisons suinter nos impuretés, jamais assez à gauche pour les uns, insupportablement radicaux pour les autres. Construire? La honte on te dit.

Ayons honte de ne pas être absolument certain de la meilleure façon de marcher. Honte d’être « trop universitaire » ou pas assez. Honte d’être marginaux singuliers, au RSA ou fonctionnaire. Honte de ne pas avoir tout compris, de ne pas savoir comment régler tous les problèmes d’une formule magique. Honte à nous, les gauchos, nous pauvres progressistes qui optons pour l’agriculture bio et le prendre soin. Ayons honte de ne pas séduire les foules comme savent le faire avec un populisme bien senti les Hanouna, Bardella, Praud ou Bolloré. Honte de ne pas flatter les bas instincts et la flemme, c’est cool de pouvoir commander un plat de pâtes sur internet. Vous devriez avoir honte de résister à l'air du temps, de continuer de parler de démarchandiser, de culture et de services publics quand tout le monde pense prix bas, consommation maximale et réduction d'impôts. 

Ayez bien honte, vraiment, c’est important, la plus grande honte que vous pourrez. Imprimez un devoir de mémoire, en profondeur, la mémoire d’avoir éprouvé une honte extrême, jusqu’à vous sentir autorisés à détruire l’autre en lui infligeant une honte extrême. C’est cool d’humilier, ça fait du bien. Veillez à vous souvenir avec précision de chaque lâcheté, de chaque traîtrise de l’autre, jusqu’à devenir des tueurs et tueuses impeccables : foutez leur la honte. Rappelez bien leurs erreurs d’hier, insistez sur leurs approximations, prouvez qu’ils ont parfois dit d’authentiques âneries. Qu’importe si, collectivement, nous érigeons en toute inimitié, avec nos meilleurs ennemis de gauche, un boulevard à la droite de la droite, par nos petits devoirs de mémoires additionnés, eux-mêmes lovés dans nos devoirs d’indignations, qui tous ensembles accouchent d’un étrange oubli du devoir de conduite. Qu’importe si ce concert inaudible et criard produit l’étrange omission de tout ce qui risquerait de faire émerger une force plutôt qu’une faiblesse politique. Qu’importe si cela empêche de rendre visible des objectifs politiques à taille humaine visant à protéger et stimuler plutôt que de saccager les écosystèmes, réprimer et déprimer les gens en général et les jeunes en particulier. En face, en France, l’aurez-vous remarqué, ils n’ont plus honte du tout et c’est même devenu un fond de commerce. Honte d’avoir soutenu l’Algerie Française? Honte d’avoir choisi Pétain plutôt que les résistants ? Allez vous faire foutre, vous ne vous en êtes même pas rendus compte mais nous, les nationalistes, on travaille depuis longtemps sur la fierté retrouvée autour de notre drapeau et la mise à mort de votre machine à fabriquer de la honte.

Et voilà qu’à force d’avoir honte et de vouloir faire honte, des gens peuvent sérieusement dire que l’antisémitisme de LFI est le vrai problème, au moment où l’on assassine massivement à Gaza. Et voici qu'à vouloir faire honte, un journal peut se permettre de titrer “la flottille s’amuse” quand deux femmes de haut courage cherchent à attirer l’attention sur l’horreur quotidienne subie par les Palestiniens. Et j’avoue que j’ai moi même assez honte de ces « Nations Unies » qui permettent ce qu’il se passe à Gaza, au Soudan ou en Ukraine. 

Ces massacres auraient-ils quelques fois les mêmes causes ? Si on cherche un point commun, à côté de l’autoritarisme de ceux qui prétendent chasser les voleurs et les impurs à coups de triques ou de missiles, il faut vraisemblablement aller le chercher du côté des blessures narcissiques que certains peuples subissent plus durement que d’autres. Il y a ces « chefs d’Etat » qui savent que rien ne vaut mieux qu’une bonne guerre pour « souder la nation » et se défaire momentanément de l’impopularité. Il y a aussi la conscience d’être victime poussée jusqu’à la transe et à son terme, jusqu'à l’effacement de l’autre. Des mystiques victimaires ont de longue date généré, en rétorsion, des comportements de bourreaux de masse : ici pour “dénazifier” les Ukrainiens, là pour éliminer les Tutsis accusés d'avoir infériorisé les Hutus; l'argument que les Juifs ont été victimes parmi les victimes semble autoriser les militaires israéliens d'écraser les Palestiniens. Le massacre du 7 octobre lui-même aura été le fait de furieux tuant impitoyablement des civils au nom de la guerre au bourreau des Palestiniens. Au nom du nettoyage de la honte, on pourrait lister bien des exactions. Mais au-delà de ces cas indicibles de tueries de masse, je crois qu'il faut prêter attention, politiquement, à ce registre de la "honte". Il n’est pas inutile, par exemple, de se référer à la liesse qui a entraîné des millions de personnes à célébrer bruyamment la victoire du Paris Saint Germain, fin mai dernier, face à l’inter de Milan. Ce besoin d’exulter, de s’exalter collectivement, de laisser jaillir une joie sans entrave quand la plupart des sujets d’actualité sont désolants. Il y a quelque chose, dans le régime informationnel actuel, qui conduit à ce que le fait d’être joyeux peut paraître humainement déplacé : cachez cette joie que l'on ne saurait voir. Or ce soutien enivré à une équipe, incarnation d’une puissance collective réunie autour d'un ballon et d'une finale, nous donne a contrario l’illusion d’être nous-mêmes une puissance collective et encore mieux, une puissance collective victorieuse. Cette équipe parisienne qui, en l’occurence, a su intégrer des éléments "étrangers", qui manifestement en ce cas, ne posent aucun problème aux nationalistes. Une équipe qui a su déchaîner l’énergie du bonheur de gagner, du plaisir de vaincre l’adversaire pacifiquement ou presque : la joie supplante alors soudainement et brièvement toute forme de honte. Que cette équipe-puissance soit elle même soutenue par un pays comme le Qatar qui lui même soutient les Frères musulmans, qui eux-mêmes sont un des cauchemars exprimés par un gouvernement bien à droite dans ses bottes a quelque chose de touchant. Elle traduit un mouvement tripal, cathartique qui transforme passagèrement en  joie débridée toutes sortes de hontes intériorisées. Ces différentes situations me conduisent à une questions à l'usage des 50 nuances écolos-sociales : chers camarades, qui visez à donner un peu plus de chair et de force au mot liberté, au mot égalité et au mot fraternité, vous qui êtes en faveur d’une “préférence humaine”, qui dans votre quotidien ne négligez pas non plus le « local », prêtant attention à ceux et celles qui habitent votre quartier ou votre pays, ne pensez-vous pas qu’il faudrait travailler à porter autre chose que de la honte et du vouloir faire honte ? Il y a des comportements honteux, assurément, et d’autres qui sont plus nettement criminels, autant ne pas confondre les deux.

Lutter contre une politique criminelle ou liberticide aura été à toutes les époques le point de départ des engagements vers l'émancipation. La colère - comme le fait d’éprouver l’injustice ou l’absurdité - est sans aucun doute l’un des leviers qui incitent à se révolter et à agir. Il est pourtant vraisemblable qu’elle ne puisse être l’affect dominant quant il s’agit de construire, de proposer, d’encourager, de politiser, de tisser le social. 

Nous sommes entrés dans un moment historique hystérique où la générosité semble être devenue une sorte de tare, quelque chose de naïf, voire de grotesque, au même titre que la gentillesse. Qui est généreux ou pas assez méfiant semble promis à être un jour ou l’autre détroussé, grand-remplacé, humilié, écrasé, abusé. Et malheureusement, avec l'extension de l'égoïsme comme référence de réalisme, avec la voracité prédatrice comme mode économique normal, avec l'extension des poches de pauvreté, des misères matérielles et psychiques, des délinquances et des incivilités, n'est-il pas vrai qu'il faut se garder d'être trop "gentils" ? N'est-il pas vrai que tout nous incite à nous méfier, de l'information, des gouvernants, de ce que l'on mange, de l'eau que l’on boit, du voisin, de l'étranger ? Dans une société engagée dans une guerre économique banalisée et dans un monde en guerre tout court, penser à soutenir l'autre, encourager l'autre, partager avec l'autre paraît relever progressivement d'une forme de tare. Et celles et ceux qui agissent de la sorte seraient à mi-chemin entre zinzin et jobard, fofolle et crétine.

Il reste pourtant beaucoup de gens vraiment généreux et admirables. Qui ne perdent pas trop de temps avec les outrances verbales des un.e.s et des autres ou à faire commerce de la colère et du ressentiment. Et si l'incivilité ultraviolente traverse bel et bien les populations qui ont grandi avec l’impression durable qu'on les a relégué dans une sous-citoyenneté, si le culte obsessionnel du profit génère d'authentiques psychopathologies de masse, si des milliers d’adolescescent.e.s sont aujourd'hui pris entre le trafic, la prostitution et le caïdat, il existe beaucoup d’individus et de collectifs qui s'ingénient à apporter du soutien ceux qui n'ont pas eu le début du commencement d'une égalité des chances. Il reste des collectivités qui se penchent sur les causes sociales et psychiques qui envoient certains et certaines en prison ou sur le trottoir ou les deux. Il reste des gens qui pensent qu'un programme politique vraiment généreux et exigeant, un projet humain qui veillerait à ne pas tout réduire à une marchandise, a des chances de convaincre un jour beaucoup plus largement qu’aujourd’hui.

En France, ce programme existe, c'est celui du Nouveau Front Populaire. Un programme qu'il faudra de multiples fois ajuster, simplifier, mettre en débat pour réussir à s'adresser à tout le monde et pas à des "publics cibles" ou aux déjà convaincus. Quant au moment où ce programme deviendra crédible, avec des figures politiques crédibles qui s'entre-soutiendront de façon crédible au lieu de se mettre en scène comme des ennemis aussi irréductibles que suicidaires... N'étant pas expert en météorologie politique, permettez-moi de botter en touche.

Une des pistes consiste, sans trop de doute, à travailler à rendre mieux visibles les terrains d'entente qui feront du bien au peuple en général et à ceux qui galèrent en particulier. Une autre piste est dessinée par ces mots de Jacques Prévert : “Il y a sur cette terre des gens qui s'entretuent ; c'est pas gai, je sais. Il y a aussi des gens qui s'entrevivent. J'irai les rejoindre”.

Vincent Glenn

juin 2025

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