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Billet de blog 23 juin 2024

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Retour de Flammes cinquième épisode

En 2024, face à l’offensive Bardella-Ciotti, le Nouveau Front Populaire a dessiné une autre voie. Faire émerger d'autres priorités, une autre humeur et susciter un mouvement d’émancipation dans la durée commença à traverser des esprits de plus en plus nombreux. Il restait encore à trouver le souffle et à poursuivre collectivement un puissant désembrouillage

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(ATTENTION ce texte est une fiction… toute éventuelle ressemblance avec des personnages réels est vraisemblablement intentionnelle)

Partie 5 : Du Nouveau Front Populaire à 20091 fois plus fort

En juillet 2024, face à l’offensive Bardella-Ciotti, le Nouveau Front Populaire a déjoué l’essentiel des pronostics et des sondages. Ce n’était qu’un des indicateurs montrant que d'autres priorités et la volonté de susciter un mouvement d’émancipation dans la durée commençait à concerner des esprits de plus en plus nombreux. Il restait encore à trouver le souffle et à poursuivre collectivement un puissant désembrouillage. Sans compter que le Président Macron semblait particulièrement peu enclin à renoncer à tout ce qu’il avait conquis en faveur des plus riches. 

Il n'empêche que la propulsion du Nouveau Front Populaire a étonné ses protagonistes eux-mêmes. Le chemin vers des conquêtes politiques concrètes restait troué de toutes sortes d’embûches et le programme bouclé en quelque jours par ses différentes composantes fixait un cadre qui allait être logiquement débordé de toutes parts. Mais le Nouveau Front populaire avait initié un enthousiasme inédit et le début d’une prise de confiance dans la capacité de mener une campagne avec toutes sortes de mouvements soucieux d’être synchrones.

Avec le recul, malgré toutes sortes de rebondissements, d’avancées et reculs, de cafouillages en morceaux de bravoure, et surtout d’abus présidentiels inouïs, l’idée d’une autre politique possible s’est ancrée dans l’esprit de millions de citoyen·ne·s à une vitesse que personne n’avait sérieusement anticipé. 

Quant à la question « mais où allez-vous trouver l’argent pour financer toutes ces dépenses », elle n’avait pas encore été déconstruite par la passionnante série documentaire « Là où il y a beaucoup d’argent », mais les prises de position de très nombreux économistes, en particulier la Prix Nobel Esther Duflo, rendait la tâche de plus en plus difficile à ceux qui réduisaient le Nouveau Front populaire à un aventurisme « d’extrême gauche » ou de nostalgiques de l’ère soviétique. 

Cependant, si la gauche n’était pas du tout la même que celle de 1936, l’idée de convertir une partie des revenus des ultra-riches en biens communs suscitait à peu près la même réponse férocement autoritaire de l’oligarchie et de ses obligés politiques de droite : « Plutôt Hitler que le Front populaire » avait choisi le « bloc bourgeois » au milieu des années Trente. En 2024, beaucoup optèrent pareillement en faveur d'une droite radicalisée tournant le dos à toute idée de mettre en œuvre un nouveau contrat social. Comme en 1936 également, le « peuple de gauche », conscient de sa petite montée en puissance, s’employa avec ardeur à obtenir des victoires et à s’obstiner sur ses objectifs : l’abrogation de la loi sur les retraites et celle de la loi travail étaient deux mesures qui parlaient directement à des dizaines de millions de personnes. Malgré les pénibles règlements de compte au sein de la France Insoumise et loin des irréductibles insatisfaits, je me souviens bien, à l’époque, avoir été saisi par ce contrat de législature effectué en quelques jours et réunissant dans la même équipée des figures allant de Philippe Poutou à François Hollande... pour que ces deux là se tolèrent et participent à la même bataille, il fallait que le danger soit sérieux et que la proposition forgée soit consistante. Quant aux accusations en antisémitisme, il faut réécouter l’entretien d’Emmanuel Todd sur Elucid qui dit les choses avec assez peu d’ambiguité : « Je vais vous le dire, honnêtement, si la Wehrmacht revient dans Paris, je vais me cacher chez un militant LFI plutôt que chez un militant de la droite classique ou du Rassemblement National. » Dans le même entretien, il n’était pas pour autant complaisant avec les quelques âneries proférées par quelques militants sous le coup de l’émotion suscité par les massacres de Gaza. Quel que soit ce que l’on pense des militants insoumis et de leur braillard de chef historique, l’accusation d’antisémitisme était non seulement infâmante mais alimentait directement la complosphère : sur la base d’une authentique détestation du gouvernement israélien et de plusieurs décennies marquées par une implacable violence coloniale à l’encontre des Palestiniens, on amplifia alors un mensonge abyssal. 

J’en arrive au texte « 20091 fois plus fort » qui a aussi commencé à circuler au lendemain des élections de l’été 2024… On ne sait toujours pas aujourd'hui d’où il est venu ni quelle a été réellement sa part dans l'émergence, peu après les Législatives de juin 2024, du fameux Mouvement des Insurrections Pacifiques (MIP). 

J’en reproduis ici plusieurs extraits qui me paraissent significatifs des « nouveaux angles de vue » ayant accompagné le passage spectaculaire de la désespérance sociale-écolo du printemps 2024 à la victoire massive de mai 2027. Derrière une tonalité qui renoue avec un certain idéalisme, ce qui est devenu par la suite le très gros succès populaire que l’on sait, n’est qu’un des signaux révélant ce qui était latent à l'époque : à côté du besoin des mesures concrètes portées par le Nouveau Front populaire, il y avait une soif très intense de sens et de changement d’état d’esprit. Une soif d’objectifs humains donnant le goût de s’engager en chair et en os au-delà de l’horizon étroit des smartphones et de la vie sur internet.

20091 fois plus forts

Toi aussi tu avais appris à te résigner. 

Comme nous, tu étais habitué à obéir et donner satisfaction aux caprices de l'économie. 

Comme nous, tu avais perdu le sens du mot « gratuit » parce que tout ce qui se présentait comme « gratuit » signifiait que le produit, c’était nous. 

Comme nous, tu n’avais aucun élan et l’idée même d’élire des personnes pour veiller sur « l’intérêt général » te faisait rire ou pleurer. (…)

Nous étions des millions d’élans fragiles et dispersés. À changer notre impuissance en ressentiments, nos hontes en sottise, nos confusions en violence. Et puis, une fois encore, l’improbable est arrivé. 

Ce n’était pas la lutte finale, mais un nouveau début. 

Ce n’était pas la fin de l’égoïsme parmi les humains mais le début d’une préférence pour la générosité. 

C’était hier, ou peut-être ce matin même.

A cet embranchement où l’on commence à dire partout : vous voyez bien que c'était possible. A ce carrefour où des millions d’âmes se complètent au sein d’un même orchestre apprenant à jouer ensemble sans craindre ni les dissonances ni les accords ni les mélodies libres des solistes. (…)

Nous avons commencé à nommer tout ce qui nous faisait préférer un pouvoir démocratique définitivement imparfait à cet ultra capitalisme gagnant grâce à l’entretien des peurs et la radicalisation du contrôle. 

Surveiller et distraire était devenu l'ordinaire. Se libérer et soigner dessinèrent des architectures extraordinaires. 

La compétition resta vive et sportive, elle n’était juste plus « au dessus de tout ». 

La coopération ne fut pas généralisée, elle devint désirable un peu partout.

C’est en nous ingéniant à soigner la terre et les eaux, que nous avons ensemencé le champ des insurrections pacifiques.

Que serait donc un changement de priorités humaines qui ferait du bien au plus grand nombre ? 

L’orchestre s’accorda sur une tonalité : changer de priorité, c’est avant toute autre préoccupation, cesser de remplacer l’humain par la machine,

cesser la course qui transforme les humains en choses puis en déchets.

L’orchestre se fit entendre en trouvant une mesure commune : 

changer de priorités, c’est un changement de rythme brusque et doux à la fois,

c’est aller moins vite et, au même instant, recueillir l’impression de gagner du temps.

Changer de priorités, c’est penser la conquête de dignité comme une activité de salut public, 

c’est considérer l’ensemble des salariés de l’automobile, de l’aviation, du nucléaire, de l’industrie chimique polluante et trouver avec eux les finalités humaines qui permettront de bénéficier de leurs savoirs et de leurs techniques.

Changer de priorités, c’est réorienter le travail humain vers les actes de dépolluer les eaux et de produire autrement l’énergie, 

c’est faire du recyclage une création et une source de richesse. 

Changer de priorités, 

c’est cesser de croire qu’en envoyant des gens en prison, on réduit le niveau de violence,

c’est prendre garde à ces oubliettes où des gens cabossés deviennent des ultra-énervés dont certains et certaines qu’on appelle des récidivistes ou des radicalisés.

Changer de priorités, 

c’est cesser de confondre la prison et l’asile psychiatrique,

c’est légaliser les drogues et alerter massivement sur leur toxicité,

c’est cesser de croire que cela sert à quiconque de punir quelqu’un qui en est malade, 

c’est cesser de croire qu’on arrête le trafic lorsqu’il génère des profits aussi inouïs,  

c’est cesser d’alimenter le trafic par l'interdit lui-même (…)

Changer de priorités, 

c’est comprendre que les gens désirent presque toujours par dessus tout qu’on les respecte et d’être fiers de quelque chose,

c'est observer qu’un sourire ou un regard qui considère l’autre comptent parmi les puissances qui défient le mieux la misère (…)

Changer de priorités, 

c’est accepter que nous ne nous aimerons jamais tous et toutes, 

que les phobies font partie de l’existence humaine,

que certaines de ces phobies se soignent quand d’autres contraignent à ce qu’on apprenne à vivre avec même si on les déteste.

Changer de priorité, c’est comprendre qu’on ne lutte pas « contre le racisme » mais pour l’intelligence, la culture et la tolérance, 

c’est rayonner de ce que la tolérance n’est pas une posture de faible. 

Changer de priorités, c'est faire en sorte que la recherche scientifique et médicale soit déconnectée des enjeux de profit et investir massivement dans celle-ci,

c'est situer comme une exigence humaine première la fin de la famine dans le monde et l’objectif de donner accès partout à l’eau potable,

c’est ouvrir une multitude de chantiers qui concrétisent les droits humains. 

Changer de priorités, 

c’est chercher la source des impuissances qui tuent à petit feu ou conduisent à brûler des bibliothèques, 

c’est créer une grande filière prestigieuse des métiers de l’accueil. 

Changer de priorités, 

c'est croire que dans un monde inondé de fausseté, la sincérité va finir par s’entendre et gagner une valeur telle qu’elle n’aura pas de prix (…)

********************

Ces extraits du texte signé du collectif 20091 fois plus fort, ne sont pas sans laisser l’impression d’un utopisme relativement stratosphérique... 

Il me paraît cependant compter parmi les très nombreux éléments qui ont dessiné le virage de 2025-2026, témoignant de ce moment où il n’y avait pas seulement des enjeux « concrets et chiffrés » mais des enjeux d’imaginaire, de changement de tonalité et de création de sens. 

Qu’on se souvienne des mots de Daniel Mille repris par Jean-Louis Trintignant : 

« Combien coûte un kilomètre d'autoroute…? 

Un grand stade à footballer…? 

Combien ça coûte une famille pour qu’elle survive une année juste en mangeant des lentilles et en payant son loyer? 

Oui dites-moi combien ça coûte un char Leclerc, un exocet, un cocktail ministériel, des grands travaux présidentiels ? 

Combien ça coûte le prestige ? 

Combien ça pèse la détresse ? 

Combien ça coûte l’indifférence, 

dans notre beau pays de France? »

De combien ça coûte la question principale est progressivement devenue, en quoi ça me rend digne de faire ça, de m’adonner à cette discipline là, à ce métier là. 

Que pouvait bien être un saut qualitatif aussi conséquent que celui de 1789, de 1936 ou de 1981 dans la France et le monde de 2024? Certainement pas une simple passation de pouvoir, ni un nouveau consumérisme. Je cite de mémoire le polémiste Diogène Lacarne: 

« Pour sortir la tête de la confusion il faut déchiffrer. Et pour déchiffrer, il faut se sortir un peu la tête des chiffres ».

Faire exister des politiques publiques à la fois vraiment écologiques et vraiment sociales, face à des adversaires concentrant autant de pouvoirs et réalisant autant de profit grâce au mal-vivre exigeait une force citoyenne beaucoup plus puissante que ce qui avait été tenté jusque là. Et de réussir à rendre les communs plus désirables que le bénéfice court-termiste.

Il y avait les inévitables tambouilles électorales, les indispensables évolutions salariales, la lutte contre la vie chère et les injustices infligées aux plus précaires, les batailles pour faire reculer l’intolérance et les malaises identitaires. Il y eut aussi, grâce aux apports d’une multitudes d’inventions, le pari de faire du Nouveau Front populaire le point de départ d’une déferlante citoyenne suffisamment durable pour infléchir l’histoire. 

En 2024, le binôme Ciotti-Bardella s’activait vers d'autres orientations… La bataille ne faisait que commencer. On sait depuis que les « bordelisateurs » n’étaient pas ceux que la majorité des médias désignaient alors à la vindicte. 

L’épisode 6 prochainement : «  moitié épilogue moitié à suivre ».

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