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Billet de blog 27 mai 2024

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Retour de flamme, troisième épisode

Le changement de bain culturel n'est pas tombé de nulle part. Il est venu parce qu'une myriade d'individus, un peu partout ont mis en avant des idées, un ton nouveau, des pratiques et des perspectives quittant résolument le ressentiment et le cynisme marchand. De là, l'enjeu de s'organiser est devenu clair pour beaucoup.

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3ème partie: des idées, des mouvements, un programme et des orgas

(ATTENTION ce texte est une fiction… toute éventuelle ressemblance avec des personnages réels étant cependant intentionnelle)

Nous avions laissé les banquiers orienter le monde pendant des décennies, jusqu’à en placer un à la tête de notre République. Par toutes sortes de signes, ce que l’on venait de vivre commençait à être identifié plus largement : une longue séquence d’aveuglement collectif. Un certain « bon sens populaire » se faisait entendre, de plus en plus sonore : les banques en tant que moyen sont un outil pratique incontestable. Les avoir érigées comme des finalités en osmose avec l'impératif univoque du profit était une aliénation dont on peinait à comprendre comment elle avait pu faire si durablement illusion. 

Certes, l’égoïsme n’est historiquement pas moins « humain » que la générosité. Mais c’était le premier qui, depuis de longues années, était devenu « branché ». Et la seconde qui montait à présent comme une qualité humaine ressourcée et désirable. 

On sait à présent que ce qui a finit par édifier un pôle politique de dizaines de millions d'âmes peut s’énoncer simplement, tout au moins dans ses objectifs premiers : faire payer les gens qui peuvent payer et cesser de stigmatiser les précaires. Avec le recul, quand on regarde les images d’un Gabriel Attal, martial, expliquant la vie aux chômeurs de longue durée et comment il entendait les « activer », il est troublant de se souvenir que c’était nous, les opposants minoritaires, qui semblaient être dans l’irréalisme éthéré.

Il faut même se pincer quand on regarde aujourd’hui les images des actualités du printemps 2024. Le débat entre les 2 jeunes coqs « le bardellattal » - que certains mauvais esprits avaient aussi nommé le faf à faf - indiquait que quelque chose n’allait décidément plus du tout. Le match télévisé entre ces 2 figures totalement dénuées d’expérience professionnelle expliquant ce que devait être le destin de la France a pesé fort pour que le curseur de l’absurde vienne activer l’alerte rouge. 

Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur le constat que ce débat fut, par la colère qu’il inspira, un des leviers déterminant pour faire monter la VV. (la Vague de Vrai, cf épisode précédent) Mais ce sont bien les 76% d’abstention chez les 18-25 ans aux élections Européennes de juin 2024 qui ont déclenché la campagne du mouvement Rien ne va plus (RVP). C’est ensuite l’action durable de ce puissant RVP qui a conduit avec une énergie inouïe aux 80 % de jeunes qui ont ensuite voté aux municipales de 2026. Score historique à différents titres. Beaucoup de choses sont allées en ce sens. Beaucoup ce qui semblait banal est devenu anormal, et beaucoup ce qui apparaissait comme exception utopique ou même « naïve » s’est changé en qualité publique. 

La principale ligne de force fut bien entendu la fameuse « grande cotise », idée longtemps jugée « trop simple » que l’on trouva soudainement répercutée jours et nuits sur les réseaux sociaux : face aux coupes scandaleuses des 20 milliards d'euros de dépenses publiques annoncées par Bruno Lemaire, l’urgence de solliciter les 500 milliardaires afin qu’ils prennent décemment leur part dans l’effort national est passé du rang d’utopie gauchiste à celle d’évidence populaire numéro 1. La bataille pour les retraites avait semblé fermer les portes de toute espérance écolo-sociale. L’émergence de la « grande cotise » compta parmi les clefs qui permettaient l’inverse : ouvrir grand le portail d’un imaginaire qui a conduit directement aux conquêtes écolo-sociales en cours. 

Il est également assez clair aujourd’hui que c’est sur la base de cette première évidence, qu’ont rapidement émergé les grandes lignes du programme « Union 12 ». De même que la plupart des observateurs considèrent aujourd’hui le caractère décisif d’Union 12 « ce grand moment de lisibilité » pour reprendre l’expression utilisée alors par Lionel Jospin plus vert que jamais dans sa 88ème année !

Sans trop sacrifier à la simplicité, Union 12 aura joué un rôle déterminant par sa capacité à clarifier les enjeux pour le plus grand nombre et permettant in fine à une diversité inédite de profils de s'impliquer dans une myriade d'activités à la fois utiles, vitales et surtout convergentes. 

L’instauration du revenu maximum compta logiquement assez vite parmi les nouveaux objectifs du pays. Le syndrome Tavares et ses gains de 100 000 euros par jour a fait beaucoup pour qu’une majorité de Français adhère à l’idée que 500000 euros par an, c’était acceptable comme une sorte de médaille d’or pour une distinction particulière mais que « plus c’était trop ». 

Les élu.e.s de la Constituante en ont fait comme on sait une bataille aussi humoristique qu’exaltante dans l’ensemble de la population. Quant aux 10% qui possédaient à l’époque 50% du patrimoine des Français, on constate que depuis, plus de la moitié se sont inscrit volontairement dans le programme des « biens publics vivants », ce qui est considérable. 50% de propriétés privées devenues bien communs, qui aurait pu croire un truc pareil ?

Sur un tout autre plan, il semble que la réémergence de la notion de métier ait compté pour beaucoup dans les évolutions en cours. La patronne de la CFDT avait donné une des lignes de force : comme on la vu depuis, le degré zéro du politique ne consistait pas à réduire la dépense, mais bien à trouver de nouvelles recettes au sein d’un pays qui n’avait jamais été aussi riche de son histoire. Quant à la CGT de Sophie Binet, la réactivation de l’imaginaire des jours heureux leur doit beaucoup, de même que l’activisme de la LDH, ceci dès l’année noire de 2024. Le décret du 1er juillet durcissant encore les conditions pour être indemnisé par l'assurance chômage rassemblait contre lui à peu près tout ce qu'il y avait d'humanistes dans le pays, mais cela ne se verrait dans les rues qu'à partir de l'automne... 

Sur le plan sociologique, on voit bien, aussi, que « L’Archipel français » théorisé par Jérôme Fourquet méritait d’être sérieusement reconsidéré : car derrière l’apparence d'une société ultra-divisée qui plébiscitait le profil de jeunes loups de droite expliquant les nécessités d’une France « redressée », derrière les discours rabâchant auprès des vieux que « c’était beaucoup mieux avant », il y avait une indignation commune et une intelligence qui ne demandait qu’à se précipiter. Au sens d'un précipité chimique... Il y avait un désir d’éruption de quelque chose commun à beaucoup de gens, qui n’était pas franchement audible sur BFM ni sur LCI ni même sur France télévision. Quelque chose comme une puissante recherche collective de sortie de tunnel concernant autant les jeunes des quartiers que les ouvriers, les gilets jaunes, les universitaires, les personnels hospitaliers, les paysans ou les intermittents du spectacle. Des graines devenues racines qui aspiraient dans l'obscurité de la terre à sortir au grand jour et tendre branches et feuilles vers le soleil. Ce « tunnel » que l'on pouvait nommer ressentiment, honte de soi, mensonge généralisé, corruption, fascisme, consumérisme ou encore hypocrisie normalisée. Assange croupissant en prison, difficile de faire plus parlant.

C’était assurément un long tunnel dans lequel on nous distribuait toutes sortes d’œillères pour assombrir encore nos visions : la chosification comme objectif « simple », le remplacement des humains par les machines qui font « tellement plus vite et mieux », le profit comme garantie de ce qu’est le bien, l’accélération de tout comme signe de « santé économique ».

Nous vivions une longue blessure narcissique aggravée chaque jour par un des jeux les plus stupides que l'humanité a su produire : la mise en impuissance de soi et de l’autre. L’amusement cruel et imbécile de préférer voir l’autre frustré, éreinté, humilié, démoralisé, plutôt que dans l’accomplissement de sa puissance d’agir. Cette pathologie autant sociale que frappant les individus avait des conséquences d'autant plus démentes qu'elle n'était que très faiblement conscientisée. Et provoquait la maladie opposée, et tout aussi destructrice : la quête de la toute-puissance.

On sait aujourd’hui que s’il y a eu bascule, c’est parce que des dizaines de millions de personnes comprirent au même moment l’exigence basique de proposer des projets tout autrement motivants pour les jeunes et la perspective d’une aventure humaine autrement désirable que l’école en uniforme à l’entrée et la pollution généralisée à la sortie avec au milieu, un arsenal de bullshit jobs. 

Contrairement à ce que claironnaient la communication ordinaire, nous n’avions pas besoin des modes de vie exigeant que les êtres se fondent entièrement dans le moule de l’épargne, de la propriété et du crédit. Le slogan populaire, tant entendu lors des occupations pendant toute l'année 2025, l’exprime on ne peut plus clairement : « jeune jeune jeune soigne tes vieux, vieux vieux vieux passe à tes jeunes. ». Il n’y avait au fond rien d’aussi nécessaire que cesser de faire du jeunisme sinon rompre avec la tendance à s’adapter sinistrement aux exigences de vieux riches qui faisaient tout pour contraindre les jeunes à partager leurs peurs. 

Je reviendrai plus tard sur la thermodynamique quantique et l’émergence stupéfiante de l’effet Boson qui fut, en soi, un catalyseur inimaginable dans l’évolution systémique qui a saisi tout le monde par sa soudaineté et son ampleur. Dans le cadre de la collecte des Mémoires et pour prendre ma part dans le processus constituant, je vais surtout témoigner sur le volet politique, l’endroit où, par mon itinéraire, j’ai le plus recueilli d’échantillons significatifs. 

Chacun sentait bien que l’affect de colère ne pouvait à lui seul générer une énergie décisive et victorieuse pour les écolo-sociaux. Pas plus qu’on ne pouvait se libérer des politiciens de la peur et des médias de la peur en entretenant nous mêmes la peur: peur des fachos, peur des voyous, peur de rater, peur d'essayer, peur des jeunes, peur des vieux, peur du changement, peur de la mort, peur de bouger, peur d'y rester... 

Bifurquer supposait comme dans les arts martiaux, utiliser une partie de l’énergie de l’adversaire pour le déstabiliser et surtout l’engager vers un nouveau sens. Même fortement imprégné de marxisme, il était devenu difficile d’imaginer qu’un rapport de force permettrait de « soumettre » le capital de façon unilatérale comme y travaillèrent les bolcheviques au début du 20eme siècle. 

Personne ne croyait plus à une quelconque « lutte finale » et avec les camarades des 5R (Mouvement révélationnaire pour la reconsidération radicale de la production et de la redistribution des richesses) nous pensions que c’était plutôt mieux comme ça. L’imaginaire des « finales » s’estompait face aux celui des commencements. A la finance succédaient toutes les activités de débutance. J’ai gardé un exemplaire de la première de couverture du Figaro d’avril 2025 titrant « le grand réenchantier ». Difficile d’illustrer mieux le virage en cours. Aucun changement d’ampleur ne peut se faire sans une population majoritairement déterminée à le porter quotidiennement pendant un long moment. 

N’importe quel jeune uberisé savait parfaitement et d’expérience, qu’avec les « cassoces » qui évoluaient autour de lui, il était de plus en plus difficile de parler de « lutte des classes » ou même d’une quelconque idéologie : pour faire changer de voie un jeune trafiquant de drogue, il n’y avait pas d’autre moyen que de lui faire découvrir autre chose de tout simplement plus motivant. Sur la base de ces impasses de raisonnement et face à la multiplication des violences et des règlements de compte, beaucoup comprirent qu'il n’y avait pas moyen « d’anéantir » les énergies, même si elles sont parfois hyper-toxique. Nous nous devions de trouver les moyens de les canaliser vers d’autres finalités que l’économie de la mort. Cette conscience là aura joué à plein, notamment dans refonte radicale actuelle de la politique carcérale et dans le fameux programme "considérer les addictions".

Les réflexions d’un Frédéric Lordon sur la révolution ont un temps fait rire les géants capitalistes. Croisant l’un d’entre eux, millionnaire « repenti » souhaitant investir en faveurs de « causes utiles », celui-ci m’avait confié, l’air amusé : « tant qu’on a des maximalistes de cette espèce, rien ne changera, en tout cas, personne ne viendra piquer notre pognon. Prendre l’argent des riches demandent qu’ils soient en partie d’accord ou au moins qu’ils en aient l’air ». C'était qu’en partie juste. Mais Lordon n’était pas que dans une forme de nostalgie léniniste survoltée. Il avait une faconde, un parlé particulièrement clair, une capacité d’énoncer et de dénoncer qui frappait fort et juste. Face aux militants de Révolution permanente, il était certes facile de faire effet en annonçant la Révolution. Mais dans son discours, c’est surtout l’image du « capital qui a faim » qui aura marqué les esprits, interpellant les consciences des jeunes, mais surtout de la plupart des relégués. La formule parlait. Elle contribuait à mettre les luttes en forme et en force. Le vrai émergeait, montant comme une sève derrières les outrances. Une faim de citoyens organisés commençait à s’en prendre, avec une subtilité et une puissance inédite, à la gloutonnerie dévastatrice du capital.

prochain épisode, samedi prochain : A l'automne 2024, la bascule avait commencé

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