Vincent Goulet
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Billet de blog 15 oct. 2014

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Université : un malaise profond et partagé

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Suite à la publication des raisons de ma démission de l'université de Lorraine, j'ai reçu des dizaines de messages d’enseignants-chercheurs et de personnels administratifs qui m’ont fait part de leur désarroi ou de leur colère. La plupart sont en Sciences Humaines et Sociales ou en Lettres. Personne ne m’a dit que tout allait bien (ni même Geneviève Fioraso qui, elle, ne m’a pas écrit !). Voici quelques extraits de messages que leurs auteurs ont bien voulu me permettre de publier .

 Un maître de conférences (MCF) à Orléans :

« Comment tout cela, tout ce que vous décrivez, a-t-il pu se produire ? Et pourquoi rien ne se passe ? Pourquoi ne parvenons à rien ?

Je viens d'être débarqué de mon poste de chef de département à l'IUT, pour m'être insurgé contre la reconduction du gel d'un poste de Prag et la prochaine congélation d'un poste de MCF, ajoutées à des réductions de budget et des pressions sur les effectifs d'étudiants par groupe de TD...

L'équipe est composée de 11 permanents normalement, dont 1 Past à 96 h/an et un MCF nouveau venu qui bénéficie d'une décharge de service pour se consacrer à la recherche. Nous serons, à la rentrée 2015, plus que 9 (dont toujours un past et un MCF en décharge). Il nous faudra partir à la recherche d'autres vacataires, or nous en employons déjà au moins 35 et les permanents totalisent presque 1000 heures complémentaires par an, depuis plus de dix ans...

Ce que vous décrivez sur l'explosion de la charge de travail, l'envahissement des contraintes administratives et le reporting bureaucratique est le quotidien des IUT depuis toujours (avec cette différence peut-être avec les UFR que nos effectifs sont plus faibles : nos promos de 1er année n'ont jamais dépassé les 90 étudiants, mais il nous a fallu inventer des licences pro et développer l'alternance, innovations qui, menées à moyens constants, ont pesé plus encore sur notre temps et conditions de travail). Imaginez, avec les restrictions, ce que cela signifie du point de vue de la production scientifique, dont tous les présidents se gargarisent pourtant au prétexte qu'elle constitue la pierre de touche de l'excellence dans les classements internationaux...

Si c'est pas de l'injonction paradoxale ça, je ne m'y connais pas... »

Un MCF à Paris :

« Je tenais à vous remercier pour votre lettre ouverte à G. Fioraso, qui met des mots sur le sentiment général, et que je diffuse.

 Avez-vous prévu une publication dans la presse ? Ce serait d'intérêt public je pense. Nous sommes tous au bord de la démission ou de la crise de nerfs. »

Une secrétaire (Biatss) à Metz :

Il serait tellement plus facile de travailler à l'université, et plus particulièrement, à celle de Lorraine si un certain nombre d'agents, enseignants et Biatss, décidait de s'exprimer, de ne plus être des moutons craintifs.

Il est dommage que les enseignants ne réagissent pas plus car ils ont de plus en plus le réel pouvoir.

Il est dommage que les BIATSS ne réagissent pas plus car ils pourraient, eux aussi, bloquer le système.

Mais il est certain qu'il s'agit actuellement de la chronique d'une mort annoncée.

Nous pouvons économiser pour notre enterrement.

Mais allons-nous mourir dignement en nous battant ou nous laisser mourir, seul(e-s), à petits feux ?

Allons-nous nous résigner et tout accepter ?

Vous décrivez les affres des enseignants-chercheurs, mais il en est de même pour les BIATSS à qui on impose de plus en plus de contraintes administratives, hiérarchiques.

Leurs conditions de travail se détériorent. L'ère des petits chefs est en plein développement.

Et ainsi, semant la peur, on parvient à construire un édifice sans aucune base.

Va-t-il s'écrouler ? Peut-il tenir s’il n'y a plus que le sommet ?

Le jeu en vaut-il la chandelle ? je ne sais pas.

Pour ma part, il ne me reste plus que quelques années et je serai débarrassée de ce monde pourri.

Mais les autres ? C'est pour eux, qu'aujourd'hui nous tentons de limiter les dégâts. Sans beaucoup de réussite, certes. »

Un PRAG (professeur agrégé en IUT ou université) à Bordeaux :

« Je vous rassure : il reste des enseignants-chercheurs qui ne se préoccupent nullement de toutes ces tracasseries administratives. Leur méthode : ils font le travail de recherche qui les intéressent, assument leurs obligations d'enseignements a minima et ils laissent simplement le reste... à leurs collègues ! »

Un MCF à Besançon :

« J'approuve votre action. J'espère qu'elle éveillera des réactions auxquelles je souscrirai sans réserves.

Pour moi, il est tard, j'ai l'âge de la retraite, mais je peux d'autant plus mesurer le recul depuis mon entrée dans l'Université. »

Un MCF en Lorraine :

« Je tenais à vous dire que votre lettre ouverte m'avait touché. Je pense que nous sommes très nombreux à partager le constat que vous faites. Mais la question centrale aujourd'hui, me semble-t-il est la suivante : que faire pour que les choses changent ? J'avoue que je me pose la question depuis un long moment, j'ai sans doute participé à tous les mouvements depuis une dizaine d'années (dont Sciences en marche actuellement) et bien qu'étant loin d'être résigné, je me demande encore à l'heure actuelle comment m'y prendre... »

Un professeur des universités à Paris :

« Je viens de lire votre texte et prends connaissance de votre démission... courageuse. Elle remet évidemment en cause ceux qui restent ! Comme moi. Même s’ils peuvent partager le constat que vous faites. À dire vrai, je n’ai jamais pensé démissionner. Ce qui m’interpelle pour tout dire !
Il me semble que malgré tout nous avons plus de chances que d’autres quand je vois les  conditions d’autres univers sociaux. Et que malgré tout nous pouvons à la marge, moins que nous le souhaiterions, réfléchir, écrire, publier. Ce qui n’est déjà pas si mal. »

Un PRAG à Metz :

« Je suis PRAG et enseigne depuis plus de 15 ans sur le site de Metz. J'enseigne l'anglais et le suédois. Lundi matin, un mail lapidaire exigeait la fermeture de mon groupe de suédois de l'après-midi, sans aucune possibilité de discussion. Comme l'enseignement du suédois me tient particulièrement à cœur, j'ai fini par proposer d'assurer les cours gratuitement. Mon don a été refusé. Je suis maintenant comme vous, dégoûté d'un métier que pourtant j'aimais et habité par des envies de démission. »

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