C’est un parti qui fut autrefois la maison commune de la droite dite républicaine, héritier du Général de Gaulle et du principal rédacteur de la Constitution de la Ve République, Michel Debré. En 2025, le parti Les Républicains est affaibli, électoralement bien sûr, mais surtout moralement. Dans une sorte de dernière convulsion au milieu de son agonie, il est la scène d’un affrontement déplorable entre le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau et son principal représentant à l’Assemblée nationale, Laurent Wauquiez.
Dans la bataille que se livrent ces deux hommes, l’un héritier de Philippe de Villiers, l’autre de Nicolas Sarkozy, l’État de droit, la légalité, les droits fondamentaux et la justice sont pris à parti dans une sorte de jeu dangereux. Qui sera le plus outrancier ? Dans ce concours odieux, Laurent Wauquiez a pris une avance considérable le mercredi 9 avril, à l’occasion d’une interview pour le magazine du groupe Bolloré, le JDNews. Beaucoup ont retenu de cet entretien complaisant les propos chocs du président du groupe Droite Républicaine à l’Assemblée nationale sur l’envoi des personnes sous OQTF (obligation de quitter le territoire français) à Saint-Pierre-et-Miquelon.
La proposition est ridicule. Elle est techniquement irréalisable. La France multiplie les OQTF – près de 150.000 par an – et Saint-Pierre-et-Miquelon est un territoire de 5.600 habitants. Elle est symboliquement désastreuse. Elle renvoie Saint-Pierre-et-Miquelon à l’image d’un enfer blanc dont le gouvernement français devrait disposer indépendamment des souhaits de ses habitants, qui, d’ailleurs, ne seraient pas tout à fait français puisque vivant dans un territoire à part. Elle est enfin une négation de plusieurs fondamentaux de l’État de droit. Elle assimile les personnes sous OQTF à des détenus, ignorant qu’une large majorité d’entre eux ne sont ni criminels ni délinquants. Laurent Wauquiez sait par ailleurs que la faiblesse du taux d’exécution des OQTF est le résultat de la conjonction de deux facteurs : on l’a dit, la France en délivre à foison et les pays de retour n’acceptent pas leurs ressortissants. Ce faisant, il sait pertinemment que sa proposition aboutirait nécessairement à une déportation illimitée dans le temps, de milliers de personnes, bien loin des dispositions de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, qui garantit à tous, nationaux ou non, le droit à la sûreté et le droit de ne pas être détenu sans condamnation judiciaire. Or, les OQTF, rappelons-le, ne sont que des décisions administratives qui ne sont donc pas ordonnées pas le juge judiciaire, garant des libertés individuelles. Et si leur légalité peut être contestée devant le juge administratif, la décision de ce dernier ne fait que confirmer ou infirmer la possibilité pour l’administration de prendre cette mesure. En admettant la légalité d’une OQTF, le juge administratif ne donne pas à l’administration l’autorisation de déporter la personne concernée.
La proposition concernant le traitement des personnes sous OQTF est donc une aberration qui a sidéré la classe politique, Rassemblement national compris. Laurent Wauquiez s’en frotte les mains. Non seulement on parle de lui et il jouit d’une belle occasion de se poser en pourfendeur de la prétendue « bien-pensance » qui enivrerait la classe politique. Mais en plus de cela, les médias et ses adversaires ignorent le reste de son propos dans cette interview. Il y a pourtant beaucoup à dire et c’est ce sur quoi il convient de s’attarder.
Esseulé dans une campagne qui semble tourner à l’avantage d’un ministre de l’Intérieur qui ne s’embarrasse pas non plus des conventions républicaines, Laurent Wauquiez chevauche – mais il le fait depuis un bon moment, il faut l’admettre – le souffle populiste mondial. Par fascination pour le discours trumpiste et muskien de dénonciation de « l’État profond », l’Auvergnat s’attaque dans cette interview du 9 avril, à ce qu’il qualifie de « carcan de l’impuissance ». Dans cette expression, Laurent Wauquiez regroupe à la fois la « dictature administrative » et le « coup d’État de droit des cours suprêmes ». Par ces saillies, le député attaque de front les contre-pouvoirs qui garantissent le respect non seulement de la légalité mais plus largement des principes qui font de notre société une démocratie moderne. Lire cette interview et en analyser le verbe est une manière de dévoiler le projet réel de Laurent Wauquiez et de la droite qui se qualifie de républicaine pour la France.
« Dictature administrative »
Laurent Wauquiez n’innove pas. Depuis des mois, on peut lire, dans ses sorties médiatiques, la haine qu’il voue aux démembrements de l’administration. Encore président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, en mai 2024, il avait conjugué son ultra-libéralisme avec sa démagogie en suggérant que la France était gouvernée ou du moins enserrée par un « État profond ». Presqu’un an plus tard, dans l’interview qu’il donne au JDNews, le désormais député vise la « dictature administrative ». Dans les deux cas, il pointe les agences et opérateurs de l’État. Pour lui, sur les mille qu’il identifie, les deux tiers devraient disparaître.
Dire que la France est bourrée de ces fameux « comités Théodule » dont l’intérêt semble très limité n’a rien de novateur. Cela n’est pas, en soit, une attaque en règle contre la démocratie et l’État de droit et la réflexion sur les lourdeurs administratives en France est légitime. Mais ce n’est pas la discussion qu’ouvre Laurent Wauquiez. Lui, ose évoquer cette « dictature administrative ».
Pour supporter son propos, il évoque l’Agence de l’environnement et de la maîtrise des énergies (ADEME), l’Agence de régulation des communications (ARCOM) et la Commission nationale du débat public (CNDP). Ces exemples et les griefs qu’il leur porte sont parlants. À l’ADEME, Laurent Wauquiez reproche une « propagande anti-nucléaire » sans que l’on trouve quelconque preuve de ce qu’il avance. C’est la « censure de C8 » qui vaut à l’ARCOM une proposition de mise à mort du patron des députés LR qui, d’évidence, fait peu de cas de l’indépendance des médias ou, plus simplement, des prérogatives de l’État concédant. Faute de mieux, c’est le traitement jugé trop élevé de son président qui justifie, pour Laurent Wauquiez, la suppression de la CNDP. La réalité est que son rôle d’organisatrice de la concertation citoyenne sur les projets environnementaux gêne le candidat à la présidence des Républicains, pour qui l’écologie est un point de détail.
La CNDP est une autorité administrative indépendante (AAI). L’ARCOM est une autorité publique indépendante (API). La différence entre les deux types d’agences est mince et tient à leur personnalité juridique. Relativement à notre propos, l’essentiel réside dans leur rôle dans la maille administrative du pays. Les agences, dont la création remonte à 1978, sont des organismes essentiels dans le paysage institutionnel car elles participent à la protection des droits et libertés et à la régulation de l’économie de manière indépendante, c’est-à-dire sans tutelle du Gouvernement. Leur indépendance est leur atout mais c’est aussi ce qui leur vaut la haine de Laurent Wauquiez et de la cohorte de libéraux autoritaires qui partage sa rhétorique.
Atout car l’indépendance est la garantie de la neutralité de l’action de ces administrations déconcentrées de l’État. L’idée est simple. Certains secteurs de la vie socio-économique essentiels doivent échapper à la querelle politique et aux influences. Le cas du secteur des médias est parlant. Sa régulation est laissée à une autorité indépendante du pouvoir politique en ce que les médias sont une part essentielle de l’espace public, c’est-à-dire du lieu de compétition politique et de remise en question du pouvoir. Dans le cas de la CNDP, l’idée est de confier à une agence indépendante le soin d’organiser la consultation des citoyens sur des projets affectant l’environnement. C’est donc retirer la maîtrise de l’information sur des projets impactant des mains des pouvoirs politiques locaux qui pourraient être tentés d’étouffer les protestations légitimes des sociétés civiles locales. Dans le domaine économique, les agences telles que l’Autorité de la Concurrence, régulent les marchés pour éviter que les acteurs les plus puissants n’abusent de leurs positions dominantes et imposent ainsi la loi du plus fort.
Mais c’est précisément cette indépendance que Laurent Wauquiez ne supporte pas. Pour lui, les pouvoirs exécutifs – locaux ou national – doivent avoir la main sur l’intégralité des politiques publiques. Il voue aux gémonies ces autorités qui, parce qu’elles sont indépendantes, endossent le rôle de contre-pouvoirs. Ce libéral convaincu veut que les plus puissants ne soient pas entravés. Ce propos défavorable aux contre-pouvoirs administratifs est un aveu : Laurent Wauquiez est un autoritaire qui considère que les pouvoirs établis ne doivent pas subir les freins qu’exigent pourtant une société démocratique, c’est-à-dire une société qui valorise l’égalité des chances, l’équité et la cohésion sociale.
D’un point de vue économique, cela se traduit pour une préférence marquée pour la dérégulation et la large autorisation accordée aux acteurs économiques bien établis et puissants de manipuler les marchés pour maximiser leurs profits. Ce faisant, l’écologie est observée et présentée comme un frein aux affaires et n’est abordée que par son prétendu caractère liberticide. Ici, la liberté d’entreprendre est entendue comme la liberté de quelques-uns à s’enrichir indéfiniment, au mépris de l’environnement naturel et social. Ce principe constitutionnel doit pourtant être compris comme une liberté partagée et devant être accessible à tous. Or, la dérégulation, en favorisant les positions dominantes et leurs abus, aboutit à un marché faussé, non-concurrentiel et donc excluant pour la majorité des acteurs économiques aspirant à l’investir. Et, plus grave encore, elle permet la destruction de l’environnement naturel, ce qui, à terme, promet à tous une aggravation des pertes, économiques, sociales et humaines.
D’un point de vue politique, l’aversion de Laurent Wauquiez pour les contre-pouvoirs est, plus largement, une préférence pour un exécutif autoritaire. Dans son interview, le député affirme, en citant, le cardinal de Richelieu, qu’il est temps de « rendre possible ce qui est nécessaire ». Les AAI et les API, en retirant à l’exécutif des champs d’action publique, le restreignent et empêchent ainsi des gouvernants autoritaires de régenter toute la société. Pour un aspirant autoritaire, c’est forcément une hérésie.
Dans une logique usée et réusée, Laurent Wauquiez estime que le pouvoir exécutif en France et précisément le président de la République, puisqu’élu au suffrage universel direct, est le détenteur unique de la souveraineté nationale et donc de la légitimité à conduire l’action publique. Selon lui, les agences et établissements publics ne peuvent agir avec légitimité puisqu’ils ne sont pas élus directement par le peuple. Ce faisant, la seule règle démocratique, selon Laurent Wauquiez, est la concentration des pouvoirs dans les mains du chef élu.
L’Auvergnat oublie plusieurs choses. Il oublie d’abord que les agences et les établissements publics sont, par application de la Constitution – la règle suprême dont s’est dotée le peuple souverain – des créations du législateur, c’est-à-dire des représentants, élus, du peuple, réunis en Parlement. Le Parlement est tout autant l’expression de la souveraineté populaire que ne l’est le président de la République. On pourrait même porter l’argument selon lequel le Parlement, par sa pluralité et malgré les déformations dues aux modes de scrutin, est bien plus légitime que le président de la République dans le conflit pour l’incarnation de la souveraineté populaire.
Il oublie ensuite que l’État de droit moderne est une architecture nécessairement complexe. La complexité est l’assurance de la limitation des pouvoirs et surtout de leurs abus. Surtout, l’État de droit moderne, compréhensif, est le régime de l’autolimitation. C’est le cadre choisi par les peuples ayant atteint une haute maturité démocratique, ceux qui ont compris qu’ils étaient capables de se trahir dans des accès de rage et des effusions de passions tristes. C’est donc la manifestation d’un peuple qui s’empêche de suicider sa démocratie. Les contre-pouvoirs participent de cette autolimitation.
Mais ce n’est pas la démocratie soutenue par un État de droit compréhensif qui intéresse Laurent Wauquiez. Lui défend une forme de démocratie primaire, tellement basique qu’elle se limite à la tyrannie de la majorité. On pourrait croire qu’un seul vote, à intervalles réguliers, pour trancher les débats publics, est un système certes simple mais juste et efficace. Après tout, il pourrait être légitime que l’on suive en permanence ce que pense la majorité. Mais une autorité investie de pouvoirs très largement étendus et sans contrepoids, est une autorité capable de modeler l’espace public et d’imposer son narratif comme nouvelle norme politique. C’est donc nécessairement un pouvoir autoritaire qui se pare des atours de la démocratie et en manipule les instruments pour se légitimer. En cela, Laurent Wauquiez est donc un haut représentant de la fascination pour les démocraties illibérales (Hongrie, Slovaquie, Pologne ante-2023, Philippines ou désormais États-Unis) qui peuvent se payer l’efficacité au prix des libertés fondamentales, du pluralisme, des droits des minorités et de l’éducation à la controverse.
« Coup d’État de droit des cours suprêmes »
Si Laurent Wauquiez veut garantir à une autorité unique le monopole de la souveraineté nationale – un exécutif incarné par le président de la République libéré des entraves de l’État de droit – il est donc logique qu’il s’en prenne au pouvoir judiciaire.
Les juges ont rarement bonne presse. Il faut, dans un premier temps, dire que la démocratie est fondée sur un désir ardent de justice, qui émane des profondeurs populaires. Le regard des citoyens sur leurs juges est donc dur car exigeant. Mais plus largement, les juges ont la difficile tâche de rappeler aux acteurs de la vie institutionnelle les règles, même procédurales, qui encadrent l’action politique.
Ce rôle crucial est source de méfiance des citoyens dans la mesure où le juge freine leurs ardeurs et leurs croyances établies sur ce qu’est la décision juste. Mais, comme on l’a dit, les peuples matures politiquement s’autolimitent. Les institutions judiciaires, à l’indépendance garantie, sont le principal contre-pouvoir opposé aux passions illibérales des peuples floués par des leaders d’opinion peu regardant sur la vérité.
La France a développé une justice spécifique à l’action publique : la justice administrative. C’est le plus souvent celle qui est pointée du doigt par les responsables politiques les plus zélés. L’adversaire de Laurent Wauquiez dans la course pour la présidence des Républicains, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est ainsi heurté au tribunal administratif de Melun. La juridiction a eu l’outrecuidance d’appliquer la loi et de rappeler au ministre qu’il n’était pas possible d’user de n’importe quel chemin pour expulser quelqu’un, eût-il été un danger. Le législateur et le constituant, émanations politiques du peuple, ont adhéré à des principes essentiels de dignité humaine, de droit à la vie privée et familiale et de droit à la sûreté qui compliquent l’expulsion. L’idée n’est pas d’empêcher l’expulsion des individus dangereux et illégitimes à rester sur le territoire français, mais bien de mettre en place une procédure conditionnée qui évite les décisions arbitraires dans une matière si sensible car touchant aux conditions d’existence des individus. Sur cette procédure stricte, le juge administratif opère un contrôle essentiel. Il garantit que les textes ne soient pas que des incantations mais bien des normes efficaces et appliquées. Il contraint donc le pouvoir exécutif à se conformer au droit, ce qui constitue le fondement de l’État de droit.
Si la justice administrative oppose le droit au pouvoir exécutif, le pouvoir législatif est aussi encadré. Le concept était, en 1958, novateur pour la France. Le pays avait vécu, sous la IIIe République, dans un régime légicentré. La loi, expression de la volonté populaire, était indétrônable et insusceptible d’être contrôlée par le pouvoir judiciaire. Ce faisant, l’État de droit n’était pas réellement compréhensif puisqu’une majorité illibérale pouvait bien être élue après une révolte électorale du peuple et voter des lois liberticides. Si la IIIe République a vécu en évitant ce dérapage, elle est morte de cette cause. En 1940, c’est le Parlement, élu démocratiquement en 1936, qui vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain qui abattra, quelques jours plus tard, plus de 70 ans de démocratie. On pourrait certes évoquer les conditions particulières de l’époque, celles d’une guerre éclair ayant foudroyé la France et l’empêchement d’une partie des députés opposés au président du Conseil, mais ce ne serait qu’abonder dans ce sens : un régime légicentré est un régime faillible face aux crises et portant en lui sa propre autodestruction.
En 1958 donc, les rédacteurs de la Constitution de la Ve République créent le Conseil constitutionnel dont le rôle est simple. Il s’agit pour cette cour de contrôler la conformité des lois à la Constitution. Autrement dit, le législateur ne doit et ne peut pas s’autoriser à transgresser les règles fondamentales qui encadrent la vie publique et qui ont été adoptées par le peuple pour garantir la démocratie. En 1971, lorsque le Conseil constitutionnel, par sa décision « vie associative », a étendu le fondement de son contrôle à l’ensemble du « bloc de constitutionnalité », c’est-à-dire essentiellement à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946 actant l’émergence des « droits-créances », il a confirmé que la France était une démocratie avancée, qui s’autolimitait en se conformant aux droits inaliénables de l’Homme. Le législateur et, par son truchement, le peuple, ne peuvent pas se retirer des droits essentiels sans tuer leur démocratie.
Le Conseil constitutionnel, institution essentielle à une démocratie complète, par principe, est, en pratique, imparfait. La nomination de ses membres est encore trop politique et le jeu de contrôles respectifs des pouvoirs législatif et exécutif dans ce processus est trop limité pour être efficace.
La nomination de Richard Ferrand à sa tête, il y a quelques semaines, a provoqué l’ire d’une large partie des observateurs et acteurs de la vie politique, parmi lesquels Laurent Wauquiez. Mais si nombre des contempteurs de la décision d’Emmanuel Macron de nommer l’ancien président de l’Assemblée nationale, au rang desquels l’auteur de ces lignes, ont critiqué une nomination affaiblissant le Conseil constitutionnel en raison de l’incompétence de Richard Ferrand et du risque de partialité ou de soupçon de partialité pesant sur lui, Laurent Wauquiez n’a pas les mêmes motifs de colère.
Le député de Haute-Loire ne critique pas la partialité de Richard Ferrand ou des membres du Conseil constitutionnel en général, il s’émeut qu’ils aient une idéologie qui l’empêche de voir se réaliser ses rêves de politiques publiques, citant notamment la décision qui, selon lui, a autorisé l’aide au séjour illégal sur le territoire. La réalité, comme toujours avec Laurent Wauquiez, est plus complexe. Le Conseil constitutionnel, dans une décision de 2018 concernant Cédric Herrou, a déclaré inconstitutionnelle la disposition législative qui faisait de l’assistance humanitaire aux étrangers en situation irrégulière une incrimination pénale. Ce faisant, il a supprimé un délit de solidarité et a fait primer la dignité humaine et le droit à vivre de personnes, certes en situation irrégulière mais avant tout humaines, sur l’objectif de lutte contre l’immigration illégale. Pour Laurent Wauquiez, faire primer les droits de l’Homme sur la lutte contre l’immigration est donc une idéologie opposée à la sienne, c’est ainsi qu’il qualifie cette orientation du Conseil constitutionnel.
Sa critique est donc un nouvel aveu honteux : le député LR considère donc que les droits de l’Homme sont une idéologie adversaire, à battre et à défaire. Il se place dans le camp de l’arbitraire et de l’égoïsme crasse.
C’est pour cette raison qu’il s’attaque aussi à la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui, en plus de condamner les États violant les droits humains, a la tare d’être une institution supranationale et donc terriblement vulnérable face à l’accusation d’ingérence de l’étranger. Laurent Wauquiez, comme les ultraconservateurs du PiS polonais ou l’ancienne ministre de l’Intérieur britannique, Suella Braverman, n’a qu’à accuser la CEDH de contraindre les volontés du peuple français et il aura un bouc émissaire tout trouvé. On répètera, pourtant, une énième fois que l’adhésion à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) et la soumission à son droit et à sa juridiction, la CEDH, est une nouvelle manifestation de l’avènement d’un État de droit compréhensif, moderne, efficace, démocratique.
Las, Laurent Wauquiez n’a que cure de ce qui limite l’avancée de son agenda idéologique, bien servi et promu par des médias concentrés dans les mains de milliardaires d’extrême-droite. Pour quiconque lira son interview dans le JDNews en ayant à cœur la démocratie, cette proposition sonnera comme l’outrance de trop. Celui qui aspire à diriger la droite héritière du Général de Gaulle propose simplement de dévitaliser le Conseil constitutionnel en permettant au Parlement ou aux Français, par référendum, d’outrepasser ses décisions.
Laurent Wauquiez propose ni plus ni moins de détruire l’État de droit complet qui nous protège contre nos excès. Il veut permettre aux Français ou à leurs représentants ultra-zélés, de tuer leur démocratie et d’abandonner leurs droits, indéfiniment, pour satisfaire des paniques morales temporaires.
Si l’on peut affirmer avec autant de certitude que Laurent Wauquiez porte un projet de destruction de la démocratie, c’est parce qu’on sait qui est le député de la Haute-Loire.
Il est d’abord un responsable politique bien établi. Il a été et est redevenu député, il a été plusieurs fois ministre, président d’un conseil régional, président d’un mouvement politique. Il dirige aujourd’hui l’un des groupes de ce « socle commun » qui fait office de majorité relative au Parlement. Laurent Wauquiez appartient donc à cette classe de citoyens, la classe politique, qui est supposément mieux informée sur ce qu’est l’État de droit, ce qu’exige une société démocratique.
Mais même en admettant que Laurent Wauquiez soit un cancre de la classe politique – ils sont nombreux –, son parcours est parlant. Quatorzième au concours d’entrée à l’École normale supérieure, étudiant en histoire à la Sorbonne, reçu premier à l’agrégation d’histoire, diplômé de SciencesPo Paris en section service public, titulaire d’un DEA de droit public et enfin major de la promotion Mandela (2000-2001) de l’École nationale d’administration, Laurent Wauquiez est probablement l’une des personnalités politiques les plus éduquées sur ces points très précis : l’histoire de la démocratie et de sa perte, la construction et le rôle de l’État de droit, le fonctionnement de l’institution judiciaire et son rôle central dans la démocratie.
Pourtant, c’est bien ce même Laurent Wauquiez qui navigue dans les eaux troubles et honteuses du trumpisme le plus crasse. Au regard de son parcours, de son éducation, il ne peut pas opportunément plaider la bonne foi, l’ignorance des conséquences profondes que ses propositions auraient sur la démocratie si elles étaient appliquées. C’est donc en pleine conscience que Laurent Wauquiez propose de balayer des décennies de construction méthodique d’un État de droit moderne. La conclusion de tous ces développements, éclairée par la certitude que le candidat à la présidence des Républicains sait ce qu’il fait, est simple : Laurent Wauquiez est tout sauf un démocrate et certainement pas un républicain.