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Billet de blog 17 juin 2025

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« Je suis candidat à l'élection présidentielle » - Critique du présidentialisme

Dans notre système politique, surtout depuis le référendum de 1962, nous n’avons pas le choix : tous les cinq ans, nous devons nous choisir un sauveur suprême. Mais dans la perte de sens politique actuelle, chaque présidentielle est un coup supplémentaire porté à la démocratie. Voilà pourquoi la démocratie doit rompre avec sa préférence pour le fait majoritaire et pour le césarisme présidentiel.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Autour de mes 8 ans, j’ai découvert – avec un œil très loin d’être averti – la politique. Quand on découvre la politique à 8 ans, c’est rarement en lisant longuement Pour être socialiste de Léon Blum, L’Ancien régime et la Révolution d’Alexis de Tocqueville ou encore Le Manifeste du Parti communiste de Freidrich Engels et Karl Marx. C’est donc par la politique-spectacle, celle que l’on voit sur le petit écran et – désormais – à travers les réseaux sociaux, celle qui se fonde plus sur l’émotion et l’impression que sur le raisonnement et les idées, que l’on s’initie. 

À 8 ans donc, j’ai rejoint cette petite cohorte d’infatigables égotiques, non seulement persuadés de leur capacité à devenir président de la République, mais aussi portés par une sorte de mystique dérangeante, leur soufflant qu’une forme de destin les appelait à sauver le pays. Depuis, pas une personne ne me rencontre sans que lui soit soufflé – par un de mes amis ou par moi – que je veux devenir président de la République. Il faut dire que j’aime encore jouer de ce comique de répétition.

Mais à chaque fois que l’idée de ma prétendue candidature à une prochaine et lointaine élection présidentielle est évoquée, je ne peux m’empêcher de ressentir une forme de regret. L’élection présidentielle, dans l’esprit collectif du peuple, souverain et donc appelé à choisir son destin par lui-même, a tout pollué.

Pas un jour ne se passe en politique sans que le scrutin roi ne pèse sur les débats. Les discours, les politiques publiques, les votes des parlementaires, les alliances, les actions militantes… tout est orienté, plus ou moins directement vers l’objectif suprême : la conquête de la présidence de la République.

Il faut dire que l’offre est attrayante. Celui ou celle qui arrache l’Élysée aura gravi toutes les montagnes de la vie politique, aura déjoué toutes les attaques, aura séduit des millions d’électeurs. Il bénéficiera d’un des offices les plus larges parmi toutes les démocraties mondiales et deviendra instantanément l’un des grands de ce monde, pesant dans l’Union européenne et sur la scène internationale. La concomitance de l’élection présidentielle et des élections législatives lui accordera – exceptons 2022 – une majorité à l’Assemblée nationale que le mode de scrutin majoritaire et l’allégeance des partis au rêve élyséen aura discipliné.

Devenir président de la République française est donc l’assurance d’un pouvoir largement étendu. Pour le monde égocentrique de la politique, rien ne parait plus beau, plus enviable, plus indispensable. Même celui qui aura le mieux décrit ce que constitue la Ve République en écrivant Le coup d’État permanent, François Mitterrand, a habité le costume présidentiel. Si bien, d’ailleurs, qu’il est devenu le représentant le plus éloquent – depuis le Général de Gaulle et jusqu’à Emmanuel Macron – du césarisme présidentiel français.

Nous vivons dans une démocratie tronquée, abîmée par le scrutin présidentiel.

L’élection au suffrage universel direct du président de la République est un leurre. C’est une illusion de démocratie. Comment peut-on imaginer que la démocratie peut fonctionner sainement en organisant toute la discussion publique, tout le débat d’idées, autour d’un scrutin majoritaire à deux tours qui ne permettra jamais l’émergence d’une majorité claire et homogène ?

Tous les cinq ans, nous nous emmurons dans la croyance que l’élection présidentielle, parce qu’elle aboutit à la désignation d’un nouveau chef suprême, tranche le débat démocratique. Le vainqueur, en remportant la majorité des voix au second tour de l’élection présidentielle, aurait alors un mandat clair pour agir et imposer son agenda au pays. Rien n’est plus inexact. Depuis l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct en 1962, aucun candidat n’a obtenu plus de 50% des voix au premier tour. Ce faisant, le vainqueur de chaque élection présidentielle depuis celle de 1965 a été élu avec le soutien d’une base minoritaire. Jusqu’en 2017 et en exceptant les élections de 1969 et 2002 au cours desquelles la gauche a été évincée au premier tour, le second tour permettait de dégager un vainqueur qui pouvait au moins s’appuyer sur une majorité à peu près cohérente. Du fait de la partition classique dans les démocraties occidentales entre progressistes d’inspiration socialiste et libéraux-conservateurs, le président de la République était élu par le peuple de gauche ou par le peuple de droite, lesquels « rentraient à la maison » après s’être dispersés au premier tour entre différentes factions.

Vie politique « multipartite »

Les commentateurs de la vie politique l’ont suffisamment dit : l’élection présidentielle de 2017 a dynamité la vie politique française. On a d’abord cru qu’Emmanuel Macron faisait émerger une option politique centriste, qui prendrait à la gauche des considérations progressistes et à la droite une vision économique libérale. Avant de se rappeler cette qualification de François Mitterrand : « Le centre, cette variété molle de la droite ».

Depuis 2017, la fameuse recomposition a en réalité permis des clarifications. L’aile droitière du Parti socialiste – personnifiée par Manuel Valls, Jean-Yves Le Drian ou encore Gérard Collomb – a assumé sa conversion au libéralisme économique et le peu de vigueur de son progressisme sociétal. L’aile libérale (ou opportuniste) des Républicains – qui a abrité Bruno Le Maire, Édouard Philippe, Gérald Darmanin ou Catherine Vautrin – a rompu avec l’aile plus droitière. Et le phénomène se poursuit, par à-coups, par séquences.

Désormais, trois blocs politiques existent dans le pays. La gauche purgée de ses éléments libéraux et globalement éco-socialiste, le « socle commun » ayant émergé en 2024 et constituant une forme de droite libérale-conservatrice et le bloc nationaliste d’extrême-droite, dominé par le Rassemblement national.

Nous sommes entrés dans une vie politique pleinement « multipartite », symptôme des divisions socio-politiques du peuple de France. La conjonction de la division en deux grandes familles politiques du spectre politique – chacune dominée par un grand parti –, du scrutin majoritaire par circonscription et de la concomitance quasi-systématique, depuis 1981, du scrutin présidentiel et des scrutins législatifs avait solidifié le « fait majoritaire » qui ancrait, pour cinq ans, l’action publique dans un camp politique. Désormais, les trois blocs politiques correspondent à trois grossiers blocs sociologiques de la nation qui ont également la particularité d’être relativement territorialisés, ce qui, conjugué au scrutin par circonscriptions, donne aux trois courants des poids relativement identiques.

Pour faire simple et grossier, la France des quartiers urbains les plus aisés et des territoires gagnants de la mondialisation (ouest parisien, Bretagne côtière, une partie de la Vallée de la Loire, Auvergne-Rhône-Alpes…) choisit le « socle commun » formé par les macronistes et Les Républicains. La France des quartiers populaires (banlieue est de Paris, banlieue de Lyon, quartiers nord de Marseille…) mais aussi d’une partie des quartiers gentrifiés accueillant des CSP+ intellectuels, au fort capital culturel (est parisien, Lyon, Toulouse, Nantes, Bordeaux…) envoie des députés de gauche à l’Assemblée nationale. Enfin, les territoires ruraux les plus frappés par la désindustrialisation (Hauts-de-France, Grand Est, Franche-Comté…) et les anciens bastions d’une droite dure (Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Languedoc-Roussillon…) votent pour des candidats du Rassemblement national.

Tripartition politique, éparpillement sociologique

La composition de l’Assemblée nationale traduit cette tripartition du pays. Mais elle l’exacerbe en raison du scrutin majoritaire. En effet, il existe bien trois larges familles idéologiques. On l’a dit : la gauche éco-socialiste, la droite libérale-conservatrice et l’extrême-droite national-conservatrice. Mais au sein de ces familles, l’homogénéité est relative.

La gauche en est l’exemple le plus médiatisé. La France Insoumise est vivement décriée, visée par des accusations de complaisance avec l’antisémitisme. Mais ce serait une erreur que de la résumer aux outrances – réelles ou supposées – de son fondateur et de quelques-uns de ses affidés. Le mouvement incarne en réalité une radicalité, très supportée par une large partie de la jeunesse de gauche qui désire définitivement tourner la page du capitalisme et engager la France, l’Europe et le monde sur la voie d’un socialisme démocratique renouvelé, altermondialiste et profondément écologiste. L’autre grande force d’attraction de la gauche – si l’on en croit les résultats de l’élection européenne du 9 juin – est le Parti socialiste. Il est plus difficile de brosser un portrait type de ses sympathisants. Mais globalement, on voit dans la proposition du PS de 2025 une rupture avec le social-libéralisme hollandien, source de la désertion du peuple de gauche en 2017, et une orientation nouvelle vers un socialisme teinté de vert, mais pas encore prêt à abandonner complètement l’idée de l’accompagnement de la société capitaliste vers ce que certains qualifient d’économie sociale de marché. Il faut bien dire qu’au sein du Parti socialiste, les factions sont parfois très éloignées sur le fond. Mais si l’on regarde du côté de la sociologie des électeurs, le vote socialiste est un vote pour la réforme du système et non la rupture avec celui-ci. Du reste, le vote pour Les Écologistes n’est pas très éloigné, politiquement, du vote insoumis mais emprunte au vote socialiste une forme de préférence européenne. Sociologiquement, il se rapproche davantage du vote socialiste, porté par les CSP les plus dotées en capital culturel.

Dans le bloc de la droite libérale-conservatrice, les divisions ne sont pas moins existantes, quoique plus estompées. Si cette grande famille est une sorte de maelstrom de macronistes, libéraux, Républicains plus ou moins conservateurs, il y a une certitude : elle fait renaître le parti de l’Ordre, illustre force de blocage de la révolte citoyenne sous la IIe République et dont Alexis de Tocqueville et Adolphe Thiers seront les visages les plus éloquents. Ce parti regroupait légitimistes, orléanistes et autres conservateurs désireux de garantir l’ordre pour permettre à la société bourgeoise de continuer à prospérer. De Gabriel Attal à Bruno Retailleau, en passant par Yaël Braun-Pivet, Édouard Philippe et Gérald Darmanin, c’est bien l’attachement à l’ordre – dans les comptes et dans la rue – qui rassemble, face à la peur du « péril rouge ». Mais il ne faudrait pas que cela masque des divergences de fond, entre une aile « gauche » (Yaël Braun-Pivet, Élisabeth Borne), plus progressiste et réticente à soutenir la chasse à l’immigration lancée par l’aile droitière (Bruno Retailleau et Les Républicains, rejoints par Gérald Darmanin et même Gabriel Attal), qui vire vers un conservatisme bourgeois et autoritaire. Entre ces deux ailes, les autres se cherchent. Édouard Philippe choisit la ligne ultra-libérale et drague le conservateur Retailleau. Xavier Bertrand tente, tant bien que mal, de faire exister une ligne populaire, de droite sociale, que Gérald Darmanin essaye de concilier avec ses offensives ultra-sécuritaires. Bref, la droite libérale-conservatrice ne manque pas de faction, puisqu’elle rassemble des sous-électorats variés, des jeunes entrepreneurs mondialisés aux familles traditionnelles bourgeoises qui, quoi qu’on l’en dise, sont liées par leur fort capital financier et social.

Que dire, enfin, du bloc nationaliste d’extrême-droite ? La ligne populiste du Rassemblement national a contribué à former un bloc plus homogène sociologiquement que les deux précédents. Les ouvriers et les employés votent en masse pour le RN et forment le gros des électeurs de l’extrême-droite. Mais la ligne identitaire, portée par Marion Maréchal, de plus en plus épousée par Jordan Bardella – quitte à énerver la branche lepéniste du parti –, et renforcée par l’arrivée d’Éric Ciotti et de son micro-parti l’Union des droites pour la République, amène de plus en plus de petits bourgeois libéraux et autoritaires dans le camp nationaliste.

Si l’on s’adonne à décortiquer la sociologie électorale des trois blocs, c’est pour démontrer que la tripartition est une réalité politique mais une grossière approximation sociologique. Les nombreuses sous-familles sociologiques du pays sont en réalité forcées par le système politique français à se regrouper en – trop – larges factions politiques.

Focalisation présidentielle

Ce regroupement grossier est causé par la focalisation de notre vie politique sur l’élection présidentielle. Car si la France est, à la seule lecture du texte constitutionnel de 1958, une démocratie parlementaire, la réalité politique en a fait un régime ultra-présidentiel, unique en son genre parmi les démocraties libérales.

Depuis l’instauration du suffrage universel direct, après le référendum de 1962, toute la vie politique est centrée autour du président de la République. Ses pouvoirs sont larges, on l’a dit. Pas tant en raison des textes mais plutôt en raison de son premier titulaire sous la Ve République, Charles de Gaulle. Le Général a gouverné en s’appuyant davantage sur la symbolique du sauveur de la nation martyrisée que sur les textes constitutionnels. En imposant l’élection au suffrage universel direct, il a conféré la mystique qui l’entourait – celle du sauveur suprême – à ses successeurs qui, faute de péril existentiel, ne pourraient s’en parer par leur héroïsme. Ainsi est née l’obsession française pour le président de la République qui, selon les textes, devrait pourtant être tributaire de la majorité parlementaire.

Depuis lors, les partis politiques, dans leur stratégie de conquête du pouvoir politique, visent en priorité l’Élysée et les ambitions personnelles ne font qu’exacerber cette orientation présidentielle. Si bien que le parlementarisme, en plus d’être constitutionnellement rationalisé, est politiquement méprisé.

Or, on osera affirmer que l’élection présidentielle n’est pas un scrutin démocratique. Outre sa dimension plébiscitaire, cette élection est fondée sur le clivage. Puisqu’il y a toujours plus de deux candidats à l’élection présidentielle, pour représenter la diversité légitime des orientations politiques des Français, le niveau d’accession au second tour est toujours relativement bas. En 2002, il se situait à moins de 17%, 25% en 2007, 27% en 2012, 21% en 2017 et 23% en 2022. Ces niveaux sont certes conséquents mais ils démontrent une chose : le vainqueur de l’élection présidentielle n’est jamais, réellement et politiquement, majoritaire. Et le second tour, surtout depuis le dynamitage de la structure bipartisane du pays, ressemble pour une majorité de Français à un choix par défaut, pour le moindre mal. 

Pourtant, le président de la République élu se mure dans l’illusion qu’il détient un mandat pour agir. Ainsi Emmanuel Macron, élu par deux fois par le front républicain face à l’extrême-droite, a cru être légitime à entreprendre des réformes violentes telles que l’allègement de la législation du travail, la réforme des retraites, les cadeaux fiscaux aux plus riches, dont toutes les enquêtes socio-politiques sérieuses prouvent qu’elles sont rejetées par une large majorité des Français – on renverra au très bon ouvrage de Vincent Tiberj, La droitisation française, publié aux Presses universitaires de France.

Pour devenir président de la République, le candidat doit donc cliver pour rassembler son socle. Voilà donc la stratégie de Jean-Luc Mélenchon qui épouse une radicalité capable de lui apporter un bloc sociologique conséquent. Voilà également la stratégie de Marine Le Pen qui consolide son socle électoral préoccupé par le déclassement social. Voilà enfin la stratégie que choisit Emmanuel Macron en 2022 en s’ancrant, au premier tour, sur les fondamentaux de la droite libérale.

Comme on l’a dit, la structure de notre multipartisme a été dynamitée et la classification en deux grandes familles n’est plus pertinente. En reprenant notre rapide observation sociologique de l’électorat français on retrouve une gauche radicale éco-socialiste, des socialistes plus modérés, des sociaux-démocrates, des libéraux progressistes, des libéraux-conservateurs, des conservateurs non-nationalistes, des nationaux-conservateurs, des nationaux-libéraux… et on pourrait probablement en dégager encore davantage.

Mais deux forces entrainent ces familles à se regrouper en blocs polarisés. Premièrement, il y a le mode de scrutin des élections législatives. Le scrutin majoritaire à deux tours crée une sorte de cercle vicieux : les partis, représentatifs des diverses sous-familles sociologiques, sont incités à se réunir de proches en proches, dans des alliances électorales, face au risque que d’autres partis fassent de même. Ainsi naissent des alliances électorales que l’on refusera de qualifier de baroques puisqu’il y a bien, à chaque fois, un socle idéologique commun. En revanche, on assumera de dire que ces alliances enferment. Et c’est le résultat de la conjonction de cette première force – le mode de scrutin majoritaire – avec la seconde, l’attraction présidentielle. Ces alliances législatives fondent en effet des masses électorales critiques qui peuvent emmener un candidat au second tour de l’élection présidentielle et donc, potentiellement, vers la victoire. Si bien que toute tentative de créer des ponts entre les blocs, pour former un gouvernement, est bloquée par la peur de la marginalisation au sein de son camp et donc de l’exclusion de la potentielle victoire à l’élection présidentielle. Rappelons ce que l’on a déjà dit plus haut, pour gagner une élection présidentielle, il faut cliver. Former des compromis à l’Assemblée nationale est, dans ce contexte, un risque majeur. Ajoutons enfin que la perspective d’une victoire à la présidentielle est toujours associée à la croyance que suivra, en convoquant des élections législatives immédiatement après, l’émergence d’une majorité fidèle au président élu – la réalité sociologique de la France a cruellement contredit cette croyance en 2022.

L’élection présidentielle ne permet pas de solder le débat démocratique, puisqu’elle fait gagner un candidat politiquement minoritaire. Mais les élections législatives, enchaînées par le scrutin majoritaire et l’orientation présidentielle de la vie politique, ne permettent pas non plus de faire émerger un consensus démocratique correspondant à l’aspiration réelle du pays. En forçant la formation de blocs, ces élections législatives aboutissent également à la création d’images stéréotypées des familles politiques. Ainsi, par exemple, de nombreux électeurs qui auraient intérêt, sociologiquement, à choisir la gauche se refusent à voter pour celle-ci en raison de la pollution de tout un camp par les invectives lancées sur l’une de ses composantes, en l’espèce La France insoumise

Voilà comment la conjonction de deux scrutins majoritaires – celui des élections législatives et celui de l’élection présidentielle – aboutit au blocage institutionnel du pays. 

Il faut enfin aller au-delà des seules dynamiques institutionnelles et politiques pour évoquer le dernier point noir de la présidentielle. Ce scrutin est celui des avides de pouvoir. La puissance de la présidence de la République française, sise sur l’illusion de légitimité de l’onction populaire, allume des désirs ardents chez nos responsables politiques. Si bien que chaque scrutin présidentiel est une affaire de trahisons, de coups bas, de manœuvres qui, chaque fois un peu plus, dégoûtent les Français et les éloignent de la politique. Elle crée des écuries, des allégeances, des féodalités qui tranchent avec l’ambition démocratique de la France et contribuent à fonder ce que l’on qualifie, finalement, de « monarchie présidentielle ». L’élection présidentielle est enfin un leurre. C’est en élisant directement le président de la République que le peuple lui apporte l’image de la toute-puissance. Et c’est cette image de toute-puissance qui crée, tous les cinq ans, l’espoir du changement qui, immanquablement, est déçu par l’incapacité de la politique à changer la vie. La politique meurt du présidentialisme et du désir de clivage qui s’exprime dans ses modes de scrutin. Elle s’interdit l’action publique réfléchie à long-terme, issue de compromis, fondée sur le collectif et donc sur la délibération, nourrie d’un débat public apaisé.

Rupture avec la fiction présidentielle

La démocratie, en France, a besoin de rompre avec la fiction présidentielle. Il faut choisir, à nouveau, la délibération et redonner aux collectifs, fondés sur des axes idéologiques clairs, la primeur dans le débat public. Mettre au second plan la personnification et faire revenir en grâce les idées. 

Cela implique, à mon sens, de rompre avec le scrutin majoritaire aux élections législatives pour lui préférer des alternatives qui favorisent l’expression pluraliste. Le scrutin proportionnel est une option – toujours imparfaite et existant en nombreuses variétés. D’autres innovations démocratiques comme le vote unique transférable, utilisé en Irlande ou en Australie, peuvent aboutir à une meilleure représentativité et donc à une libération des partis des effets d’alliances électorales pour préférer la coalition gouvernementale, devenue, quoi qu’on en dise, inéluctable dans un pays aussi fracturé politiquement et sociologiquement que le nôtre. Ce n’est pas une manière de forcer les membres des partis à renier leurs convictions. Mais bien une manière de prendre en compte une réalité politique, celle du morcellement sociologique du pays. Il s’agit de libérer les partis des chaines qui les empêchent de former des majorités capables de diriger l’action publique. Cela n’empêchera pas les mouvements politiques de faire campagne et de batailler pour élargir leur socle et donc rassembler plus de Français et, finalement, peser plus lourdement sur l’action publique. Au contraire même, la délibération apaisera la politique et permettra des rassemblements, plus aisés, plus négociés et donc plus naturels, entre des partis idéologiquement voisins, ce qui contribuera au rassemblement sociologique.

Mais le plus urgent pour satisfaire ce désir de démocratie et de délibération qui émane du pays est indéniablement de supprimer l’élection présidentielle au suffrage universel direct. « Il n’est pas de sauveur suprême : Ni Dieu, ni César, ni tribun ». La démocratie doit se libérer de son obsession présidentielle et du clivage confiscatoire auquel aboutit la conjonction de son mode de scrutin conjugué à la mystique de l’onction populaire qui l’entoure. Les citoyens doivent reprendre la force à la personnification pour la remettre au collectif.

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