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Billet de blog 8 novembre 2010

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M, «m»ini «m»onde du «m»atin

Le journal britannique The Independent a lancé fin octobre i, le «spin off» quotidien du quotidien. Deux semaines plus tard, une fois l'effet de curiosité passé, les ventes moyennes s'établissent entre 125.000 et 150.000 exemplaires par jour (en France, Libération avoisine les 100.000 exemplaires).

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Le journal britannique The Independent a lancé fin octobre i, le «spin off» quotidien du quotidien. Deux semaines plus tard, une fois l'effet de curiosité passé, les ventes moyennes s'établissent entre 125.000 et 150.000 exemplaires par jour (en France, Libération avoisine les 100.000 exemplaires). «Spin off», déclinaison: i n'est pas vraiment un nouveau journal. C'est une lecture alternative de The Independent: les articles du quotidien réédités, retitrés, resserrés... pour toucher un autre public «qui a, pour de multiples raisons, perdu l'habitude de lire un quotidien de qualité chaque jour», explique Adam Leigh, rédacteur en chef adjoint de l'Independent. Le tout est vendu du lundi au vendredi 20 pennies. Il disposera d'une application pour iPad (puis sur iPhone) sur abonnement, mais pas de site Web.

Sans se prévaloir d'une quelconque antériorité (Die Welt a sorti le 24 mai 2004 son Welt Kompakt), j'ai retrouvé cet échange de mail, vieux de plus six ans, à l'époque où (déjà) Le Monde voyait sa diffusion plonger et cherchait collectivement les moyens de retrouver un public.


----- Original Message -----

From: "Vincent Truffy" <truffy@lemonde.fr>
To: <eplenel@lemonde.fr>
Sent: Saturday, May 22, 2004 3:42 PM
Subject: digest

Une idée m'est venue en écoutant Franck [Nouchi, rédacteur en chef] expliquer que Le Monde n'est plus une évidence ni pour l'étudiant ni pour l'homme mûr et que, si l'on n'a pas pris ses marques dans Le Monde en étant jeune, on n'y vient jamais.

Si c'est le premier pas qui compte, ne pourrait-on envisager de faire coexister à coté du Monde classique un digest quotidien (on pourrait envisager hebdomadaire, mais je crois que cela cannibaliserait Le Monde classique) en décalage d'une demi-journée (le matin si nous sommes un journal de la mi-journée, en milieu d'après-midi si nous sommes un journal du matin de façon à pouvoir mesurer la fréquentation des articles sur lemonde.fr – qui touche précisément le lectorat visé), constitué des mêmes articles (mais moins: dans la mesure où l'on paraît avec du retard et que l'on cherche à toucher une population supposée surinformée, on peut faire l'économie du papier de synthèse et proposer sous un simple chapô récapitulant les faits connus les «plus» du Monde: reportages, interviews, portraits, analyses), dans un format plus maniable, mais comprenant les mêmes principes de formule (il s'agit de familiariser le nouveau lecteur avec la structure du Monde, son écriture et son mode de «navigation»), imprimé sur un papier plus blanc, séché, agrafé, sans supplément et moins chers.

Bref, il s'agit de faire le même journal mais dont la hiérarchie de l'information prend plus les lecteurs qui nous ont quitté plus dans le sens du poil (il n'est d'ailleurs pas dit que celui-ci soit moins exigeant: on voit dans les «recommandés» du Monde.fr des papiers ambitieux et difficiles, au détriment, il est vrai, du traitement feuilletonné des affaires courantes) et se positionnant clairement comme un journal venant en complément d'une information brute disponible de toute façon, par tous les moyens (télévision, agences de presses disponibles en direct sur Internet, gratuits, radios), à tout moment.

V.


----- Original Message -----

From: "Vincent Truffy" <truffy@lemonde.fr>
To: <eplenel@lemonde.fr>
Sent: Wednesday, September 29, 2004 2:05 PM
Subject: Revue des deux Monde

(...)

Comment construire Le Monde si deux éditions cohabitaient, un petit format du matin, de faible prix (0,50 €) et de faible pagination (32 pages, soit 16 pages grand format, sans supplément), concentré sur l'actualité chaude et le pratique immédiat; un grand format du soir à 1,20 €, de pagination moyenne (32 pages comme aujourd'hui, avec des suppléments «de niche») voué au décryptage de l'actualité, à la réflexion et à la découverte.

L'objectif est faire tourner ces modèles pour voir comment se comportent, en termes de hiérarchie et de répartition de l'info, de mise en scène et de contenu, ces éditions pour lesquelles on se débarrasse des contraintes des «passages obligés».

En élaborant un petit format, il s'agit d'introduire des éléments de lecture rapide et complète de l'actualité, d'expérimenter de nouvelles façons de titrer, de construire un article, lorsque l'on sait que le lecteur possède déjà un certain nombre de prérequis, qu'il lit dans un contexte et un milieu donné qui n'est pas neutre ni vierge d'informations.

Il nous faut imaginer la façon de faire baisser le volume de lecture (question de disponibilité du lecteur, d'attention) en donnant le sentiment d'un contenu plus riche et plus utile. En somme, il n'y a pas lieu de refaire le Monde en miniature mais de combiner ce que peut être un journal d'actualité dans un environnement surinformé (radio et télé d'info continue, dépêches et images d'agences largement disponibles en temps réel sur le Net, journaux gratuits en expansion) à l'image et l'histoire d'un titre, à des codes de lecture préexistants et structurants et à un ensemble de signatures connues et connotées pour le lecteur.

Il faut enfin élaborer une navigation horizontale, où le chemin de fer et la maquette fait alterner les rythmes et multiplier les surprises au lieu de l'actuel déroulé répétitif d'un numéro sur l'autre, qui, pour permettre au lecteur de se repérer par l'habitude, lui donne aussi une impression de l'inutilité de lire chaque jour un Monde qui ressemble à celui de la veille. On pourrait ainsi explorer la piste de rendez-vous fixes disséminés comme des points de repère entre des moments de lecture plus approfondie et des sujets moins attendus.

Le grand format comprendrait, lui, un premier cahier généraliste de 32 pages s'adressant à tous, utilisant le langage commun et prenant l'info du minimum de connaissances commun à tous les lecteurs ; un deuxième cahier quotidien cultiverait les lectorats de (larges) niches en utilisant une formulation, une maquette plus spécialisée et jouant sur l'expertise afin de toucher les marges de notre lectorat et d'amener ces lecteurs irréguliers, occasionnels, voire ces non-lecteurs à se rapprocher progressivement du coeur du lectorat ; un éventuel troisième cahier de format poche, agrafé, serait adapté aux contenus plus pratiques (programmes télé, radio, spectacles, etc. et événements) demandant à être conservé un peu plus longtemps et manipulé de nombreuses fois par plusieurs personnes différentes.

Cette édition reposerait sur trois piliers, pas forcément consécutifs pour éviter le didactisme: apprendre (l'actualité brute, de lecture rapide et de choix pertinent); comprendre (des grilles de lecture, des points et des rappels pédagogiques, des argumentaires comparés, des entretiens avec des spécialistes et des contributions éclairantes); découvrir (des sujets pas forcément datés ni obligatoires mais qui permettent d'approfondir un dossier plus large que les événements qui les ont mis au jour, des articles pas forcément important mais éveillant la curiosité, des moments de plaisir de lecture).