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Billet de blog 12 novembre 2010

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«Addicts», la fiction Web sur la grille

A partir de lundi 15 novembre, Arte.tv va diffuse trois fois par semaine les épisodes une «web fiction native» intitulée Addicts.

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A partir de lundi 15 novembre, Arte.tv va diffuse trois fois par semaine les épisodes une «web fiction native» intitulée Addicts.

A l'origine du projet, deux jeunes majeurs du quartier des Aubiers à Bordeaux qui décrochent une subvention d'Arte pour réaliser un court-métrage. Lydia Hervel, scénariste, prend le projet en main, organise des ateliers d'écriture dans la cité, contacte Vincent Ravalec, écrivain certes (Un pur moment de rock'n'roll, Cantique de la racaille...) mais cinéaste de formation. Au final, cela donne un objet un peu hybride, purement Web et tirant parti de cette approche non-linéaire, mêlant la fiction à la réalité. «La voyante est une vraie voyante. L'imam un vrai imam. Les voyous étaient des voyous. Ca se passe dans une vraie cité. Mais tout est faux, écrit Vincent Ravalec. Un film se tourne comme antidote à la délinquance. Un casse se prépare au détriment du film. Les acteurs ont l'air de jouer bizarrement. En fait ils ne jouent pas bizarrement, ils sont exactement comme dans la vie.» Mise en abyme, fiction autoréférencée, brouillage.

Un «scénario hypertexte» donc: contrairement à la narration classique qui prend le spectateur par la main pour le faire passer par des moments précis et des personnages, pas d'ellipse ici. Ou au moins pas d'ellipse imposé. Chaque moment est proposé, chaque point de vue aussi. A chacun de s'y frayer un chemin, même s'il n'y a qu'une seule fin possible.

Saad, sort de prison avec un plan braquage. Damien, ancien compagnon de galère, rangé avec femme, enfants... et dette. Anna, nouvelle venue, passionnée de cinéma. Djibril devenu styliste. Les GAV, ou la vie vue du commissariat. Backstage, ou le retour au réel. Seize épisodes de cinq séquences. Autant de permutations possibles. Plus la fiction qui «fuit» dans le réel, en traces dans les commentaires, dans les journaux, sur de faux sites, sur Facebook...

Cette construction qui multiplie les points de vue fait immédiatement penser à Elephant (Gus Van Sant, 2003) ou plus récemment à Simon Werner a disparu (Fabrice Gobert, 2009). Mais plus qu'au cinéma, elle emprunte ses codes et ses méthodes à la série télévisée (les premières images diffusées, très instables, font penser à la caméra à l'épaule de «The Shield»), dont les scénaristes utilisent le modèle de la grille pour coordonner l'histoire, y compris lorsque celle-ci n'apparaît pas directement dans un épisode.

Dans un entretien à Vacarme, Sarah Treem racontait ainsi l'écriture d'«In Treatment», série suivant jour après jours, patient après patient, des psychothérapies:
«Nous nous sommes rassemblés pendant plusieurs semaines, à six ou sept, dans une salle dévolue à l'écriture, la Writers'room. Et nous avons construit collectivement l'histoire pour la saison tout entière, à partir d'un grand tableau, avec une colonne par épisode. Pour “How to make it in America”, dont l'univers est celui de la débrouille à New York, nous avions à gérer plusieurs histoires parallèles, et six personnages principaux. On commençait par une histoire A avec deux personnages ; puis on passait à l'histoire B d'un autre personnage : il fallait faire en sorte qu'à un moment du premier épisode, les deux histoires se croisent. Pareil pour l'histoire C, etc. Nous avons avancé comme cela au fil de la saison, parfois au prix de violentes disputes, en faisant progresser en même temps toutes les histoires. Quand ce travail a été fini, chacun d'entre nous s'est chargé de l'écriture d'un épisode.»

«J’ai passé trois semaines à Los Angeles avec eux pour fabriquer une histoire. Là aussi, on part d’un tableau à sept colonnes, pour les sept semaines de la saison. On commence par étoffer le personnage : qui sont ses parents ? quels sont ses problèmes ? qu’est-ce qu’il aime ? Et là, on passe au premier épisode, puis au second. Au fil du travail, on se met à réserver des éléments pour des épisodes ultérieurs. Il faut essayer de constituer un arc : deux ou trois épisodes pour la construction du personnage ; une catastrophe à l’épisode 4; le climax à l’épisode 5; puis le début du dénouement à partir de l’épisode 6.»

On peut craindre que la technique n'entraîne des écritures standardisées. En tout cas, elle les rend très cohérentes. Mais contrairement à celle de la «fiche personnage» plus classique, elle permet de construire des personnages qui évoluent et vont au-delà de leur simple signalement (état civil, métier, tempérament, situation familiale).

Cela fonctionne-t-il dans le cas d'Addicts? A voir à partir de lundi 15 novembre à l'adresse addicts.arte.tv.

Le projet a bénéficié d'un budget de 1,18 million d'euros. L'objectif fixé par Arte est de 2 millions de visionnages. Il sera décliné en une mini-série de 3 fois 26 minutes diffusée l'an prochain.