Droit devant son pupitre, face aux prompteurs présidentiels, à la place qu'occupait quelques heures plus tôt Nicolas Sarkozy, Rupert Murdoch délivre son message au public de l'eG8 pendant vingt minutes. Mais le media mogul ne parle pas de la presse et de son avenir sur le Net. Il délivre la bonne parole en matière d'éducation. Sans contradicteur, sans question de la salle.
Faute d'une expertise sur le sujet, il peut se prévaloir des investissements de son groupe NewsCorp: 360 millions de dollars fin 2010 pour se payer 90% de Wireless Generation, une société qui fournit à 200.000 enseignants et 3 millions d'élèves américains des logiciels de suivi personnalisé. Un marché, surtout, évalué à 500 milliards de dollars pour les seuls Etats-Unis.
Une bonne raison d'appeler le G8 à investir dans l'éducation et «libérer le potentiel des enfants». Mais pas en apportant de nouveaux moyens: «Dans mon pays (il est australien, mais il parle des Etats-Unis), nous avons doublé les dépenses en matière d'éducation et les résultats sont inchangés. C'est le système qui ne marche pas. Les technocrates de la médiocrité vont trouver des excuses, invoquer la pauvreté, la difficulté à comprendre des enfants immigrés. C'est de la foutaise. C'est arrogant, élitiste, inacceptable.»
Pour l'homme d'affaires, l'ensemble du monde a évolué sous la pression des technologies, sauf l'éducation. «Nos écoles restent l'un des bastions qui résistent à la révolution numérique. Les écoles sont encore presque les mêmes qu'à l'époque victorienne: un enseignant avec un manuel, un tableau et un morceau de craie devant une classe d'enfants.»
Sa solution pour le monde est précisément ce que propose Wireless Generation. Les entreprises, explique-t-il, ont appris à personnaliser leur offre, à cibler leurs clients. «Les chefs d'entreprise doivent faire la même chose pour les écoles. Nous pouvons assurer à l'enfant pauvre de Manille les mêmes chances que l'enfant riche à Manhattan.» Le marché ne se limite plus aux 500 milliards des Etats-Unis, Murdoch vise la planète.
Avant le début de la manifestation, le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC) avait prévenu: «Il semblerait que le G8 agisse comme représentant des seuls intérêts commerciaux.» Il était suivi en cela par Consumers International: «Délibérer et décider à huis clos sur ces sujets numériques aussi fondamentaux nous conduit à douter de la méthode et de la légitimité. Quels intérêts sont représentés? Les internautes et la société civile ont été relégués au rang de spectateurs alors que le big business de l’internet est invité à en redistribuer les cartes.»
Le principe de la session spéciale, classique dans un forum sans mission officielle comme le forum économique mondial de Davos, pose plus de problèmes quand il s'agit d'«alimenter» en idées ceux qui décident des politiques publiques des pays les plus riches et à leur traîne de celles du reste du monde.
Sans préjuger d'une éventuelle décision que les chefs d'Etat et de gouvernement pourraient prendre à Deauville les 26 et 27 mai – l'annonce d'investissements dans l'éducation ne ferait certainement pas mal au tableau final –, il restera le soupçon qu'il est désormais possible de s'offrir une politique publique et une partie du marché mondial qui va avec.