Non, la vie privée n'est pas morte et les réseaux sociaux nous rappellent que c'est un exercice de paramétrage permanent, sur la Toile comme dans la vie. Dans le numéro de septembre-octobre de la Technology Review du MIT, l'anthropologue du Net Danah Boyd prend le contrepied des cris d'alarme relayés jusque sur Mediapart. Elle réfute notamment l'opposition public-privé: «Nous parlons en permanence de façon privée en public. Dans un restaurant, nous tenons des conversations intimes dont nous savons parfaitement que la serveuse peut les entendre. Mais nous comptons sur ce qu'Erving Goffman nomme “l'inattention polie”. (...) Nous négocions en permanence le caractère privé de nos conversations de façon explicite – “tu le dis à personne” – ou tacite. Parfois en vain. (...) Tout cela s'applique aussi en ligne mais avec des difficultés supplémentaires. Les murs numériques ont des oreilles; elles écoutent, enregistrent et diffusent nos messages. Donc avant de parler dans un environnement social comme Facebook ou Twitter, nous devons développer une intelligence de ce que l'on fait savoir et à qui.»
Elle n'en conclut pas pour autant qu'il faut se priver des réseaux sociaux ni effacer toute trace de son existence en ligne. Une telle absence est au contraire suspecte et on ne compte plus les exemples de phrases trouvées sur le Web telles que: «On ne trouve pas le nom d'Untel en cherchant sur Google, c'est donc qu'il n'existe pas / que c'est un pseudonyme / que c'est un usurpateur.» Pour beaucoup, quitter Facebook, c'est se couper de personnes qui ne connaissent plus que ce moyen-là de les contacter, quand bien même le lien entretenu serait ténu.
Mais il ne faut pas non plus considérer que le respect de la vie privée est un combat d'arrière-garde, déjà perdu. Ou, comme Eric Schmidt, patron de Google, que les gens devront un jour changer de nom pour échapper à leur réputation en ligne: «Je crois que la société ne saisit pas bien ce qui se passe quand tout est disponible, quand le monde peut tout savoir et enregistrer tout le temps. Nous devons réfléchir à ces choses en tant que société.»
Pour Danah Boyd, avec l'incorporation de plus en plus forte des médias sociaux dans la vie quotidienne, il faudra simplement plus de vigilance pour préserver une intimité et en garder le contrôle, en vérifiant les paramétrages des applications, en utilisant des identités alternatives ou en parlant de façon codée. A se mettre à penser comme les applications sociales. Ou alors amener les sites à gérer la vie privée de la même façon que nous le faisons dans la vraie vie, de façon intuitive. Faire percevoir à celui qui se livre la présence de tiers, pour l'amener à la discrétion. Ou inventer une durée de vie des statuts et des commentaires: le temps de le lire, une heure, un mois, une vie.
Le prochain réseau social à la mode devra imaginer cela.
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