Fabulous Fab(Labs)
- 27 mai 2011
- Par Vincent Truffy
- Blog : Le bac à sable


A vrai dire, il n'est pas absolument certain pourtant que le photocopieur de Tournesol, ou le synthétiseur de Star Trek ou un quelconque autre objet de science-fiction soit à l'origine des FabLabs. Il faut plutôt aller chercher du côté des obscurs cours d'éducation manuelle et technique où un professeur de collège en blouse bleue enseignait à utiliser la machine à coudre, la scie et la perçeuse à des élèves qui n'en voulaient pas, persuadés que le savoir-faire les éloignait du savoir et que l'EMT les menait tout droit à l'enseignement professionnel.
Mais c'est un cours d'EMT deluxe, car il naît dans une grande université américaine, le Massachussetts Institute of Technology. Comme son nom l'indique, c'est la science appliquée qui est enseignée ici, et à un moment ou à un autre, l'étudiant doit réaliser le projet qu'il élabore. En 1998, le physicien Neil Gershenfeld prend donc la responsabilité d'un cours pratique de prototypage malicieusement intitulé How to Make (Almost) Anything (Comment fabriquer (presque) n'importe quoi). On trouve dans son atelier de lourdes et coûteuses machines-outils capables de manipuler les gros volumes aussi bien que les atomes.
Ses étudiants, apprentis ingénieurs mais sans bagage de technicien restent incrédules — «Ils demandaient: "Ca peut etre enseigné au MIT? Ca à l'air trop utile?"», raconte Gerschenfeld. Mais très vite, il s'approprient le lieu, fabriquent un double des clés et reviennent nuitamment pour fabriquer «(presque) n'importe quoi», conformément à la promesse initiale. Beaucoup de petits objets à vocation plus artistique que technique. Une «scream buddy», par exemple, sorte de sac ventral qui étouffe le cri de colère lorsque celui-ci est inoportun, mais sait le libérer plus tard. Un réveil qui ne cesse de sonner que lorsqu'il s'est assuré que le dormeur est réellement réveillé... parce qu'il est capable de remporter un jeu contre lui... «Ils fabriquaient des objets pour un marché d'une personne», explique Gershenfeld.
Mais plutôt que de considérer ces réalisations comme de futiles broutilles, comme des errements potaches, l'universitaire s'aperçoit que ses étudiants ont réinventé l'échelon artisanal, celui qui se satisfait des matières premières locales et remplit des besoins particuliers que ne sait pas combler l'industrie, toute à son désir de s'adresser à une demande de masse, globale et indifférenciée.

Les FabLabs vont au-delà de l'artisanat par leur capacité à exploiter le réseau: les usagers peuvent confronter leurs idées, les partager sur place comme à distance, les adapter à de nouveaux besoins et les améliorer sur le modèle du logiciel libre. Fabien Eychenne, chef de projet à la Fondation Internet nouvelle génération (FING) raconte par exemple qu'il a rencontré des élèves designers, disposant d'outils plus perfectionnés dans leur école, qui se rendaient dans un FabLab parce qu'on n'y était pas qu'entre designers.
A lire la charte des FabLabs, le business n'est pas absent: «des activités commerciales peuvent être incubées dans les fab labs, mais elles ne doivent pas faire obstacle à l'accès ouvert. Elles doivent (...) bénéficier à leur tour aux inventeurs, aux labs et aux réseaux qui ont contribué à leur succès.» A côté des open days où ils laissent les machines à la disposition de tous contre la promesse de reverser les innovations et les modèles à la collectivité, certains FabLabs proposent des journées privées, où l'usage des machines est payants, mais qui permet de développer rapidement des prototypes brevetables et de trouver un modèle économique. Ce faisant, c'est le brevet et le copyright qui finance l'innovation ouverte.
A l'occasion de Futur en Seine (du 17 au 26 juin), la FING monte un FabLab temporaire à la Cité des sciences (niveau -1, carrefour numérique) pour familiariser le grand public ave ce néo-artisanat. Pendant les week-ends, les membres de la fondation proposeront des visites et feront tester la découpe laser. Le mercredi, ils organiseront un FabLab Kids pour les enfants du quartier (avec notamment des expériences de circuits bending, c'est-à-dire le détournement descircuits électroniques des jouets pour leur faire faire autre chose que ce pourquoi ils sont prévus. Ils accueilleront des «makers» résidents appelés à réaliser en public les projets qu'ils ont déposé pour le Unlimited Design Contest et mèneront des actions de sensibilisation pour les industriels et les pouvoirs publics.
- A lire: Makers: Faire société et Makers: Refabriquer la société
- A voir: la conférence TED de Neil Gershenfeld
Merci à Véronique Routin et Fabien Eychenne, pour leurs renseignements.

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