Le 22 août 2021, la loi Climat et Résilience interdisait définitivement « la publicité diffusée au moyen d’une banderole tractée par un aéronef ». Finis donc, le ronronnement de l'avion en approche, le flip-flop de la banderole au-dessus des vagues, le plaisir impatient de déchiffrer, à même le ciel azur, la date du prochain du toro-piscine ou le montant des réductions chez GIFI.
Pourtant, un an plus tard, les publicités volantes paradent toujours le long des côtes. Pour faire face à leurs difficultés de reconversion, les sociétés aériennes ont obtenu un délai. L'interdiction entrera en vigueur le 1er octobre. Il reste donc aux professionnels du secteur quelques semaines pour faire leurs adieux aux vacanciers et, surtout, pour ré-orienter leur activité ou changer d'emploi. Bientôt privées de leurs recettes estivales, les sociétés aériennes (bien souvent des entreprises familiales de moins de 10 salariés) se retrouvent face au mur. Il leur faut, au plus vite, faire des choix stratégiques : fermer boutique et vendre les avions, ou bien tenter de se reconvertir dans la cartographie aérienne et les cours de pilotage.
Dans le même temps, l'été 2022 a été marqué par le phénomène grandissant du flight tracking. Des milliers d'internautes se sont pris de passion pour cette technologie qui permet, notamment, de suivre en temps réel les déplacements aériens des grandes célébrités. L'astronomique bilan carbone des jets privés est apparu au grand jour. Pour ne prendre qu'un seul exemple, le jet de Bernard Arnault a émis au mois de mai 176 tonnes de CO2, soit autant qu'un français moyen en 18 ans ! Depuis quelques semaines, le grand public s'indigne, la colère gronde sur les réseaux sociaux. C'est dans ce contexte que, vendredi 19 août, Julien Bayou (EELV) a annoncé son intention de déposer une proposition de loi visant à interdire les jets privés.
L'interdiction des avions publicitaires, un symbole nécessaire... mais pas suffisant
Interrogée sur la loi Climat, la société Air Media Pub, l'un des principaux opérateurs de banderoles publicitaires sur la côte méditerranéenne, affirme : « Nos avions ne polluent pratiquement pas, comparé à d'autres secteurs. Ce sont de tout petits avions, très légers, qui consomment 15 litres de SP95 par heure de vol. En réalité, le jet de Castex a pollué en un aller-retour plus que nous en une saison complète ». Avant d'ajouter : « L'interdiction des banderoles aura très peu d'effet sur le climat ». Très peu d'effet ? Le Haut conseil pour le climat, consulté en 2021 par l'Assemblée Nationale, confirme : compte tenu 1) du faible nombre de vols que cela représente et 2) du caractère peu polluant des avions utilisés, les publicités aériennes n'ont en effet qu'un « impact anecdotique » sur l'environnement. Leur interdiction n'aura guère de conséquence sur le réchauffement climatique. Alors, on est en droit de se demander : cette décision était-elle vraiment utile ? Sur les plages du Languedoc, de nombreux vacanciers interrogés approuvent l'interdiction, et ce en dépit de sa faible efficacité climatique. Alors que la sécheresse et les incendies font des ravages, que l'éco-anxiété gagne du terrain, beaucoup considèrent en effet que la publicité aérienne est une « pollution inutile », qu'il est urgent d'éliminer. Un touriste parisien résume : «L'interdiction des avions publicitaires est un symbole important... il faut absolument lutter contre le réchauffement climatique. »
Malheureusement, pour mener une politique écologique efficace, les petites mesures symboliques sont certes nécessaires, mais pas suffisantes. C'est le message transmis par un groupe d'élus européens dans une tribune Mediapart, éloquemment intitulée « On ne réglera pas le bouleversement climatique en s'attaquant aux demi-bouilloires », en référence à la surprenante loi irlandaise obligeant les citoyens à ne pas sur-remplir leur bouilloire, afin de faire des économies d'énergie. Pour les signataires de ce texte, les mesures symboliques doivent être accompagnées de mesures réellement efficaces, faute de quoi la politique écologique se transforme en un médiocre greenwashing d’État, inefficace, injuste, et, le plus souvent, culpabilisant pour ceux d'entre les citoyens auxquels il est demandé de faire des efforts.
L'interdiction des jets privés, ou la possibilité d'une réduction significative de nos émissions de CO2
C'est ici qu'entre en jeu la proposition d'interdire les jets privés. Car ces appareils, au contraire des petits avions à hélices utilisés pour tracter les banderoles, produisent une part non négligeable des émissions de CO2 liées au transport aérien. Leur interdiction contribuerait de manière effective à lutter contre le réchauffement climatique. Ce serait une mesure bien plus efficace que l'interdiction des banderoles aériennes dont le principal intérêt réside, comme le résume Air Media Pub, « dans son influence sur l'esprit des gens ».
Ce qui ne veut pas dire que l'interdiction des jets n'aurait pas, elle aussi, un fort impact symbolique. Bien au contraire. Interdire les jets privés, c'est faire un premier pas en direction d'une transition juste, d'un effort climatique équitablement distribué en fonction des possibilités de chacun. Comme le remarque Julien Bayou : « C’est la mesure qui pénalise le moins de monde pour l’impact le plus grand et le plus immédiat en faveur du climat. Et c’est une question de justice. Comment demander des efforts à la population, comment imaginer une transition juste, si les plus riches sont complètement exonérés de tout ? » En réalité, le prix à payer, pour les ultra-riches, est infime : il est peu probable que Bernard Arnault, une fois privé de son jet, ne connaisse les difficultés de reconversion que connaissent actuellement les professionnels de la publicité aérienne.