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Billet de blog 6 février 2017

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UraMin, machine à corruption? Le battement de cil d'Anne Lauvergeon

Chronique 1. Pour tous ceux fascinés par l'affaire UraMin, cette hallucinante histoire à 3 milliards d'euros, je tiendrai ici, espace de liberté, une chronique régulière et pérenne, avec ma focale d'écrivain au coeur du scandale, et de témoin dans la procédure. J'essaierai de la rendre la plus vivante possible.

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Dix années se sont écoulées, ou presque, depuis l'OPA de juin 2007, quand Areva, pour 1,8 milliard d'euros, mettait la main sur trois gisements d'uranium en Afrique. Les géologues d'Areva éconduits à l'occasion de la certification des réserves évoquent plutôt le terme de "gîte", un gisement ayant pour ambition de se transformer en mine, alors que pas une tonne d'uranium n'a jamais été extraite de ce sous-sol infertile. Les plus taquins d'entre les experts parlent même de "curiosité géologique". 1,2 milliards d'investissements sont venus alourdir l'addition.

Vendredi dernier, à l'occasion de la très sage assemblée générale des actionnaires d'Areva, guère un rassemblement rebelle pour tout avouer, on a appris que le sauveur serait japonais, accompagnant la remise au pot par l'État de 4,5 milliards d'euros.

La veille, le jeudi 2 février, j'étais auditionné par la brigade financière de la préfecture de police de Paris, dans le cadre de l'instruction ouverte pour corruption d'agent public étranger, corruption, abus de confiance, détournement de fonds publics, faux, blanchiment, complicité et recel. J'étais d'abord entendu sur les déclarations que j'avais produites au micro de Jacques Monin pour Secrets d'Info sur France Inter le 28 janvier, mes propos impliquant la participation présumée de trois banques d'affaires monégasques dans le circuit des rétro-commissions post UraMin. Cette audition confirme la volonté des magistrats et des policiers d'enquêter sur le versant de ce dossier : celui de la corruption. L'audition s'est prolongée durant neuf heures puisque les officiers de police judiciaire ont décidé de verser mon dernier livre, le document "Une Affaire Atomique" à la procédure, plaçant un exemplaire sous scellés. Comme me l'a suggéré avec une certaine perfidie mais justesse mon éditrice chez Robert Laffont Françoise Delivet (qui a désepérément cherché à réduire les 464 pages du texte...), "c'est dans ce moment-là, que tu regrettes d'avoir pondu un manuscrit de 900.000 signes...".

Curieuse sensation de voir de ce qui demeure somme toute un travail d'écrivain être disséqué avec attention par un service de police judiciaire. Dans tous les cas, me concernant, une réelle satisfaction lorsque, au cours des quinze derniers jours, les communicants et conseils d'Anne Lauvergeon n'ont pas ménagé pas leurs appels à la presse pour discréditer le livre et son auteur (on y reviendra). Une audition de neuf heures, même pour un témoin volontaire, n'a rien d'anodin. Il y a des moments de grande concentration, d'autres, parfois, de naturelle tension. Avec, toujours, ce sentiment d'être entendu par des policières consciencieuses, méthodiques, et surtout jamais conniventes. Et, en sortant, à la nuit tombée, comme la sensation de participer, à mon niveau, au délicat et hasardeux exercice d'établissement de la vérité. À ce sujet, je le répète ici : les moyens à minima dégagés par l'État sur cette affaire de portée internationale (pour reprendre les termes d'un document du Ministère de l'Intérieur) ne méritent pas les efforts des fonctionnaires de police et des magistrats. Quand donc les autorités gouvernementales vont-t-elles donc mettre à la disposition de l'enquête les instruments adéquats ? Le décideur politique en a-t-il seulement la volonté ?

En dehors de l'atone assemblée générale d'Areva, il s'est donc passé un certain nombre de choses intéressantes sur le dossier UraMin pendant quarante-huit heures. Dans l'édition de Marianne du 3 février, à l'aune de l'affaire Pascal Henry (vol de synopsis, document ensuite instrumentalisé auprès d'un élu de la République), sous la plume de Thierry Gadault, on en apprenait plus sur les méthodes particulières de l'équipe Lauvergeon pour mettre la pression sur les journalistes, les témoins, et sur donc aussi l'auteur d'"Une Affaire Atomique". Je salue à l'occasion tous les journalistes demeurés insensibles aux éléments de langage venimeux des avocats et communicants de Mme Lauvergeon. Il en reste, et c'est là leur honneur.

Le plus captivant est venu d'un battement de cil, qui, peut-être, va contribuer au basculement de l'instruction. En fin de soirée, certes trop tardivement, le numéro de Complément d'Enquête sur France2 était consacré à un portrait d'Anne Lauvergeon. Plutôt flatteur dans sa première partie, le  document s'intéressait dans un second temps aux questions fâcheuses, dont surtout celle de la corruption présumée dans le dossier UraMin. Corruption de moins en moins présumée, puisque, répondant aux insistantes questions de la journaliste Laure Pollez (tenace Laure Pollez), Anne Lauvergeon a lâché comme un demi-aveu (ne la concernant pas...) à la 53ème minute du film.

Anne Lauvergeon : Moi je n'ai jamais fait de corruption. Donc je ne sais pas en faire... C'est non... /.../ On est dans un métier où on ne faisait pas de commissions.

Question de Laure Pollez : Donc, vous niez l'hypothèse de la corruption ?

Anne Lauvergeon :  Mais je la nie, je ne sais pas...? Moi, nous, on n'en a pas fait...

Quelques mots finalement assez éclairants, qui ne peuvent pas ne pas éveiller la curiosité des policiers et magistrats engagés désormais sur ce volet de l'affaire. Ce bredouillement, s'il peut apparaître limité dans ses conséquences, représente pour les initiés de l'affaire un réel rebond, justifiant toutes les ouvertures de pistes liées à la corruption, et légitimant les arguments de ceux qui - vox clamat in deserto - de William Bourdon à Marc Eichinger, en passant par les journalistes précurseurs, ceux de Mediapart, Martine Orange en tête : UraMin ne serait qu'une gigantesque affaire de corruption internationale, afin notamment de régler les soucis d'Areva en 2006-2009 en connexion avec le développement commercial de son programme EPR.

Madame Lauvergeon a donc peut-être plus à dire sur la question, si elle, la corruption, moi non, mais d'autres qu'elle, éventuellement ?

Fin de cette première chronique UraMin sur donc quelques mots, un battement de cil irradié, et, finalement, au-delà d'un certain écoeurement voire découragement lié au cynisme, à la dissimulation, au déni, y compris ceux de l'État actionnaire peu pressé donc d'engager tous les moyens au service de la vérité, le besoin d'en savoir plus, encore un peu plus, beaucoup plus.

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