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Billet de blog 13 février 2017

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UraMin, rendez-vous chez le psy

Chronique N°2. Poursuite de mes chroniques radioactives liées à l'affaire UraMin. Aujourd'hui, nous avons rendez-vous chez le psy, le docteur Joaquin Ruiz, pour y évoquer déni et mensonge.

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L'une des deux instructions de l'affaire UraMin, celle ouverte pour diffusion de fausses informations boursières, présentation de comptes inexacts, abus de pouvoir, faux et usage de faux, n'est pas loin d'être bouclée dans quelques jours. L'audition le 15 février prochain de René Ricol comme témoin promet peut-être d'être décisive sur ce versant de l'affaire. René Ricol avait été missionné en 2010 par Nicolas Sarkozy dont il était proche (il a été sollicité - sans succès - quelques mois plus tard pour être le directeur de campagne du candidat en 2012) pour auditer les comptes d'Areva, et plus particulièrement ceux liés à UraMin. C'est à l'issue de sa mission que René Ricol, commissaire aux comptes, déclarait "avoir perdu son temps avec bonheur" chez Areva. Formule qu'il relativisera en février 2012, en ajoutant dans le Journal du dimanche "... sauf si on m'a sciemment menti...". Dans cette même interview, il lâchait aussi, concernant le premier rapport sévère sur l'OPA de 2007, celui de Marc Eichinger présentant UraMin comme une opération potentiellement frauduleuse : "... Si on m'avait communiqué ce rapport, j'aurais posé des questions sur le bien fondé de ma démarche...". Si donc les décideurs d'Areva n'ont pas sciemment menti à René Ricol, force est de constater qu'on lui a à l'époque dissimulé nombre d'informations sensibles. Dans quel état d'esprit sera donc mercredi devant les magistrats instructeurs René Ricol, par ailleurs l'un des clients de la société de conseil 2F de François Fillon ? L'exigence de vérité qui sied à un commissaire aux comptes irréprochable ? Ou bien la poursuite des accommodements déraisonnables ?

Il est vrai que la transparence ne semble pas caractériser les positions des précédents auditionnés. Sans avoir accès à la procédure, c'est une somme de dissimulations, de mensonges et de dénis qui entrave depuis près de trois ans le travail des magistrats et des officiers de police judiciaire. Une apologie, même. Les enjeux liés au monde de l'atome, du nucléaire, ceux connexes à la raison d'État ne sont pas étrangers à ce mur de dénégations. Mais pas seulement. Dans l'affaire UraMin, il est question aussi d'orgueil, de fuite en avant, de quête inextinguible du pouvoir.

Puisqu'il est question du triptyque dissimulation/mensonge/déni, et que transpire dans ce dossier des soupçons de pathologies mentales (par exemple, l'avocat d'Anne Lauvergeon, dans un courrier adressé à mon éditeur le 8 décembre dernier, concernant la publication d'"Une Affaire Atomique" - mon dernier ouvrage sur l'affaire - n'a pas hésité à faire part de "présentation mégalomaniaque de l'auteur par lui-même"...), il est peut-être temps de transporter UraMin chez le psy.

Joaquin Ruiz, psychiatre et psychothérapeute, docteur en médecine, agrégé de philosophie, à la retraite, mais encore collègue romancier, m'a accordé une interwiew pour répondre à quelques questions relatives à l'attitude de certains mis en cause dans l'affaire.

Qu'est-ce que le déni par rapport au mensonge, docteur ?

C'est juste une question de conscience ou d'inconscience. Le mensonge relève du conscient, le déni de l'inconscient. On peut placer le menteur devant des évidences, des faits. Le déni résulte d’une volonté inconsciente de ne pas les accepter.

Dans le cadre d'une affaire politico-financière, les magistrats instructeurs se heurtent et au mensonge, et au déni. Comment combattre l'un et l'autre ?

Les juges d’instruction, les policiers, ont principalement affaire au mensonge. Le mis en cause tient sa position : "Je n'ai rien fait". Et lorsqu'il est poussé dans ses retranchements, le mis en cause qui ment dispose de deux derniers subterfuges. Le premier est un retournement : le renversement du mensonge sur l'accusateur, le dénonciateur. Ceux qui dénoncent (les lanceurs d'alerte, les journalistes d'investigation, etc...) sont des affabulateurs. Le problème provient d'eux, de leur attitude irresponsable et mythomaniaque, ou de leur complot. On ne peut pas, on ne doit pas les croire. Le second retranchement est le transfert de responsabilité: "Ce n'est pas moi, c'est l'autre" (dans le cadre d'UraMin, chacun fait porter aux autres sa propre inconséquence). L'autre devient le recours. La défense se nourrit  ici de l'autre : le vrai responsable de tout.

Dans le cas du déni, donc de l'inconscient, une longue audition devant les magistrats ou les policiers, vaut-elle séance de thérapie ?

En aucun cas. Le juge d'instruction peut lutter contre le mensonge, pas contre le déni. Seul un psy peut avoir affaire au déni, tenter de le repérer, le décrypter et le traiter. Une thérapie est toujours volontaire. Devant la police ou devant la justice, on est convoqué. On n'a pas le choix. On subit une interpellation, comme une agression. C'est un moment angoissant. C'est un moment où l'on se défend d'abord, où on cherche avant tout à se sauver. Dans le cas pathologique du déni, finalement le dernier endroit d'où jaillira la vérité sera celui du bureau d'un juge d'instruction. Le magistrat s'appuie sur la vérité des faits, la seule que le droit puisse reconnaître, et ne s’interroge pas sur l’origine psychique des mensonges. Ce n'est pas au magistrat instructeur d'établir une cohérence entre les faits reprochés, le discours et le fonctionnement psychique du mis en cause.

Le déni, plus que le mensonge est donc le principal obstacle à l'établissement de la vérité?

En psychanalyse, le déni est établi quand le sujet croit que sa théorie (mensongère) est la vérité. On se ment alors à soi-même. Par exemple : "Ma mère ne m'a jamais aimé". Renforcé par des faits supposés : "Elle a toujours préféré ma soeur". Le déni est aussi un phénomène d'auto-protection. C'est avant tout un déni de réalité. Et devant l'intangibilité, devant l'évidence, l'opposition de la négation. La vérité est insupportable à celui, à celle qui dénie. Il est plus facile de confondre un menteur. Par exemple quand Cahuzac énonce "Je n'ai jamais eu de compte en Suisse", on a affaire à un menteur, et si on l'oppose à des faits évidents, il reconnaît sa faute, ou il persiste, s'obstine, et se rabat sur un nouveau mensonge (dans ce cas, le pseudo- financement de la campagne de Michel Rocard). La preuve met à mal le menteur. Le déni tient au contraire d’une structuration, elle, psychotique, que rien ne peut mettre à mal, surtout pas les faits.

Le déni peut-il être collectif ? Je précise ma question : un environnement particulier, voire exceptionnel (le secteur du nucléaire, l'hyperpuissance d'une compagnie, des enjeux stratégiques) peut-il privilégier le déclenchement d'une communauté de dénis ?

Oui. Une structure forte, avec une parole unique, peut entraîner un phénomène de déni collectif. C'est le cas exemplaire du fonctionnement des sectes. Le facteur aggravant de persuasion de groupe empêche l'individu de décider, de penser par lui-même. Plus la structure est puissante, plus ce phénomène peut toucher chacun. C'est d'abord vrai pour le mensonge qui devient un mensonge protégeant des intérêts supérieurs et qui absout le menteur, puisqu'il ne ment plus pour retirer un bénéfice personnel mais uniquement pour protéger les objectifs et les intérêts de sa communauté. Si cette communauté s'appelle l'État, par exemple, le mensonge (comme la corruption, même punie par le code pénal) devient nécessaire et valorisé pour protéger l'intérêt supérieur.

Le secteur du nucléaire, l'influence du secteur de l'énergie, de l'atome peut-elle renforcer mensonges et dénis ?

C'est le cas. Personne chez Areva ou chez EDF ne peut douter du nucléaire. On est dans l'auto-persuasion collective. Sur les questions de sécurité, environnementales, de qualité des équipements, de leur "compétitivité" par rapport aux autres énergies... Oui, nul ne peut douter du nucléaire, plus sûr, moins cher, moins polluant... Par ailleurs, ce sont des secteurs où l'on privilégie le culte du secret. On est dans un entre-soi fermé. On se parle entre initiés, on bâtit entre-soi un déni de toute argumentation venue de chez l’adversaire. C'est finalement révélateur du fonctionnement des élites : nous, les technocrates, nous savons : on sait faire, on est persuadé d'être dans le vrai (au service des intérêts du plus grand nombre). On n'a pas à répondre aux interpellations du peuple, à assumer de responsabilités. Au-delà du mépris pour les autres, les utopistes, et du mépris pour les alternatives, oui, c'est aussi, c'est devenu un déni. Il ne peut y avoir d’alternative.

Comment sort-on du déni ?

C'est très difficile. Seule une longue thérapie peut tenter de soigner cette pathologie. Le psychotique a construit sa réalité, où le doute n’a pas de place. Il a construit une véritable forteresse...

Comme l'enceinte de confinement autour d'un réacteur nucléaire ?

Oui, c'est ça, en confinement absolu. Le psychotique vit dans un monde paranoïaque dans lequel il est en guerre contre tous les autres. Lui seul a raison. Le paranoïaque ne doute pas, ne souffre pas. Il est sûr de lui, de son fait.

Merci docteur. Nous reviendrons vers vous si nécessaire, dans le cadre de cette hallucinante affaire mettant en prise des acteurs somme toute exceptionnels.

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