Un vendredi 13 dans Paris étouffé par un retour d'ozone, une douceur prématurée, une moiteur presque centrafricaine, qui mène à Bakouma, le troisième des gisements de l'acquisition fabuleuse d'Areva en juin 2007, et qui n'a évidemment pas été visité par le Président de la République, en voyage ce même jour sur cette terre africaine scarifiée.
Étrange télescopage.
François Hollande en Centrafrique, pour y annoncer la fin de la mission Sangaris. Anne Lauvergeon devant les juges pour s'expliquer sur le volet "comptable" de cette opération publique d'achat désormais maudite. Deux destins liés ce vendredi 13 par un coeur d'Afrique saigné à blanc. Pour rappel, l'affaire Uramin avait considérablement dégradé les liens entre Paris et Bangui, et lorsque François Bozizé, le président centrafricain, menacé par l'approche de la rebellion Seleka aux portes de la capitale, en mars 2013, avait demandé le secours de la France, François Hollande s'en était lavé les mains. La bonne aubaine pour se débarasser de Bozizé qui ne s'était guère montré conciliant avec Areva pendant des années. La suite, on la connaît : 6000 morts, et Bangui à la merci de toutes les exactions. Et lancement tardif du déploiement Sangaris, qui se promettait opération rapide et momentanée (Sangaris étant un papillon africain, donc destiné à une existence éphémère). Ce dispositif a été maintenu trois années. La malédiction UraMin n'est pas qu'affaire de lucre, elle a aussi, quelque part, pesé sur la guerre civile centrafricaine.
UraMin n'est pas qu'affaire de dépréciation tardive d'avoirs miniers, et de diffusion de fausses informations. La mise en examen d'Anne Lauvergeon sur le volet donc comptable n'est qu'une péripétie dans une aventure aux facettes multiples. Cette étape est signifiante. Elle ébranle des certitudes. Elle fissure - non pas une cuve d'EPR - mais cette irrésistible confiance qui sied aux puissants.
Ce vendredi, je ne faisais pas partie de ceux qui chassaient en meute. J'ai ressenti, à nouveau, le poids du dossier, et dans un sentiment contradictoire, j'ai presque souhaité bonne chance, bonne défense à Anne Lauvergeon. Je crois au retournement de chacun, à un moment clé, quand finalement il est question de l'essentiel : le bien partagé, et, en l'occurence dans le cas d'Areva, le bien public. Et surtout, la coercition, et la morale m'intéressent moins que l'établissement de la vérité, une exigence finalement plus simple, et moins discutable.
Je ne reviendrai pas sur la conclusion de ce vendredi 13. Mais le soupçon de dissimulations signifie motivations de dissimulations. Aussi, à présent, il convient de comprendre pourquoi la présidente du directoire d'Areva n'a pas engagé tous les efforts nécessaires pour révéler l'ampleur des dégâts causés par cette OPA à 1,8 milliard d'euros.
Je ne terminerai pas ce billet sur Anne Lauvergeon. Résumer l'affaire UraMin au visage emblématique d'"Atomic Anne" est une erreur. Une simplification arrangeante. En mai et juin 2007, il existait un ministre des Finances, un Premier ministre, et un Président de la République pour prendre, ou accompagner les décisions, surtout les calamiteuses.
L'affaire UraMin trouve sa place sur un échiquier. Il existe bien entendu des fous qui ravagent les diagonales, Dattels, Wouters, Montessus, Balkany, peu de cavaliers puisque pas de lanceurs d'alerte, quelques pions épars prêts à être digérés (dont un consultant en sécurité téméraire, un romancier un peu largué, et un improbable descendant de maharadjahs...), et si les services de l'État sont représentés par les tours rigides et bernables, une reine impérieuse impose bien sa domination. Mais on ne remporte rien à ce jeu en s'emparant de la reine seule. Il convient de mettre en échec les rois, le roi. La deuxième information judiciaire ouverte, relative à d'éventuels faits de corruption et d'escroquerie, peut approcher les rois. Mais l'instruction sera longue, et hasardeuse. Les cases noires, et blanches de l'échiquier UraMin se dénomment Îles Vierges Britanniques, Îles Caïmans, Bermudes, Canada (province de l'Ontario), Londres (place financière de la City), Afrique du Sud, Chine - et pourquoi pas le Qatar ? - et d'autres ailleurs où rien n'est trop organisé pour faciliter les investigations de la justice française, à laquelle s'opposeront secret des affaires, secret bancaire, opacités, et fatales péremptions (la conservation des archives se limite à six années pour les offshores, et à sept années pour les opérations bancaires dans la plupart des paradis fiscaux). Seule la volonté de l'État, et son soutien matériel et humain aux magistrats du pôle national financier et aux officiers de police judiciaire, sera en capacité de réaliser tout simplement un miracle. Sinon, UraMin demeurera un fantasme, une somme de convictions et de mensonges, de provocations et d'impunités.
Rien n'est simple dans cette histoire où tous les coups sont presque permis. Les bureaux de Madame Lauvergeon n'ont-ils pas été fracturés quelques heures avant son audition ? Tout comme les domiciles de deux témoins, deux cadres d'Areva, cambriolés avant leur déposition devant la Brigade Financière. J'ai personnellement fait l'objet, comme d'autres pions et fous sur l'échiquier, d'une surveillance, d'une attention particulières. En écrivant un thriller à clés, "Radioactif", en 2014, je n'imaginais en rien que la réalité l'emporterait ainsi sur la fiction. S'il est avéré que les bureaux d'Anne Lauvergeon ont bien été ciblés aux premières heures de ce vendredi 13, alors, qui est donc, ou qui sont donc les puissants dont l'ombre et les absences pèsent sur UraMin ?
Les rois, pour l'heure gavés, digèrent les festins passés. Bonne sieste digestive. Pour le moment, encore.