VincentCrouzet (avatar)

VincentCrouzet

Écrivain

Abonné·e de Mediapart

20 Billets

0 Édition

Billet de blog 30 janvier 2017

VincentCrouzet (avatar)

VincentCrouzet

Écrivain

Abonné·e de Mediapart

Le scandale UraMin dans le débat présidentiel ?

L'affaire UraMin entre dans son "money time" (c'est le cas de le dire...), en plein campagne pour le scrutin présidentiel. C'est l'heure ou jamais, d'informer les citoyens sur cette affaire inégalée sous la Vème République.

VincentCrouzet (avatar)

VincentCrouzet

Écrivain

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'affaire UraMin, qui concerne l'acquisition désastreuse de trois gisements d'uranium par Areva en juin 2007, doit connaître dans les prochaines semaines une accélération de son calendrier, les investigations touchant les soupçons de corruption, blanchiment, détournements de fonds publics, et délits d'initiés, débutant réellement désormais, après de longs mois d'une instruction portant sur la partie dite "comptable" du dossier. Ce nouveau versant ouvert n'est pas inconnu pour les lecteurs de Mediapart : il revisitera les années d'enquête de Martine Orange et de Yann Philippin sur le sujet, s'intéressera aux liens préexistants entre les vendeurs anglo-saxons et africains et l'acheteur Areva, mais encore aux conditions ahurissantes de l'acquisition menée en début de règne de Nicolas Sarkozy, et enfin, en aval, aux circuits de la corruption. Il s'agira pour les officiers de police judiciaire de la brigade financière, et pour les magistrats du pôle national financier, d'un travail compliqué, exigeant, où les entraves seront nombreuses tout comme les obstacles liés aux prescriptions en cours dans les paradis fiscaux.

Mais on avance. Lentement, avec les moyens alloués par l'État aux policiers et magistrats, mais certainement. Et puisque l'assemblée générale des actionnaires d'Areva qui se tient le vendredi 3 février m'en donne l'occasion, j'en profite pour m'interroger sur la volonté réelle de la compagnie de faire toute la lumière sur ce dossier. Certes, l'agenda et les conditions du plan de recapitalisation par l'État, voire aussi par des intérêts étrangers (Japon, Russie, Chine ?), ne sont guère favorables à une opération vérité. On peut cependant opposer qu'un retour d'expérience serait plus que salutaire concernant cette affaire à 3 milliards d'euros de pertes nettes (pertes qui perdurent, eu égard aux dépenses liées à la maintenance et à l'entretien du site de Trekkopje, et à celles liées au coût du prolongement des licences - questions qui méritent du reste d'être posées à l'AG Areva du 3 février). L'achat de ces trois gisements ayant eu pour conséquence, avec la fuite en avant du programme EPR, le naufrage financier de notre "fleuron" nucléaire, on doit rappeler qu'à l'occasion Areva s'est portée partie civile dans l'affaire UraMin. Une question se pose : la compagnie fait-elle tout afin que les cadres supérieurs de l'époque témoins se pressent volontairement auprès des policiers et des magistrats ? Par ailleurs, j'en profite pour écrire ici, qu'au-delà du travail de sape un peu minable des communicants et avocats d'Anne Lauvergeon pour étouffer mon témoignage dans "Une Affaire Atomique", publié le 19 janvier chez Robert Laffont, les lobbystes plus qu'influents du complexe électro-nucléaire ne sont pas en reste quand il s'agit d'étrangler un peu plus un document qui se défie des tabous, et qui évoque, notamment, les opérations présumées de corrruption en Chine afin de favoriser la signature des contrats de Taishan 1 et 2, soit les deux premiers réacteurs EPR à entrer en activité dans le monde cette année. Pour célébrer dignement et en grande pompe cet évènement, cachons donc cette vilaine face du dossier que l'on ne saurait voir. La politique de l'autruche, surtout, d'abord.

L'État s'apprête à injecter 4,5 milliards d'euros dans la nouvelle structure dénommée NewCo Areva désormais dévolue au seul cycle du combustible, EDF portant à présent le fardeau de l'activité réacteurs, avec le risque immédiat d'un endettement fatal pour notre électricien national. Les folies des grandeurs, celles qui ont sapé les fondements de la filière électro-nucléaire française, pourtant hier leader mondial, reprennent. La leçon UraMin n'a pas suffit. La leçon UraMin n'a pas porté. Puisque nul n'assume ses responsabilités, n'admet ses grandes fautes, alors c'est à l'État, tout aussi responsable que défaillant, de remettre la main dans une poche pourtant percée.

Cette conjoncture devrait être propice à un grand débat national sur l'énergie mais encore sur les complicités de l'oligarchie, et sur la corruption d'État. Nous voilà, avec l'élection de Benoît Hamon, entré dans la phase vive de la campagne électorale. La ligne de départ des prétendants est donc constituée.

J'écris dans "Une Affaire Atomique", que, dans le cadre du scandale UraMin, pas une seule voix de leader politique, pas une voix de parlementaire ne s'est réellement élevée pour demander des comptes à Areva, à Anne Lauvergeon, à l'État actionnaire. Que pas un seul ministre de tutelle n'a jamais épelé six lettres maudites : U-r-a-M-i-n. On peut donc délester la plus puissante de nos compagnies publiques et ainsi l'État de 3 milliards d'euros sans que quiconque ne jamais s'en soucie ? Quelle farce. Quelle farce détestable hélas emblématique de toutes les dérives de cette fin de Vème République.

Il serait donc légitime, dans le cadre de cette campagne présidentielle cette fois plus majeure encore, qu'enfin cette affaire soit dévoilée aux Français, pour que cet immense gâchis, qui touche des milliers d'emplois chez Areva, qui concerne une casse industrielle stratégique, ne se reproduise plus. Et l'on doit pouvoir parler d'UraMin, des folies du programme EPR sans pour autant nourrir la bête malsaine du populisme. Je me suis inquiété, ces dernières semaines, de l'intérêt du seul Front National sur cette question. Si aucun des candidats républicains ne s'empare de ce scandale d'État et ne le dénonce, alors il tombera dans la gibecière malodorante de Marine Le Pen, avec les conséquences que l'on sait.

J'aimerais que les candidats progressistes se penchent enfin sur le dossier UraMin. Dans les candidats progressistes, je n'inclus pas Emmanuel Macron, nucléocrate, et enfant du système et de la Banque Rothschild dont le rapport en 2007 a servi de pierre de base à l'acquisition d'UraMin. Mais il reste évidemment et légitimement Yannick Jadot, Benoît Hamon désormais porté par un discours environnementaliste, et Jean-Luc Mélenchon dont la page 45 de son programme "L'avenir en commun" est consacrée au "pillage de la Nation", avec en exergue : "Le règne de l'oligarchie est aussi celui du pillage sans limite ni honte des biens publics...".

Il existe bien un candidat qui connaît parfaitement l'affaire UraMin, mais qui n'en parlera jamais, c'est François Fillon. Et pour cause. S'il partage avec Anne Lauvergeon, sa communicante Anne Méaux, et l'un de ses avocats, Jean-Pierre Versini, et si les liens d'amitiés entre l'ancienne présidente du directoire d'Areva et Fillon sont étroits, c'est surtout son gouvernement qui a donné le feu vert à l'OPA calamiteuse. Le ministre de l'Économie et des Finances en premier lieu, mais aussi tous les services de Bercy concernés, l'Agence des Participations de l'État ayant eu un rôle central dans la prise de décision. Par ailleurs, c'est le Commissariat à l'Énergie Atomique, le CEA qui reste l'actionnaire de référence de l'État (87% du capital au total) au capital d'Areva avec une participation à hauteur de 54%. Or, en 2007, le CEA aujourd'hui sous la tutelle de six ministères, dépendait directement des services du Premier ministre. François Fillon porte donc une responsabilité formelle dans l'acquisition des trois gisements fantômes d'UraMin. Il ne s'agit plus là d'une fantaisie à 500.000 euros dans le cadre d'une piteuse affaire d'un présumé emploi fictif, mais d'une décision qui a coûté au final 3 milliards à la France, et a participé au désastre impactant Areva et la filière électro-nucléaire française. Gageons que le candidat de la rigueur, de l'exemplarité et de l'inflexibilité ne s'en vantera pas.

Le scandale d'État UraMin-Areva, va-t-on en parler, enfin, en 2017 ? Quel candidat va donc oser le premier ?

Il n'est jamais trop tard, et surtout pas aujourd'hui, dans des semaines dévolues au débat, et surtout propices à éradiquer les pathologies fatales gangrénant la République. De grands dangers menacent la démocratie française. Taire UraMin, "ne pas remuer la boue", tel que l'évoquait le successeur d'Anne Lauvergeon à la tête d'Areva, Luc Oursel, participe à la montée irrépressible des périls populistes. Aux grandes voix responsables, s'il en reste, de se faire enfin entendre sur ce scandale inégalé sous la Vème République. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.