Disons le d'emblée : il s'agit d'un grand livre. L'un de ceux à qui on réserve un emplacement privilégié dans sa bibliothèque. Car c'est le résultat d'une vie. La vie d'un universitaire qui s'est frotté aux dures réalités de l'action syndicale et qui a su réfléchir à la confrontation historique entre l'idée de progrès et l'idée de justice*.
Avec ce billet, je n'aurais pas la prétention d'en faire la critique. Je veux seulement donner le point de vue d'un lecteur concerné et attentif, même si je ne suis pas tout à fait d'accord avec le regard de l'auteur, notamment sur le rôle (sous-estimé) de Gracchus Babeuf, sur l'absence (inexplicable) de Saint-Just et, globalement, sur son analyse politique de la Commune de Paris.
Quel merveilleux cours d'histoire contemporaine ! Depuis le "Contrat social" de Rousseau (1762) jusqu'à l'élection de François Hollande, voilà deux siècles et demi que la société française essaye de trouver un modus vivendi satisfaisant, un moteur du "mieux vivre" plutôt qu'un bouclier social. C'est un admirable travail dans cette "longue durée" chère à Fernand Braudel.
885 pages intelligentes et magistralement écrites, frappées d'une érudition jamais pédante, embaumées de solide culture historienne. Avec, en prime, ces portraits croisés qui sont autant de morceaux d'anthologie : Voltaire/Rousseau, Robespierre/Danton, Constant/Chateaubriand, Thiers/Blanqui, Gambetta/Ferry, Clémenceau/Jaurès, Poincaré/Briand, Blum/Thorez, Sartre/Camus, Mendes France/Mitterrand.
Dans cette saga pathétique, on comprend pourquoi la "gauche" n'a réussi à faire prévaloir ses idéaux que par coups de boutoir. Et aussi pourquoi son combat permanent contre l'égoïsme, la rapacité et l'injustice est un combat aléatoire.
Les quatre gauches distinguées par Julliard (la libérale, la jacobine, la collectiviste, la libertaire) ne sont -ou seront- en mesure de terrasser le Leviathan du capitalisme que si elles arrivent -ou arriveront- à trouver le chemin de l'unité.
Dans sa critique du livre, publiée dans le n°805 de "Marianne", Michel Onfray exprime sa réaction, que je partage : "La gauche semble défendre le libéralisme moral et la réglementation économique, alors que la droite défend la réglementation morale et le libéralisme économique - dans cette configuration, l'aiguille de la boussole s'affole."
Ne sommes nous pas prisonniers (et victimes) de ce chiasme ?
En tout cas, en signant l'un des ouvrages les plus importants de la décennie, Jacques Julliard a démontré que l'observation politique était consubstantielle de l'analyse historique.
* à noter que Julliard, qui fut l'un des intellectuels de la "deuxième gauche", ne l'épargne pas dans son analyse.
NB/ "Les gauches françaises" (Flammarion) 25€