Dans le sillage de la collection documentaire historique de l'ORTF "Présence du passé", qui ne survécut pas à la répression post-soixantehuitarde, j'avais choisi de retourner au cinéma en tentant d'explorer ce qui fut l'un des plus grands scandales de l'Histoire : l'affaire Dreyfus.
Plongeant dans les documents et les archives, je m'aperçus vite que la tâche serait rude ; et j'étais loin de me douter à quel point elle le serait, tant les pièges, les obstacles et les interdits de tous ordres allaient se multiplier...J'ai évoqué mon parcours marathonien dans le best-off qui figure sur le DVD, lors d'une interview que conduit le réalisateur Alain Ferrari.
Je ne regrette pas ces efforts et tous les moments d'angoisse qu'il m'a fallu surmonter, car ce film m'a permis de rencontrer un maître et de trouver un ami en la personne d'Henri Guillemi dont je me sens trés proche. D'ailleurs il a écrit :
"Pamphlet est le nom que porte l'histoire dès qu'elle s'écarte des bienséances et des mensonges reçus. Je dis bien mensonges, Chateaubriand disait imposture et Simone Weil tenait que faire crédit à une certaine histoire officielle et de bonne compagnie équivalait à croire sur paroles des bandits et des assassins."
Ainsi je ne me suis pas contenté de raconter l'extraordinaire polar qu'est l'Affaire mais, dans une dernière partie qui occupe environ le tiers du film, j'ai abordé l'affaire sans Dreyfus, et surtout, j'ai essayé de répondre à cette fondamentale interrogation : pourquoi cette invraisemblable et sulfureuse manipulation ?
C'est sans doute la raison pour laquelle ce film a été jugé "dérangeant", il risquerait même de "troubler l'ordre public" et il reste pour cela (?) interdit de diffusion sur une chaîne du groupe France-Télévisions. Effectivement nous sommes aux antipodes de l'histoire/spectacle colorisée de Daniel Costelle, et des minauderies mondaines de Stéphane Bern...
"Dreyfus ou l'intolérable vérité" a obtenu le prix Méliès en 1975 et a été inscrit au catalogue de la Cinémathèque française.
"Il n'y a pas d'histoire objective, dit Henri Guillemin. "Ces morts nous interrogent", écrivait Jaurès à propos des hommes de la Révolution.
Et Victor Hugo, s'adressant aux historiens : "Ne nous racontez pas un opprobre notoire / Comme on raconterait n'importe quelle histoire."
En tout cas cette page d'histoire née au XIXe siècle dans les vestiges de la Commune et qui a marqué tout le XXe siècle, reste encore aujourd'hui un furoncle mal cautérisé et toujours purulent.
Mais c'est un miroir qu'il faut regarder, en face.
Jean A.Chérasse
Nb/ le DVD est édité par ADDICT Multimedia