Il s'agit d'un film en deux parties de 75', réalisé par Pierre Kast en 1967, pour la collection documentaire historique "Présence du passé" (de Jean Chérasse, Jean Mauduit et Bernard Revon). Ce film était intitulé "Black friday" (le vendredi noir) et traitait du krach de wall street le 24 octobre 1929,et des leçons que l'on pouvait en tirer pour éviter une crise financière mondiale. Ce travail de "l'un des réalisateurs les plus intelligents du cinéma français" (selon Chris Marker) n'a jamais été diffusé par la télévision française. Pourquoi ? Etait-il tellement sulfureux ?
Dans un brillant montage*d'archives la plupart inédites et d'interventions de personnalités (Norman Thomas,Edward Berstein,John Kenneth Galbraith,John Dos Passos,Potowski,Rosen,Dubrinsky,Len Chandler,Pete Seager) Pierre Kast analysait les causes du grand krach du système bancaire américain et indiquait sans ambages que la crise mondiale du capitalisme pouvait ruiner l'économie de la planète si les principales puissances ne se mettaient pas d'accord sur des règles contraignantes...
J'ai conservé dans mes dossiers,la liste des sous-titres des intervenants,dont voici quelques extraits :
Edward Berstein :" La grande crise n'a pas été le fait de quelques individus,ce fût la faute d'un système...un système économique basé sur la non intervention du gouvernement,ou si vous préférez,une politique de libre entreprise poussée à l'extrême...avec l'étalon or comme but primordial de la politique économique. Aucun chef politique n'aurait pu imposer des mesures qui auraient empêché le krach. Cela aurait nécessité de telles révisions en matière de monnaie,de crédit et de budget...qu'on n'aurait pas obtenu l'appui populaire."
John Kenneth Galbraith :" Le grand responsable,c'était l'espoir soudain,pour un ou deux millions d'américains,d'avoir la possibilité de s'enrichir d'un seul coup. C'était donc la cupidité humaine et une grande capacité d'illusion...les véritables causes du krach.
John Dos Passos : " C'était le résultat d'une trop grande confiance en un système,dans l'énorme propérité d'un pays et dans son énorme expansion économique. Beaucoup pensaient qu'il fallait canaliser tout cela,mais personne ne savait comment s'y prendre. Et donc,rien ne fût tenté..."
Norman Thomas : " Ces crises étaient inévitables dans un monde capitaliste. Mais compte tenu de ce que nous avons vécu,je pense qu'en appliquant le système de l'économiste anglais John Keynes et des programmes sociaux,le capitalisme pourrait retarder ou même éviter ces crises cycliques "
John Kenneth Galbraith : " Nous étions dans un état de spéculation démentielle...ce que croyaient les uns agissait sur ce que ne croyaient pas les autres...et devenait ainsi une réalité. Tout le monde pensait que les actions augmenteraient et,se basant sur cette conviction,tout le monde se ruait pour les acheter,les faisant ainsi augmenter. Les gens étaient grisés par la vision délirante de la possibilité de s'enrichir avec un minimum d'effort."
Dubrinsky : "Nous avons une économie non dirigée,sans restriction,liberté totale...sans conscience d'obligation en matière de bien être social...c'est ce qui a produit les vendeurs de pommes dans la rue,et neuf millions de chomeurs."
Norman Thomas : "En 1929 il régnait encore l'idée que les affaires boursières ne concernaient que ceux qui les traitaient...et que l'Etat n'y avait aucun rôle à jouer. Nous avons refusé le problème sous cet angle quelque peu socialiste...mais je n'ai jamais eu l'impression que nous ayons trouvé une protection contre la croyance des masses que tout le monde peut devenir riche !
Pete Seager : "L'histoire de l'Amérique nous montre mille exemples d'hommes qui se battaient pour leurs droits. Ils luttaient avec apreté et gagnaient. On le voit dans la conquête de l'indépendance,dans les luttes syndicales...Tant qu'ils étaient blancs,c'était un exemple édifiant que de voir des hommes qui s'unissaient et se battaient pour leurs droits. Et finalement,tout le pays leur donnait raison. Mais ce qui n'est pas écrit dans les manuels d'histoire,ce qu'il donne maintenant,c'est une tétine pour faire avaler le bon programme,celui d'un capitalisme acharné."
Len Chandler : "Je crois que l'offensive pour un changement vient maintenant de ces américains à la peau foncée,les Indiens,les Mexicains,les Porto-Ricains,les Africains...Mais il y a beaucoup de gens tellement déçus par le système capitaliste,même quand il marche bien,que ça ne les gêne pas de le voir un peu s'émietter...parce qu'ils n'en ont jamais reçu que des miettes sous la table."
etc...
Les références de ce film de Pierre Kast sont DOC 31-19 (1967) et la fiche de production porte le numéro F 1320
* Cécile Decugis (qui fût la chef- monteuse de Jean-Luc Godard pour "A bout de souffle") a assuré le montage de ce film.