En cette période grise où tout espérance semble s'être évanouie, en ce début de nouvelle année où tout semble indiquer que nous nous dirigeons vers une société encore plus austère, encore plus injuste, encore plus inégale...la dernière livraison de la revue d'études vallésiennes "Autour de Vallès" (n°43) est un véritable viatique. Comme si le rédacteur-en-chef du "Cri du peuple" était ce quatrième roi mage de l'épiphanie 2014.
Publiée sous la direction éclairée de Corinne Saminadayar-Perrin, les deux cent cinquante pages de cette revue explorent le roman de l'histoire sociale au dix-neuvième siècle, c'est à dire qu'il évoque l'enthousiasme créatif de Jules Vallès à la lecture de Dumas, de Sue et de Féval, les auteurs d'une littérature populaire qui fut le ferment d'une démocratisation culturelle, base indispensable de toute prise de conscience politique.
C'est ainsi que "Les mystères de Paris", en s'adressant à l'affect et aux émotions du lecteur, ont eu un impact moral trés supérieur à bien des discours. Et le célèbre roman d'Eugène Sue a permis d'engager des débats sérieux et passionnés en exposant les souffrances voire les supplices réservés aux damnés que la "modernité" avait relègué dans les enfers sociaux.
Fleur-de-Marie, Rodolphe et Pique-Vinaigre...ne sont-ils pas les archétypes d'une société en pleine mutation qui luttaient de toutes leurs forces contre le cynisme des puissants, la perversité des riches, et l'inexorable fatalité de l'oppression ?
Le passé exerce sur le présent une pression souterraine autant que décisive : c'est à cette archéologie des identités (individuelles et collectives) que donne forme le roman de l'histoire sociale. Et on comprend bien pourquoi Vallès a été fasciné par cette oeuvre-événement des années 1840 car la fiction populaire est capable de modéliser le social, mais aussi d'offrir à un trés large public les instruments permettant de penser l'identité propre à chacun.
"Les mystères de Paris", avant "Les Misérables" et "Jacques Vingtras", ont manifesté, de manière éclatante, la vocation démocratique du roman. Par leur contenu mais aussi par les usages pratiques qu'ils suscitent...
Cette mythologie des bas-fonds nous manque aujourd'hui où l'enfumage consumériste a rogné toute velleité de conscience de classe.
Et, partant, de conscience politique.
NB / corinne.saminadayar-perrin@univ-montp3.fr (1 rue du Grand-Saint-Jean, 34000 Montpellier)