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Billet de blog 8 février 2021

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Charonne

Jeudi 8 février 1962 entre 19 h 30 et 20 heures, la police dite «républicaine», réprimant une manifestation syndicale organisée à Paris pour la paix en Algérie et pour protester contre les attentats perpétrés par l'OAS, a massacré neuf personnes au métro Charonne. J'y étais, et cette tragédie continue à me hanter aujourd'hui sous forme de cauchemars. Voici mon témoignage...

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...ce 8 février là, j'étais dans ma salle de montage (je venais de réaliser mon premier film, une comédie* (car après les 27 mois que j'avais été contraint par Mr Guy Mollet de passer en Kabylie, j'avais un besoin vital de rire...) lorsque je reçus le coup de fil d'une secrétaire, une certaine Fanny qui m'appelait de la part de mon ami Bernard Paul pour me convier, le soir même, à une manif en faveur de la paix en Algérie : rendez-vous à 18 h 30 au métro Ledru-Rollin, à une encablure de mon domicile de l'époque, 80 faubourg St-Antoine.

J'y retrouvais un groupe de manifestants qui s'accroissait sans cesse et parmi eux, mon ami Claude Bourdet du PSU (ancien résistant et ancien déporté) ainsi que Léo Figuères, un cadre du PCF qui avait été l'interlocuteur de son Parti avec le Parti communiste algérien.

Il y avait ça et là quelques porteurs de pancartes ou de banderoles sur lesquelles on pouvait lire "OAS assassins !" et "Paix en Algérie". Après une brève prise de parole de Bourdet, un cortège se forma et s'engagea dans l'avenue Ledru-Rollin en direction de la place Léon Blum. Tout était calme et prenait l'allure d'une démonstration pacifique lorsqu'un cordon de police prit position pour barrer la route.

A ce moment là, Léo Figuères se détacha du cortège pour aller parlementer avec les flics mais il revint visiblement éconduit et fit signe aux manifestants de reprendre leur marche. Les policiers chargèrent avec détermination et violence, ce qui provoqua des remous et des réactions de défense. Pour ma part je me planquais sous une porte cochère où je fis la connaissance d'un garçon sympathique, qui me dit qu'il était journaliste et qu'il prenait bonne note de ce dont il avait été témoin**.

La nuit était tombée sous une pluie fine laissant apparaître une grande zone d'asphalte humide et lugubre que bordait la ligne noire, épaisse des CRS alors que des files de camions aux vitres grillagées passaient au loin...

Il était 19 h 30. Les cinq cortèges prévus par les organisateurs étaient en train de converger dans un silence impressionnant parfois troublé par des cris "OAS assassins !" et "Le fascisme ne passera pas !"...

La fin de la manif fut annoncée et les manifestants commencèrent à refluer : c'est à ce moment là qu'une horde casquée, manipulant des "bidules"***, chargea avec fureur et sauvagerie un groupe qui s'était réfugié autour du métro Charonne : ce fut un véritable massacre sur les marches de la station où des manifestants furent piétinés voire étouffés, d'où l'hécatombe et l'horreur.

La violence d'Etat, un crime légal, avait fait son oeuvre de charogne.

Nb/ la secrétaire Fanny qui m'avait téléphoné ce matin-là, était parmi les victimes : Fanny Dewerpe.

* "La vendetta" avec Francis Blanche, Louis de Funès et Olivier Hussenot

** Jean Lacouture

*** manches de pioche d'un peu plus d'un mètre, commandés par le Préfet de police, un certain Maurice Papon

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