Au moment où une bonne partie de la classe politique tente d'aller se ressourcer au pied de l'immense Croix de Lorraine qui domine le petit cimetière de Colombey les deux églises, il ne serait pas inutile de rappeler ce que Saint-Just a dit dans l'un de ses discours : "La force des choses nous conduit peut-être à des résultats auxquels nous n'avons pas pensé."
Effectivement, quarante trois ans après la disparition de l'homme du 18 juin qui avait fait tailler à sa mesure un vêtement constitutionnel dans lequel flottent ses successeurs comme s'ils étaient condamnés à l'apesanteur, la République semble incapable d'assumer le brouillage des affaires économiques et "n'embrasse (plus) tous les rapports, tous les intérêts, tous les droits, tous les devoirs susceptibles de donner une allure commune à toutes les parties de l'Etat."*
D'où cette impression désagréable et persistante d'un pouvoir aux abonnés absents. D'où le pointage récurrent de la mollesse du Président.
Alors, il devient légitime de se poser cette question : où est la conscience républicaine ? Où est la foi dans cette valeur suprême ?
Le monde des apparences devient histoire en gravitant autour d'elle. C'est la grande leçon du gaullisme avec le rétablissement de l'Etat après une longue période de convulsions et de turpitudes.
"Je voulais une République que tout le monde eût aimée", avait dit Camille Desmoulins. Cessant d'être la promesse d'un âge d'or, que devenait-elle ? Le gouvernement du général de Gaulle après la libération de la France a dessiné à grands traits l'esquisse du régime rêvé par les révolutionnaires de l'an II dont s'est inspiré le CNR.
C'est ce rêve improbable, confisqué par les requins de la finance et les technocrates à leurs bottes qu'évoque trés bien André Malraux :
"Vivre dans l'histoire, c'était exiger du service implacable de la patrie la possession de quelques rêves éternels. En son temps qui fut une des plus grandes époques de l'espoir, nul n'a si passionément espéré changer l'homme en le contraignant à une épopée transfiguratrice. Et peut-être son aura vient-elle de ce que l'éclair du couperet qui tomba dans le soleil du soir tuait avec le meurtrier de Louis XVI, avec l'accusateur de Danton et l'artisan de Fleurus, la plus grande aventure de la Révolution." **
* Saint-Just (discours)
** préface du "Saint-Just et la force des choses" d'Albert Ollivier (Gallimard)