...c'est ainsi que bien des discussions sur des sujets importants avortent en laissant la fâcheuse impression que si la société nous parait de plus en plus chaotique, c'est parce qu'elle est déchirée par des idées ou des sentiments irréconciliables.
Et pourtant, nous sommes une trés large majorité qui constitue ces "colonisés de l'intérieur"...Pourquoi ne pas se souvenir de la célèbre boutade de Malcom X :"Dix homme sont à table en train de dîner. J'entre et je vais m'asseoir à leur table. Ils mangent, mais devant moi il y a une assiette vide. Le fait que nous soyons tous assis à la même table suffit-il à faire de nous tous des dîneurs ? Je ne dîne pas tant qu'on ne me laisse pas prendre ma part du repas. Il ne suffit pas d'être assis à la même table que les dîneurs pour dîner."
Ainsi, l'idée d'un "roman national" né de la fièvre patriotique consécutive aux invasions (notamment celles de 1792 et de 1870) a-t-elle remis en cause les fondements de cette "République une et indivisible" dont le concept jacobin induirait aussi bien le nationalisme que le souverainisme.
Or en 1871, la Commune de Paris, née pourtant de la lutte contre les Prussiens, s'est immédiatement inscrite dans l'histoire par son ouverture internationale et sa recherche d'une fraternité sans rivages...
Par contre l'histoire des historiens continue à moudre imperturbablement le grain nationalisant et racialisant et ne laisse aucune place dans les manuels scolaires aux minorités.
Cette histoire ignorée par les "beaux esprits" ou, le plus souvent, confisquée par les élites bourgeoises, n'est pas susceptible d'ouvrir l'horizon de la décolonisation et de l'émancipation.
Sadri Khiari, l'excellent politologue tunisien, écrivait à ce propos :
"Pour la gauche, la question n'est pas de se rénover ni d'être plus radicale dans une matrice finalement inchangée, mais d'engager en son propre sein une véritable révolution culturelle. Je ne doute pas de la générosité de certaines de ses composantes, mais en politique la générosité n'est jamais trés loin du paternalisme ni ce dernier de la domination. Il lui faudra donc rompre avec l'illusion de sa propre universalité comme il lui faudra apprendre qu'elle n'est pas l'expression d'un même peuple des opprimés mais une expression, parmi d'autres, d'un privilège blanc qu'elle doit apprendre à combattre si elle aspire à rendre concevable une alliance politique entre les classes populaires blanches et les classes populaires issues de l'immigration, autour d'un projet susceptible d'asseoir la souveraineté effective d'un peuple à la fois un et multiple."
On retrouve la même pensée et pratiquement les mêmes mots sous la plume de Louise Michel.