La grande faucheuse vient encore d'accomplir sa sinistre besogne. L'homme qui "vient de nous quitter" aurait pu s'appeler Janus car il a eu une double vie...
Lorrain, ancien élève de l'IDHEC (Xe promotion), Jean Herman a fait une entrée remarquée dans le petit monde du cinéma avec un court métrage intitulé "Actua-tilt", préfiguration de ce qui deviendra le zapping, couronné par le grand prix du festival de Tours.
Je l'ai connu dans les années soixante ; il m'avait fait part de la passionnante expérience qu'il venait de vivre aux côtés de Roberto Rossellini pour le tournage d'"India" ; nous décidâmes alors de faire un bout de chemin ensemble...
Je venais de créer ma collection documentaire historique "Présence du passé" et je lui confiais la réalisation d'un triptyque sur "la conquête de l'Angleterre par les Normands", avec la collaboration de Jacques Le Goff.
Ce téléfilm, magnifique, ne fût diffusé que fin 1968, sous le titre "Guillaume le conquérant", et réduit à 90 minutes.
Nous vécûmes ensemble une autre expérience car il réalisa le prologue de la série "La France dans vingt ans" où il avait mis en scène la panique consécutive à une attaque atomique...ce qui lui rappelait sans doute les prises de vues qu'il avait effectuées à Reggane lors de l'expérimentation de la bombe française...
Quittant l'ORTF après mai 68 (comme moi-même), il avait fait un retour au cinéma avec "Le dimanche de la vie", "Adieu l'ami", et "Jeff".
Et, fin 1971, Herman disparait pour laisser place à Vautrin.
Il commence alors une carrière de romancier et de nouvelliste, ponctuée par des prix ("Les deux magots" pour "Patchwork" en 1983 / Prix Goncourt de la nouvelle pour "Baby-Boom" en 1986 / Grand prix de la SGDL pour "La vie ripolin" en 1987 / Prix Goncourt en 1989 pour "Un grand pas vers le bon Dieu") et le succès commercial.
Par ailleurs, il continue à écrire pour le cinéma : il obtient le César du meilleur scénario en 1981 pour "Garde à vue" de Claude Miller. Il travaillera aussi comme auteur pour Boisset ("Canicule") et pour Mordillat ("Billy-Ze-Kick").
Je conserve le meilleur souvenir de la présence chaleureuse de Jean Herman alias Vautrin ; c'était un trés bon vivant, un excellent partenaire et nos fous rires ont du éberluer les gardiens du Musée de la Tapisserie de Bayeux car nous nous efforcions de la bruiter !
Mais je garde dans un coin de ma mémoire mon interview de Jacques Bergier que Jean Herman avait décidé de filmer au Palais de la Découverte, dans la salle du nombre Pi ; le co-auteur du "Matin des Magiciens" marchait le long des murs en vitupérant contre les fausses anticipations et les charlatans de la science...
Adieu l'ami !
NB/ se souvenant de nos conversations passionnées, il avait écrit en 1998 une fiction inspirée de la Commune, "Le cri du peuple" qui sera adaptée par Tardi sous forme de BD.