Le 23 juillet 1945, lors de la première audience de son procès, le Maréchal Philippe Pétain faisait au tribunal une déclaration dont voici un extrait : "C'est le peuple français qui, par ses représentants, réunis en Assemblée nationale, le 10 juillet 1940, m'a confié le pouvoir...C'est l'ennemi seul qui, par sa présence sur notre sol envahi, a porté atteinte à nos libertés...J'ai réalisé, pourtant, des institutions nouvelles ; la constitution que j'avais reçu mandat de présenter était prête, mais je ne pouvais la promulguer...La France libérée peut changer les mots et les vocables. Elle construit, mais elle ne pourra construire utilement que sur les bases que j'ai jetées."
Effectivement, dès 1941, Joseph Barthélémy, garde des sceaux du régime de Vichy; faisait travailler une batterie de juristes* pour élaborer une constitution destinée à remplacer celle de la IIIe République. Elle ne sera signée par le chef de l'Etat que le 30 janvier 1944.
Ce texte que j'ai étudié avec Henri Guillemin, était un projet de régime parlementaire à tendance présidentialiste. Il était d'inspiration orléaniste et prévoyait notamment l'élection par un Congrès national (députés + sénateurs + conseillers provinciaux) d'un Président élu pour dix ans et rééligible.
Si on prend la peine de relire attentivement le discours du général de Gaulle à Bayeux, le 16 juin 1946, on y relévera les mêmes idées que dans le texte précité ainsi que les grandes lignes de ce qui deviendra la Constitution du 4 octobre 1958.
Dans un remarquable téléfilm documentaire, réalisé par Michèle Dominici et diffusé par ARTE**, il apparait nettement que notre République de 2013, fruit de cette Constitution dont les racines plongent dans le pétainisme et le gaullisme, est totalement inadaptée au principe même de la démocratie puisqu'elle confère tous les pouvoirs à cet "homme providentiel" qu'est le locataire de l'Elysée.
Au nom de la stabilité et de l'ordre social, le pays de la Révolution de 1789, a ainsi restauré la monarchie.
Pourtant, le 21 janvier 1793, en guillotinant Louis XVI on avait cru pouvoir se débarrasser de la tyrannie. Mais on ne s'était pas libéré de la royauté, du pouvoir quasi discrétionnaire d'un seul individu. Les événements historiques qui se succéderont depuis lors n'exonèreront pas le peuple de sa recherche permanente du chef, du sauveur, du guide...
Les interventions pertinentes d'Edwy Plenel dans ce documentaire devraient être prises en compte par la société. Car elles pointent les risques de sclérose de la démocratie et de l'inefficacité de la gouvernance républicaine : un pouvoir abstrait, technocratique. Un pouvoir désespérément vertical et déconnecté !
Penser une VIe République ?
* après Alibert, Pétain et Laval avaient fait appel à Pierre-Etienne Flandin, Jacques Bardoux, Lucien Romier et Emile Mireaux
** cf l'excellent article d'Antoine Perraud ("entre maudire et maux dire") au sujet de ce documentaire dont le titre est "La Ve République et ses monarques"