Dans sa conférence du 23 novembre 2015 au théâtre de la Commune*, Alain Badiou rappelait quelques chiffres fondamentaux qu'il faut bien connaître si on veut tenter de décoder les tragédies du présent :
"1% de la population mondiale possède 46% des ressources disponibles. C'est presque la moitié.
Nous avons une oligarchie planétaire qui représente à peu près 10% de la population. Cette oligarchie détient 86% des ressources disponibles. 10% de la population, ça correspond à peu près à ce qu'était la noblesse dans l'Ancien Régime. C'est à peu près du même ordre. Notre monde restitue, reconfigure, une situation oligarchique qu'il a traversée et connue il y a longtemps et à laquelle, sous d'autres formes et sous d'autres aspects, il revient.
Nous avons donc une oligarchie de 10%, et puis nous avons une masse démunie d'à peu près la moitié de la population mondiale : c'est la masse de la population démunie, la masse africaine, asiatique dans son écrasante majorité. Le total représente à peu près 60%. Et il reste 40%. Ces 40%, c'est la classe moyenne. La classe moyenne qui se partage péniblement, 14% des ressources mondiales...
Cette classe moyenne est principalement concentrée dans les pays dits avancés. C'est donc une classe largement occidentale. Elle est le support de masse du pouvoir local démocratique, du pouvoir parlementarisé...Cette classe, prise dans son ensemble, est poreuse au racisme, à la xénophobie, au mépris des démunis...
Quand on lit un peu partout aujourd'hui qu'il faut faire la guerre aux barbares, c'est évidemment au nom des civilisés qu'on parle, et en tant que ces barbares sont issus de l'énorme masse de ceux qui sont laissés pour compte, et auxquels la classe moyenne ne veut à aucun prix être identifiée."
C'est sur ce terreau de l'inégalité et de la désespérance qu'est apparu le terrorisme. Il s'est trouvé une justification en brandissant le Coran dont les sourates sont interprêtées et manipulées, il utilise la religion comme un paravent destiné à masquer la sordide réalité du gangstérisme des clans ou des bandes, et il instrumentalise le jihad pour dissimuler le grand malaise géopolitique des Etats du Proche Orient, fossilisés dans leurs autocraties et leurs archaïsmes, avec la sombre et inéluctable perspective de l'extinction des ressources pétrolières.
Mais ce terrible choc pourrait sans doute tirer l'Europe de sa léthargie !
Un boomerang salutaire ?
* cf mon billet intitulé "Effroyable !"