Il fut une époque où l'universitaire dévoyé que je suis rêvait au cinématographe... C'est ainsi que j'eus le privilège de rencontrer Bernadette Lafont que la "nouvelle vague" avait fait émerger depuis sa remarquable prestation de gamine délurée dans "Les mistons" et de paysanne sensuelle et inconsciente sur laquelle la morale n'a aucune prise dans "Le beau Serge".
Je souhaitais réaliser une comédie à l'américaine en faisant une satire de l'industrie du disque qui lançait la mode yé-yé. Or Bernadette m'était apparue comme un avatar de Shirley Mac Laine ; je lui proposais de jouer le rôle de la secrétaire du big-boss de "Super-Disco", incarné par Robert Manuel.
Ce film, intitulé "Un clair de lune à maubeuge", raconte l'histoire d'une manipulation, d'un enfumage de l'opinion : c'est un peu le procès prémonitoire de ce qui deviendra "La star academy".
Bernadette n'était pas seulement une secrétaire. Elle devenait l'archétype de la femme-objet, vecteur de tous les fantasmes. Et j'avais poussé son personnage jusqu'à une vision onirique quasi bunuelienne puisqu'elle apparaissait dans les galeries de la mine qu'on faisait visiter à l'infortuné auteur du "clair de lune"*, en costume de bonne soeur...ce qui me vaudra mes premiers démêlés avec la censure !
En 1963, naissait sa fille Pauline, qui allait connaître le même destin tragique que ma propre fille, Laure.
Je retrouvais Bernadette en 1969 pour la promotion du film de Nelly Kaplan "La fiancée du pirate", puis, beaucoup plus tard, à l'occasion de mon documentaire "Marthe Richard et la tolérance.
Nous avions projeté ensemble (avec Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri) une série intitulée "La pharmacienne" ; mais cette idée ne fut pas jugée suffisamment attractive par le responsable des programmes d'Antenne 2. Elle comportait aussi le risque de déplaire à l'industrie pharmaceutique...
Adieu, chère fiancée du cinéma !
Cet hommage attristé ne serait pas complet si je ne citais pas ces quelques lignes de François Truffaut :
"Quand je pense à Bernadette Lafont actrice française, je vois un symbole en mouvement, le symbole de la vitalité, donc de la vie."
Jean A.Chérasse
* Pierre Perrin