C'était un homme du Nord, sympathique et chaleureux. Un chti chrétien de gauche, petit-fils de l'un de ces "hussards noirs de la République" qui ont façonné la génération des Charles Peguy, Alain Fournier et Henri Barbusse. Son goût de l'Histoire il l'avait contracté en lisant Alexandre Dumas et en écoutant Sacha Guitry dont il fut l'un des proches.
Je l'avais rencontré dans les années soixante et nous avions tout de suite sympathisé. Il était, avec André Castelot et Stellio Lorenzi, producteur d'une collection dramatique historique, intitulée "La caméra explore le temps" qui reste, encore aujourd'hui en 2016, ce qu'on a fait de mieux, de plus intelligent, de plus courageux ...en matière d'émission historique. Elle fut aussi l'une des séries de télévision les plus populaires.
La direction de l'ORTF m'avait confié le soin de concevoir et de diriger une série documentaire historique, "Présence du passé", qui devait être diffusée en alternance avec "La caméra" ; Alain Decaux en assuma la coordination pour le choix des sujets et des thèmes.
C'est ainsi que nâquit, dans le sillage de l'émission "Emile Zola, un moment de la conscience humaine", mon projet sur l'affaire Dreyfus, interdit par l'ORTF, qui devint quelques années après, le film "Dreyfus ou l'intolérable vérité".
Par la suite, nos deux collections ayant été supprimées car elles n'avaient plus le profil exigé par les nouveaux programmes formatés par l'intrusion de la publicité, Alain Decaux et Robert Hossein collaborèrent à la réalisation de grands spectacles historiques, puis la deuxième chaîne de l'ORTF fit appel à Decaux pour un one-man-show historien, intitulé "Alain Decaux raconte", où il excella.
Et je dois souligner ici sa parfaite honnêteté, notamment lorsqu'il a "raconté" les Rosenberg ; il avait, avec sa fougue habituelle, plaidé leur innocence mais, ayant été dementi par l'enquête, il eût le courage de reprendre le dossier en disant qu'il s'était trompé...
Il faut ajouter à cet hommage succinct qu'Alain Decaux a été ministre chargé de la francophonie dans le deuxième gouvernement de Michel Rocard, et qu'il a fait entrer la télévision à l'Académie française.
Vulgariser l'Histoire ? Oui, bien sûr, mais cela suppose qu'on peut intéresser un trés large public sans tomber forcément dans la recherche du spectaculaire ou de l'anecdotique.
Alain Decaux, qui avait bien compris cela, nous faisait rêver.
Et il faisait oeuvre salutaire de pédagogie.
La caméra déplore le temps.
Jean A.Chérasse