La sortie aujourd'hui sur les écrans du "Petit Prince", dessin animé de Mark Osborne réalisé en 3 D d'après Saint-Exupéry, me semble être non seulement un désolant qui pro quo littéraire si elle n'est pas surtout une gigantesque opération commerciale.
Sous un titre incisif "Le petit mièvre", Jérôme Garcin écrit dans l'OBS : "Mark Osborne adapte Sainy-Exupéry. Il nous a dessiné un navet. On dirait qu'il a déversé une barrique de confiture dans un tonneau de miel."
N'ayant pas vu le film, je ne me prononcerai pas mais les rares extraits que j'aie pu voir ne m'inclinent pas à l'optimisme et je crois que les 60 millions € dépensés pour cela n'auront finalement produit qu'"une fable suintante de bien-pensance"...Pouah !
Il y a quelques années, j'avais eu le privilège de rencontrer l'un des plus grands spécialistes de l'oeuvre de Saint-Exupéry, le professeur Michel Quesnel, avec qui j'avais longuement travaillé à une adaptation de "Citadelle" pour le cinéma. Et,, lui faisant part de mes réticences concernant "Le petit Prince", Michel Quesnel m'avait confié ses doutes quant à l'auteur véritable de cette fable dont l'idée serait de Consuelo, l'épouse argentine de l'écrivain dont elle était séparée mais qu'il aurait encouragée en lui suggérant quelques répliques et en lui donnant des dessins afin d'illustrer "ce conte pour enfants".
Il y avait d'ailleurs d'autres dessins que ceux qui ont été publiés mais qui ont été jugés un peu trop féroces ou irrévérencieux par l'éditeur...Je les ai vus : ils sont en contradiction absolue avec la niaiserie gentillette du texte.
Mais le destin est imprévisible : "la fable doucereuse" est devenue un best-seller mondial et a rapporté - directement et indirectement - des royalties colossales à la famille de l'écrivain ainsi qu'à la maison Gallimard.
Or, cette oeuvrette, si tant est qu'on puisse en attribuer la totale paternité à St-Ex, est à des années-lumière de ce pourquoi Saint-Exupéry est considéré comme l'un des écrivains majeurs du XXe siècle : l'auteur de "Terre des hommes", de "Lettre à un otage" et surtout de "Citadelle" , livre inachevé* qui est le chef d'oeuvre immémorial de cet Icare combattant sur le front de la condition humaine, un pilote de la dignité et de la fraternité...
Mais chacun sait que le tiroir-caisse a ses raisons que la raison ne connaît pas.
* dont Michel Quesnel a publié une version courte (et commentée) dans la collection 10/18