Ayant été moi-même séduit et convaincu par la modeste clairvoyance de ce pionnier de la décroissance, puis ayant adhéré au mouvement des "colibris" dont l'inspiration communeuse collatérale m'avait enthousiasmé, je suis évidemment tombé des nues en découvrant en première page du "Monde diplo" , sous l'exergue "Frugalité et marketing" l'enquête de Jean-Baptiste Malet*.
Dans un chapeau précédant son long article intitulé "le système Pierre Rabhi", qui se poursuit sur une double page, le journaliste annonce :
"La panne des grandes espérances politiques remet au goût du jour une vieille idée : pour changer le monde, il suffirait de se changer soi-même et de renouer avec la nature des liens détruits par la modernité. Portée par des personnalités charismatiques, comme le paysans ardéchois Pierre Rabhi, cette "Insurrection des consciences" qui appelle chacun à "faire sa part" connaît un succès grandissant".
Dans le tome 2 de mon essai sur la Commune ("Les 72 Immortelles", l'ébauche d'un ordre libertaire) j'ai cité toutes les idées ainsi que toutes les tentatives que cette fulgurante brûlure de l'histoire a vraisemblablement inspirées ou suscitées. Et parmi celles-là, je me suis attaché au mouvement des "colibris" que j'avais découvert grâce au film de Cyril Dion et Mélanie Laurent "Demain". Il avait été créé par Pierre Rabhi.
Mais j'ai bien précisé qu'il s'agissait d'une inspiration collatérale car le christianisme rural de Pierre Rabhi n'a absolument aucun rapport avec la fameuse "lettre aux travailleurs des champs" de la communeuse André Léo.
Par ailleurs, je note le grave différend qui sépare André Gorz, auteur des textes fondateurs Ecologie politique (1975) et Ecologie et liberté (1977) de Pierre Rabhi, qui a écrit à ce sujet : "J'ai toujours détesté les philosophes existentialistes. Dans les années soixante, il y en avait énormément des gens qui ne pensaient qu'à partir des mécanismes sociaux, en évacuant le "pourquoi nous sommes sur Terre". Mais moi je sentais que la réalité n'était pas faite que de manière tangible et qu'il y avait autre chose."
L'avènement d'un "humanisme planétaire" que souhaite ardemment Pierre Rabhi passe par une prise de conscience collective comme nous l'a révélé le phosphène des "72 Immortelles" : la recherche d'une fraternité sans rivages qui mettrait un terme à la lutte des classes.
Et puis qui organiserait la libre disposition en commun des ressources d'une nature qu'il faut savoir respecter.
Gare aux gourous !
* auteur de "L'empire de l'or rouge. Enquête mondiale sur la tomate d'industrie" (Fayard)