En dépit du recul des religions et du fait que les philosophes – Bergson et Jankélévitch en particulier – aient entrepris de laïciser le terme, une connotation religieuse reste attachée au mot spiritualité. La vie de l’esprit est commune à tous les hommes, c’est un constat d’évidence. Pourtant mister Gougueule le confirme : la spiritualité est plus largement revendiquée par des groupes mystico-ésotériques ou des mouvements thérapeutiques de tout poil que par des rationalistes.
Ce n’est pas exactement le problème non plus (j’ai croisé trop de mystiques de la Raison pour croire encore au rationalisme des barbichus de la Troisième). Il est plutôt dans ce constat (irrité, forcément) qu’une faculté commune à tous les hommes – la capacité de faire fonctionner ses neurones et d’en tirer à la fois un rapport plus juste au réel et du plaisir – soit accaparée par qui que ce soit.
Cette façon de créer des catégories en attribuant à chacune des étoiles comme au Michelin ne peut entraîner qu’une mutilation pour tous. Qui ne connaît des bergers poètes, des paysans sculpteurs ou des peintres tourneurs ?
Tous les savoirs sont égaux
La foi en un savoir académique, exclusivement dispensé du lycée Henri IV à l’ENA, nous prive de savoirs essentiels et de celui-là, élémentaire : nous avons tous à apprendre les uns des autres. La faillite spectaculaire de ceux qui se prétendent l’élite devrait mettre au moins une puce à l’oreille du citoyen lambda. Au nom de quoi y aurait-il des savoirs « supérieurs » ? Tous les savoirs sont égaux, s’ils donnent véritablement accès au réel. Apparemment, celui qui est dispensé dans les écoles d’où sont issus nos gouvernants doit être bien approximatif, vu la faillite des politiques menées sous leur houlette.
Il faut être très naïf, ou idéologisé, pour penser qu’un savoir dispensé par une conférence de Sarkozy peut valoir 100 000$ ou qu’il est raisonnable de payer 6000€ pour avoir pendant 5 jours les lumières d’un psychologue sur la dynamique de groupe. Une des saines règles des échanges locaux (Ithaca Hours, SEL, etc.) a été d’établir une stricte égalité dans les échanges : une heure de ménage = une heure de guitare = une heure de maçonnerie.
L’Ermitage, un refuge pour penser
Ce sont toutes ces idées que nous avons en tête en créant une maison de l’écriture nommée l’Ermitage. Il faut effectivement se mettre à l’écart du bruit et des discours pour penser librement. Cet Ermitage est pour nous celui de Jean-Jacques Rousseau, prêté par madame d’Epinay en des temps difficiles pour le poète-philosophe. Il évoque la solitude nécessaire à la pensée et à toute création. Il se veut lieu d’accueil en dehors de tout a-priori religieux ou mystique, y compris une mystique de l’amour ou de la nature.
La spiritualité désigne la vie de l’esprit. Elle est une part de la condition humaine, comme la conscience de la mort qui nous engage à rassembler nos forces pour ne pas passer à côté de la vie. Cultiver la pensée libre, autonome, écrire en somme puisque penser se passe difficilement de cet écart à soi que crée l’écriture, et pour cela mettre à la disposition de tous un lieu, des lieux où se retirer pour le faire, voilà notre ambition.
Elle peut paraître modeste à qui dispose d’un bureau personnel : c’est qu’il ne connaît pas son bonheur. Pour tous les autres, ce luxe paraît hors de portée, et nous voulons précisément le mettre à la portée de tous. Recréer des conditions où tout être humain se pensera comme parcelle de l’humanité en dépit des clivages et des hiérarchies fabriquées puis entretenues par ceux qui en profitent est aussi une idée fondatrice de l’Ermitage, Maison de l'Écriture.
Tout le monde devrait écrire? Nous nous employons à faire de l'utopie une réalité.