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Virginie Lou-Nony

Ecrivain, initiatrice d'ateliers d'écriture, présidente de l'association L'Ermitage

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Billet de blog 5 mai 2013

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Le discours est mort, vive la pensée !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Parmi les naufrages prodigieux auxquels nous assistons en ces jours de tempête, il en est un qui semble passer inaperçu, c’est le naufrage du discours. Pourtant écoutez bien : plus aucun n’est audible. Tous sont renvoyés à leur impuissance, au blabla.
Incapables d’apporter une réponse économique, sociale ou éthique, absurdes quand ils ne sont pas mensongers, les discours de la nomenclatura politico-financière autoproclamée élite, en sombrant, créent un vide nouveau et riche de possibles : la faillite du prêt à penser oblige chacun à penser.

 Depuis la Révolution (depuis l’antiquité grecque, et surtout romaine), c’est le discours qui dessine l’horizon politique. Danton, Robespierre, Saint-Just : autant d’orateurs. Leurs discours mettaient en forme les ressentis informulés, ouvraient des brèches dans le décor poussiéreux, et de là se répandait la lumière. La République fonctionne depuis sur ce modèle. Lamartine, Jaurès, De Gaulle, Marchais, Mitterrand : tous des orateurs en dépit de leur diversité.

Mais ce n’est pas le manque de talent oratoire qui a ruiné le discours. Ce sont les faits.
Il faut dire qu’après avoir scié la branche sur laquelle ils étaient assis en acquiesçant (et même en donnant la main dans l’espoir de mener le jeu) au putsch mené en Europe par les banques lors du traité de Maastricht, les politiques n’ont que ce qu’ils méritent. Ce ne sont plus eux qui gouvernent, ils ont donné le pouvoir : comment leurs discours pourraient-ils avoir le moindre impact sur la réalité ?

Ce ne sont plus eux qui gouvernent mais ce sont toujours eux qui causent, tandis que ceux qui détiennent la réalité du pouvoir se taisent, et agissent en secret sans se soucier des démentis cinglants que leurs actes infligent aux marionnettes qui s’agitent encore dans la lumière des plateaux télé.
Même le sympathique Mélanchon, fort doué en éloquence et pas à court d’idées, ne passe plus. Je l’écoutais sur Médiapart clamer « Moi je sais gouverner ! » et pensais qu’il avait beau savoir, comme il n’avait pas les commandes et ne les aurait jamais, fût-il bombardé demain premier ministre, son discours sonnait aussi creux que tous les autres.

L’économie mondiale est aux mains des banques, qui ne visent ni la démocratie ni le bonheur des peuples : comment un homme, même déterminé, même suivi par une majorité de citoyens, aurait-il la moindre chance d’y changer quoi que ce soit ? Le fantasme de l’Homme providentiel est mort lui aussi, tant mieux ! Il n’y a que ce pathétique Copé dont la cervelle est confite dans le formol pour imaginer pouvoir nous refaire le coup de 58 (sans parler du minimum de talent nécessaire pour mener à bien l’opération).

 Le discours est mort, on peut le déplorer, le pleurer, ça n’était pas mal quand même ces clameurs formidables, Entre ici Jean Moulin !… Mais voilà, sic transit gloria mundi.
Passons à autre chose : pensons.
Voilà nos oreilles lavées. Plus rien ne tient, c’est magnifique. Y’a plus d’valeurs ! comme disent les pépés. Tant mieux, il nous reste à les inventer, des plus mieux que la charité détestable, la politesse hypocrite, l’abominable tolérance, la liberté cause-toujours-tu-m’intéresses, l’égalité de ceux qui sont plus égaux que les autres, la fraternité des tonfas et j’en passe.

Mais pour inventer il faut penser, et pour penser il faut écrire, s’extirper du brouhaha, des remugles d’idées pourrissantes. On ne pense qu’en s’arrachant aux mots de la tribu, le grand Mallarmé nous l’a assez seriné. On ne pense qu’en osant poser des mots sur une feuille non pour « s’exprimer » comme on l’entend souvent dire mais pour savoir ce qu’on pense.
Ecrire, c’est prendre l’extrême risque de voir ses propres mots, de les comprendre dans leur apparence et leurs tremblements souterrains ; écrire c’est par avance supporter de se lire afin de déceler dans ses propres phrases les aberrations, les contradictions, les non-dits. Ce n’est pas une mince affaire, c’est même un danger majeur. Ecrire, c’est forcément prendre du temps, et dans ce temps accepter qu’une idée voie aussitôt après elle s’épanouir sa contradiction.
Ecrire c’est douter, et ça fait mal. Regardez les troupeaux du FN qui défilent en faisant le salut hitlérien ou en brandissant leur saucisson, ce qu’ils en font du doute. S’ils lisaient ces lignes, ils me diraient sûrement que le doute ils se le collent au cul. Rien n’est plus dangereux pour l’idéologie, rien n’est plus désastreux pour la foi en général que le doute. On préfère s’asseoir dessus, sinon c’est marée basse pour la vague bleu marine.

 Raison supplémentaire de se retrancher le temps nécessaire pour penser. Non que je prône l’érémitisme… Certes le spectacle offert par le bipède humain n’est pas à proprement parler enchanteur mais il reste toujours quelques spécimens pour racheter le genre. Pourtant, de ceux-là que nous aimons il faut s’écarter aussi, le temps nécessaire pour écrire, pour penser. Ceux qui le font sont nombreux, plus que les troupeaux beuglant avec le saucisson en bandoulière, mais moins photogéniques, assurément. Ça ne ressemble à rien un gars tout seul, pas rasé et fagoté à la diable, une nana en pantoufles et même pas lavée, comme moi que l’écriture a tirée du lit à 5 heures du mat’.

On les évalue à 7 millions, les écriveurs solitaires et secrets, j’ai vu ce chiffre sur le net, je ne sais pas d’où il sort. Mais dans les ateliers d’écriture, depuis trente ans que j’en fais, j’en ai vu défiler des gens qui écrivent, tout seuls dans leur coin, sans chercher à être publiés, simplement pour savoir, en écrivant, de quoi leur pensée est capable, et où elle va ; où va la vie, aussi, la leur et celle du genre ; à quoi ça rime, la condition humaine ; ce genre de choses…

 Parce que cette activité d’écriture est à la fois absolument vitale et invisible, parce qu’elle mérite un ancrage, un lieu, nous avons le projet, avec mes amis des ateliers d’écriture, de fonder une Maison de l’Écriture. Il y aura en France, dans un lieu visible sur une carte, dans une région par ailleurs magnifique quoique secrète, à l’écart des routes touristiques, nommée les Hauts-Cantons de l’Hérault, il y aura une Maison de l’écriture pour que tous ceux qui ont besoin de se retirer un moment, quelques jours, quelques semaines, pour écrire, puissent le faire.
C’est à l’avancée concrète de cette utopie que, sans s’interdire les digressions et les sentiers buissonniers, est consacré ce blog.

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