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Ecrivain, initiatrice d'ateliers d'écriture, présidente de l'association L'Ermitage

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Billet de blog 23 avril 2013

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Rou-sseau-prési-dent !

La débâcle assurée de la République suscite maintes lamentations. Pour ma part, je me réjouis de la faillite d’un système injuste, inégalitaire, reproduisant jusque dans ses menus détails les tares du régime féodal qu’il a remplacé : je crains seulement la violence qui ne manquera pas d’accompagner sa disparition.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La débâcle assurée de la République suscite maintes lamentations. Pour ma part, je me réjouis de la faillite d’un système injuste, inégalitaire, reproduisant jusque dans ses menus détails les tares du régime féodal qu’il a remplacé : je crains seulement la violence qui ne manquera pas d’accompagner sa disparition.

Certains planchent sur une VIè république, fruit d’une réflexion critique sur le statut de monarque élu accordé au président de la république. Soit. Mais quant au fond, cette VIè république ne changera rien. Car le ver est dans le fruit dès l’instant où sera reconduite la pratique de la représentation. Pour régler les affaires de ma ville j’élis un maire, des représentants régionaux pour administrer la région, et pour me représenter au parlement, j’élis un député. Que ce représentant s’assoie sur ses promesses électorales aussitôt élu ne provoque aucune révolte, à peine un haussement d’épaule fataliste. Que le président s’assoie de même sur son programme électoral ne scandalise pas : ça fait partie du folklore. Que les députés ratifient au parlement un traité européen alors que la majorité des citoyens a dit non à cette Europe-là n’a provoqué aucune révolution ; seulement éloigné un peu plus les citoyens des urnes.

C’est que le Contrat Social est depuis belle lurette rompu, et pas seulement parce que le ministre du budget en charge de la fraude fiscale planque son magot dans les places offshores. C’est aussi que la pratique séculaire de la représentation organise l’irresponsabilité des citoyens : chacun bien tranquille rejette la responsabilité sur l’élu, lui même dans la plupart des cas parfaitement irresponsable.

Avec une perspicacité qui laisse pantois, Jean-Jacques Rousseau en 1769, vingt ans avant la révolution qui allait l’institutionnaliser, repérait le danger : L’idée des représentants (…) nous vient du gouvernement féodal, de cet inique et absurde gouvernement dans lequel l’espèce humaine s’est dégradée, et où le nom d’homme est en déshonneur. Dans les anciennes républiques, et même dans les monarchies, jamais le peuple n’eut de représentant ; on ne connaissait pas ce mot-là. Il est très singulier qu’à Rome, où les tribuns étaient si sacrés, on n’ait pas même imaginé qu’ils pussent usurper les fonctions du peuple, et qu’au milieu d’une si grande multitude ils n’aient jamais tenté de passer de leur chef à un seul plébiscite.

Peut-être serait-il bon, avant que les États indépendants ne sombrent et que les financiers ne rétablissent une féodalité planétaire, que les citoyens se souviennent que leurs « représentants », constitués en classe préoccupée uniquement de sa propre perpétuation, ne les ont jamais représentés. Que le système de la représentation non seulement ne leur a pas permis de faire entendre leur voix mais les a dépossédés de tout pouvoir ; et mieux encore : les a dépossédés du désir de s’occuper de leurs propres affaires, de prendre en main le développement de leur quartier, celui de leur ville et de leur pays.

Nous avons en main les outils, y compris technologiques, pour réinventer la seule démocratie qui soit : directe. C’est la solution que défendait Rousseau, en y objectant que les climats du nord sont moins propices que ceux des Grecs à l’assemblée régulière sur la place publique, et que le souci de la cité coûte du temps : les Grecs avaient des esclaves qui travaillaient à leur subsistance tandis qu’ils s’assemblaient sur l’agora. Ces deux arguments, nous avons la chance de pouvoir les balayer d’un revers de main. Pourquoi se réunirait-on sur la place quand il y a des salles de concert gigantesques (sans parler des églises de village), et qui plus est, vides à longueur de jour ? Pourquoi se réunirait-on physiquement quand on peut sans quitter son fauteuil tenir forum sur Internet ?

Le temps nécessaire à la production des biens indispensables à l’homme va diminuant : tout serait affaire de répartition du temps de travail entre les hommes, comme de répartition des richesses. Rien, sauf la volonté majoritaire, ne s’opposerait au fait que chacun d’entre nous consacre 20 heures par semaine à la production des biens et des services, et 20 heures à la vie de sa cité.

Tout est possible, nous n’y pensons pas assez ! écrivait Thomas Bernhard. Tout est possible, et nous ne lisons même pas les livres de ceux qui pensent… Allez, citoyens, encore un effort pour devenir révolutionnaires ! Lisez Rousseau, accessible gratuitement dans toutes les bibliothèques – la gratuité de la bibliothèque, c’est un truc que la finance internationale ne nous a pas encore enlevé, mais ça ne va pas durer vu l’empressement de notre représentant princeps à renier son programme électoral…

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