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Billet de blog 14 août 2023

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La Russie tente d'ouvrir un front africain pour gagner en Ukraine

Les événements récents en Afrique exposent le risque qu'un conflit militaire se transforme en guerre là-bas. La Russie a inspiré ces conflits, y compris le coup d'État au Niger, pour détourner l'attention de l'Occident de l'Ukraine. Mais cette stratégie russe inefficaces fais de la Russie un espace de ressources à la fois pour la Chine et les pays africains.

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L'histoire de l'Afrique a été marquée par des événements tumultueux, notamment des coups d'État influencés par les luttes de pouvoir entre les États-Unis et l'Union soviétique. Le récent sommet Russie-Afrique, qui s'est tenu les 27 et 28 juillet 2023, reflète les tentatives de Poutine de faire revivre les tactiques de l'ancienne URSS en matière de politique étrangère. La situation au Niger, associée à un sentiment de déjà-vu concernant les discours de lutte contre le néocolonialisme qui ont prononcés à Saint-Pétersbourg pendant le sommet, évoque un sentiment troublant semblable à celui de regarder un vieux film, mais avec une véritable effusion de sang dans le présent et l'avenir.

Le récent coup d'État au Niger, soutenu par le Burkina-Faso et le Mali, a exacerbé les tensions dans la région et fait planer la menace d'une guerre africaine majeure. Le continent redevient une arène pour les confrontations de pouvoir entre les grandes nations, comme c'était le cas pendant la guerre froide. La Russie semble employer des méthodes hybrides de type KGB pour saper les intérêts américains et français par l'intermédiaire de forces supplétives en Afrique, car elle ne peut pas défier ouvertement l'Occident.

Le sommet a ravivé la rhétorique de la guerre froide des années 1970, les discussions tournant autour de la lutte contre le colonialisme, les mouvements de libération nationale, les dictateurs et les faibles dirigeants démocratiques. La Russie semble renforcer sa présence sur le continent, en utilisant des récits anticolonialistes pour consolider sa position.

La Russie semble profiter du chaos qui règne en Afrique pour promouvoir le néocolonialisme, en déstabilisant plusieurs pays afin de créer une base solide pour ses opérations. L'intérêt pour l'Afrique est compréhensible, étant donné son potentiel en tant que réservoir d'une main-d'œuvre inexploitée et d'un marché au pouvoir d'achat substantiel mais non réalisé. L'Occident et la Chine ont reconnu ce potentiel et investissent dans la production et l'éducation pour exploiter efficacement ces opportunités.

En revanche, la Russie semble se concentrer sur la fourniture d'armes aux dictateurs, contribuant ainsi à la destruction de la production et du bien-être des populations. En retour, elle obtient l'accès aux ressources minérales de l'Afrique à des fins de profit privé. Cela reflète un modèle classique de néocolonialisme apparu dans les années 1960. La Chine, quant à elle, a adopté une approche différente et n'a pas adhéré à ce modèle, restant un vestige des anciennes puissances coloniales.

Pour favoriser un développement positif en Afrique, les investissements devraient se concentrer à la fois sur la production et sur le capital humain, y compris l'éducation, car ces éléments sont essentiels à une croissance durable. L'approche néocoloniale de la Russie, que les experts et les hommes politiques russes préconisent en parlant de l'Occident, est considérée comme inefficace par rapport aux stratégies employées par l'Occident et la Chine.

En 2022, après l'échec de sa tentative de conquête éclair de l'Ukraine, Poutine a cherché à renforcer la coopération avec la Chine en tant que partenaire potentiel contre l'Occident. Cependant, cette approche s'est avérée inefficace, ce qui a conduit Poutine à se tourner vers l'Afrique. Alors que les "tigres" asiatiques, menés par la Chine, expriment leur intérêt pour les ressources énergétiques russes, les "lions" africains possèdent d'abondantes ressources qui leur sont propres et qui nécessitent avant tout un soutien financier et militaire.

Néanmoins, la Chine, libérée des sanctions, peut répondre rapidement et efficacement aux demandes de financement et de compétences des pays africains. Les anciens avantages compétitifs de la Russie en matière de fourniture de ressources alimentaires et énergétiques par l'intermédiaire d'entités telles que le "groupe Wagner" pour dissuader l'influence chinoise en Afrique ont considérablement diminué en raison du retrait de l'"accord sur les céréales" et de la "quasi-mutinerie du 24 juin".

Pour atteindre ses objectifs lors du sommet, M. Poutine a décidé d'annuler environ 23 milliards de dollars de dettes dues par les pays africains, annonçant une aide financière future de 90 millions de dollars aux quelques pays sélectionnés par le Kremlin En outre, il a proposé de fournir gratuitement des céréales aux pays africains si la Russie ne reprenait pas l'accord sur l’initiative céréalière de la mer Noire. En réponse, les pays africains ont formulé des demandes politiques pour mettre fin à la guerre en Ukraine sur la base des principes de “"justice et de raison"et ont insisté sur la reprise de l'accord de la mer Noire plutôt que sur l'offre de céréales gratuites de la Russie.

Selon une enquête réalisée par Afrobaromètre les pays africains considèrent la Chine comme leur partenaire économique préféré, les États-Unis arrivant en deuxième position. Fait remarquable, la cote de popularité de la Russie en Afrique est même inférieure à celle des anciennes puissances coloniales qui dominaient autrefois le continent. Le volume des échanges commerciaux de la Russie avec l'Afrique ne s'élève qu'à 18 milliards de dollars soit bien moins que les 282 milliards de dollars avec la Chine et un peu plus de 72 milliards de dollars avec les États-Unis. Avec des arguments économiques et politiques limités, Poutine semble avoir recours aux tactiques du groupe Wagner, dans le but de provoquer des troubles et de l'instabilité sur le continent africain. Evgeny Prigozhin a fait sa première apparition publique au sommet depuis sa mutinerie ratée. 

Dans l'ensemble, les tentatives de Poutine pour faire de la Russie un acteur important en Afrique se heurtent à des difficultés considérables, compte tenu de la domination de la Chine et de l'absence d'incitations économiques et politiques convaincantes. Cette situation laisse à la Russie des options limitées, et il reste à voir quelle sera l'efficacité de ses tactiques dans le contexte africain.

Le sommet Russie-Afrique de 2023 a connu une baisse de participation par rapport au premier sommet de 2019, avec seulement 17 chefs d'État sur 49 délégations participantes. En réponse à la diminution du soutien politique, Poutine a exprimé sa détermination à ce que la Russie s'intègre profondément dans le monde africain. Cependant, cette intégration semble impliquer l'établissement de zones d'influence russes dans la région troublée en utilisant des groupes de mercenaires et la fourniture d'armes.

Le récent coup d'État au Niger met en évidence la préférence de Poutine pour la corruption des forces armées des États non contrôlés comme moyen de lutte pour l'Afrique. Cela suggère que le Kremlin continuera à utiliser le groupe de mercenaires "Wagner" pour réaliser des coups d'État, mais avec l'ajout de plusieurs nouvelles armées privées pour diluer le seul pouvoir de "Wagner" au nom de la Russie.

Le Kremlin a l'habitude d'utiliser des groupes terroristes à ses fins et il semble qu'il ait désormais l'intention d'employer une stratégie d'autoreproduction de terroristes dans les pays africains fidèles à la Russie. Les soi-disant terroristes seront rachetés et redirigés vers des groupes militaires privés qui les utiliseront dans des conflits internes en Afrique. Le Kremlin ne semble pas vouloir s'attaquer aux causes profondes du terrorisme, telles que les déficits culturels et juridiques, la pauvreté, l'accès facile aux armes et le manque de mobilité sociale. Il considère plutôt le terrorisme comme un outil d'influence, ce qui fait craindre que la Russie ne consolide son statut d'"État terroriste".

Le récent coup d'État au Niger semble être la première frappe de Poutine, car il a des implications au-delà de la région et pourrait avoir un impact significatif sur le paysage géopolitique. Avec les spéculations sur l'implication et le financement potentiel de la Russie, ce coup d'État semble avoir pour but d'établir des zones par procuration sous leur contrôle avec l'objectif possible de déclencher une guerre majeure en Afrique. Les putschistes ont notamment remplacé les drapeaux français par le drapeau tricolore russe et ont scandé des slogans pro-Poutine, ce qui témoigne d'un changement d'alliance.

Du point de vue de la sécurité internationale, il est essentiel que le Niger repasse sous contrôle occidental pour éviter que la France, un État clé de l'UE, ne perde son influence sur le contrôle de l'énergie. Actuellement, ce levier est en train d'être cédé à la Fédération de Russie et au nouveau régime militaire.

Les implications du coup d'État militaire au Niger pourraient être importantes pour la situation géopolitique dans la région et même au-delà. Si les putschistes restent au pouvoir et que le président légalement élu M. Bazoum est évincé, et si le Niger s'aligne sur la Russie, la France pourrait être contrainte de quitter la "zone sahélienne", et l'influence russe dans la région pourrait devenir une zone tampon entre le Nord arabe et l'"Afrique noire".

En outre, les perspectives de l'énergie nucléaire française et européenne pourraient subir un coup dur, remettant potentiellement en cause l'héritage d'Emmanuel Macron en tant que président ayant laissé la France perdre des intérêts nationaux.

La Russie a provoqué cette crise pour créer un front africain afin de détourner les ressources de l'"Occident global" de l'Ukraine. Les plans russes pour y parvenir semblent utiliser des armées privées et des forces mandataires dans la région pour mener à bien ses intérêts.

Le groupe Wagner ne semble pas avoir été directement impliqué dans le coup d'État. Néanmoins, certains éléments indiquent que Wagner recrute pour une campagne sur le continent africain après le sommet Russie-Afrique. L'annonce suggère une campagne de recrutement importante, à la recherche de 500 personnes prêtes à se rendre en Libye. Maintenant que les instructeurs du groupe Wagner ont quitté le Mali pour le Niger, la confrontation militaire est inévitable.

À la lumière de ces développements, la crise au Niger prend une importance accrue car elle pourrait façonner le futur paysage géopolitique de la région et avoir des implications plus larges à l'échelle mondiale. La communauté internationale doit suivre de près la situation au Niger pour comprendre comment les luttes de pouvoir entre les principaux acteurs peuvent évoluer et affecter la stabilité en Afrique et au-delà.

La réorientation actuelle de la Russie vers l'Afrique, après des tentatives infructueuses d'orientation vers l'Est, la positionne comme un substrat économique pour les économies plus petites et une base de ressources pour les plus grandes. L'incapacité du Kremlin à reconquérir le marché occidental, en particulier dans le domaine des ressources énergétiques, donne l'impression que la Russie n’a pas la capacité de soutenir ses intérêts en région africaine tout en essayant de présenter cette décision comme une "lutte contre le colonialisme" alors qu'elle est devenue une colonie de Pékin.

En conséquence, les actions de Poutine suggèrent que la Russie perd son statut de "puissance mondiale" et évolue plutôt vers un acteur de deuxième rang en Afrique et en Asie, tentant de combiner les rôles d'une métropole et d'une colonie. Cette évolution soulève des questions sur le positionnement mondial à long terme de la Russie et sur ses aspirations à exercer une influence sur la scène internationale.

En conclusion, on peut dire que la Russie continue de tester les "zones d'intérêt de l'Occident", voulant sortir de la guerre par l'escalade. Poutine espère qu'un jour l'Occident échouera à repousser la menace et demandera la paix. Il est possible que nous voyions les prochaines zones d'escalade à la frontière polono-biélorusse, puis dans l'Arctique, où la Russie considère son contingent militaire efficace.

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