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Billet de blog 29 juin 2023

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L'avenir de la guerre entre la Russie et l'Ukraine

L’histoire russe montre que la Russie ne peut rester en guerre que pendant environ 2,5 ans avant d'épuiser les ressources nécessaires à la poursuite de la guerre. Après la mutinerie de Prigozhin peut-être est-il temps pour l'Occident d'adopter une position ferme et unifié et de arrêter la guerre qui tue des civils chaque jour?

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Un peu plus d'un an après l'invasion russe, l'Ukraine a lancé sa contre-attaque. À l'heure actuelle, l’incertitude demeure quant à la réussite de cette contre-offensive. Quoiqu’il en soit, on peut d’ores-et-déjà s’interroger sur la manière dont va évoluer le conflit dans le futur. La contre-attaque en cours ne décidera pas de l'issue de la guerre, mais elle l'influencera. Et force est d’admettre que le futur de la guerre dépend de la Russie, et non de l’Ukraine.

La Russie a commencé la guerre. Le régime russe souhaite la terminer de manière à consolider sa position. En accumulant les erreurs géopolitiques, la Russie continue de dicter l'agenda de la guerre. Il est donc pertinent d'examiner les dynamiques russes et la logique de la structure de pouvoir contre lesquelles l’Ukraine doit réagir. On ne peut jamais parler du futur sans tenir compte du passé. Il est donc important d'analyser le raisonnement qui a conduit le Kremlin à prendre la décision d’envahir l’Ukraine.

Janvier 2023 a débuté avec l'annonce de la baisse des prix du gaz en Europe aux niveaux d'avant-guerre, marquant ainsi l'échec du Plan B de Poutine. En même temps, les médias russes et internationaux rendaient compte des minuscules avancées militaires du Groupe Wagner à Bakhmut. Aucun des plans de Poutine n'était basé sur une logique militaire. Poutine n'est pas un commandant en chef ; c’est avant tout un gangster. Son plan était de s’emparer d’un butin et de s'enfuir, tout en menaçant d’avoir recours à l’arme nucléaire si quelqu'un osait essayer de reprendre ce butin, mais en aucun cas, il n’envisageait de se battre pour cela.

Son Plan A était évident : il s’agissait de s’emparer rapidement d’une partie de l'Ukraine. L'armée a été utilisée comme une menace, pas comme une force réelle, d'où les pertes significatives en février et mars 2023. Le concept de guerre perpétuelle de Poutine a été développé pour lutter contre l'Occident, plus précisément « l’Occident collectif » selon l’expression utilisée par le Kremlin pour désigner l’ensemble des différents blocs pro-occidentaux. En envahissant l'Ukraine, Poutine mettait en œuvre son idée de guerre contre l'Occident. En fait, il ne voulait pas d'une guerre avec l'Ukraine. Il prévoyait de combattre contre l'OTAN avant même que l’Alliance ne réalise qu'elle avait été attaquée, une méthode typique de gangster. Après l'échec de son Plan A, Poutine a rapidement conçu le Plan B.

Gazprom brûle du gaz à hauteur de 10 millions de dollars par jour ; et les reportages diffusés par la Russie montrant l'Europe gelée en hiver alimentaient la propagande russe, partie intégrante du plan. Ce plan était très simple (tout comme le Plan A) : gelons l'Europe en coupant son approvisionnement en gaz. Une fois qu'elle gèlera, les Européens demanderont à leurs gouvernements de cesser de soutenir l'Ukraine, et alors nous pourrons revenir au Plan A. Cependant, la chute des prix du gaz a enterré le Plan B, tout comme la lutte héroïque des Ukrainiens a rapidement enterré le Plan A.

Et maintenant, nous sommes entrés dans le Plan C, qui est un plan traditionnel russe. Son nom est « et si ». Et si les démocrates perdent les élections américaines et que Trump arrête tout soutien à l'Ukraine ? Et si les prix du gaz augmentent à nouveau et que l'Europe cesse de soutenir l'Ukraine ? Et si les Ukrainiens se fatiguent de la guerre et destituent Zelensky ? Beaucoup de choses peuvent se produire si nous attendons. Cette approche reflète parfaitement la nature inefficace du gouvernement russe. Que vous ayez servi au KGB soviétique ou travaillé dans l'administration de Saint-Pétersbourg, vous savez que si vous attendez, quelque chose de bon peut se produire.

Après l'échec de la deuxième plus grande armée du monde et du plus grand empire gazier européen, Poutine mise désormais sur la patience du peuple russe. Ce plan semble fonctionner : tandis que les hommes russes sont prêts à mourir en Ukraine sans protester, le silence des femmes russes est acheté à coup de compensations financières. L'objectif de Poutine maintenant est de prolonger la guerre le plus longtemps possible, en essayant d'épuiser les Ukrainiens et l'Occident. Sur le champ de bataille, il s'agit principalement de se défendre contre les contre-attaques ukrainiennes. Poutine se moque de pouvoir saisir plus de territoires ukrainiens. La machine propagandiste de Poutine peut transformer n'importe quel petit village capturé en bastion héroïque de la Russie, alimentant ainsi le nationalisme et le soutien à la guerre. En prolongeant le conflit, Poutine espère également affaiblir l'Ukraine, tant sur le plan économique que sur le plan politique, dans l'espoir de favoriser une éventuelle reprise en main de la Russie.

La Russie dicte l’agenda de la guerre, et l'Occident y réagit. Après l'échec du plan A, l'Occident a commencé à augmenter son aide militaire et financière à l'Ukraine. En suivant le discours politique occidental, on passe de « la Russie ne doit pas gagner » à « l’Ukraine doit gagner », pour arriver finalement à « l’Ukraine doit libérer tous ses territoires". Le problème, tant pour Poutine que pour l'Occident, est qu'ils ne savent pas de quoi l'armée ukrainienne est capable. Ce qui semblait être une poignée de professionnels patriotes avant le 24 février devrait être l'armée la plus meurtrière d'aujourd'hui. La contre-attaque en cours montrera si ces attentes sont fondées.

Le fait que la Russie n'appelle pas la guerre par son nom et utilise plutôt l’expression « opération militaire spéciale » souligne son caractère attentiste. L'objectif de Poutine est d'officialiser le statu quo, de conserver certains territoires ukrainiens et de rassembler des ressources en vue d'une nouvelle tentative. 

Il est intéressant de noter que ni la Russie ni l'Ukraine n'ont déclaré la guerre. Aucun pays n'utilise ce terme dans ses documents juridiques officiels. Le 24 février 2022, l'Ukraine a déclaré la loi martiale et la mobilisation générale pour 90 jours, prolongeant ainsi ce statut juridique. Sur le plan militaire et juridique, l'Ukraine répond à la Russie, où la guerre n'a jamais été déclarée. 

Indépendamment du statut juridique officiellement déclaré, nous avons une véritable guerre en Ukraine. Déclarer une guerre signifie qu'il faut la gagner. Le fait de ne pas se trouver dans une situation de guerre officielle déclarée, laisse plus de marge de manœuvre politique aux deux belligérants, chacun pouvant se prévaloir de la victoire. Si la libération de tous les territoires, y compris la Crimée, semble être une victoire décisive pour l'Ukraine, ce ne sera pas toutefois une victoire dans la guerre qui n'a jamais été déclarée. La Russie reviendra pour la Crimée et le Donbas.

Les hommes politiques occidentaux en sont conscients. Comme il n'y a pas d'accord sur ce qu'il faut faire avec la Russie après la guerre et sur la manière de se défendre contre ses futures agressions, les gouvernements occidentaux hésitent. Ils ne peuvent pas se fier entièrement à l'armée ukrainienne, car ils ne disposent d'aucun résultat visible quant à son efficacité globale. Ils lui ont donc fourni suffisamment d'armement pour produire une riposte réussie, démontrant ainsi la capacité des forces ukrainiennes à résister, mais riposte qui a toutefois ses limites et qui ne peut être totalement efficace sans les chasseurs F-16. 

Les chasseurs à réaction sont essentiels aux opérations militaires contemporaines : non pas parce qu'ils doivent combattre des avions ennemis, mais parce qu’ils fourniraient des liaisons de données permettant aux avions ukrainiens de se combiner avec les radars terrestres de défense aérienne de l'OTAN, tels que le Patriot. Cela améliorerait l'efficacité tactique contre les missiles de croisière russes et pourrait contribuer au succès de la contre-offensive. Contrairement à la petite flotte existante de Mig-29, Su-27 et Su-24 de l'ère soviétique, le F-16 peut transporter l'ensemble des missiles air-air et air-sol.

L'Ukraine dispose désormais de missiles HARM et Storm Shadow qu'elle tente de lancer à partir des avions actuels en fabriquant toutes sortes d'adaptateurs. Cette méthode n'est toutefois pas très efficace, les missiles manquant souvent leur cible. En reliant les missiles aux systèmes natifs de l'avion, qui détectent le radar plus loin et avec plus de précision que la tête du missile et peuvent lui donner une désignation initiale complète de la cible, l'efficacité du HARM sera multipliée, et donc les pertes de la défense aérienne russe seront plus importantes. Après avoir neutralisé le système de défense aérienne, ces mêmes chasseurs F-16 peuvent lancer des missiles Storm Shadow sur des cibles militaires non protégées. Mais ces avions arriveront à l'automne, trop tard pour contribuer à la contre-offensive en cours.

Des avions d'attaque A-10 Thunderbolt II aideraient également la contre-offensive ukrainienne. Ces vieux appareils constituent le soutien aérien de première ligne indispensable pour bombarder les positions russes et les systèmes de défense antimissile. L'armée de l'air russe est aujourd'hui très efficace contre les troupes terrestres ukrainiennes. Et l'Ukraine ne dispose d'aucun avion occidental au moment où elle en a le plus besoin.

M. Zelensky a reconnu que les troupes ukrainiennes étaient confrontées à une "résistance très forte". Cela ne devrait pas le surprendre. Les grands acteurs géopolitiques oublient une fois de plus un fait : les soldats russes veulent survivre, et leurs commandants aussi. Et ils disposent de tous les moyens militaires pour y parvenir. L'armée russe n'est pas opposée à cette guerre. Que la guerre soit juste ou non, l'instinct de survie des soldats russes les pousse à se battre.

Le 13 juin, M. Poutine a réaffirmé que les Occidentaux détenaient la clé de la résolution du conflit ukrainien. Pour ce faire, "ils doivent cesser de fournir des armes et des équipements à l'Ukraine". M. Poutine a également fait remarquer qu'en cas d'arrêt des livraisons d'armes, l'Ukraine elle-même souhaiterait bientôt organiser des négociations. Il est clair qu'il veut faire durer la guerre en espérant profiter des ressources russes qui lui semblent inépuisables.

Et c'est là que son incompréhension de la société et de l'histoire russes se retournera contre lui. L'histoire russe montre que la Russie ne peut rester en guerre que pendant environ 2,5 ans avant d'épuiser les ressources nécessaires à la poursuite de la guerre. Cela peut paraître surprenant, mais toutes les guerres russes des 200 dernières années prouvent qu'après environ 2,5 ans, la Russie a toujours besoin de ressources supplémentaires, qui viennent généralement de l'Occident. Le cercle vicieux de l'histoire russe dessine les grandes lignes de la guerre actuelle :

  • la Guerre de Crimée, 1853-1856 ;
  • la Guerre russo-japonaise, 1904-1905 ;

Pour ces deux conflits, les problèmes de logistique et l'inefficacité des généraux ont conduit la Russie à perdre la guerre après l'épuisement des ressources disponibles localement.

  • Après la Première Guerre mondiale (1914-1918), la Russie a épuisé ses ressources faciles à déployer en 1916, l'économie s'est effondrée et les contradictions sociétales insolubles ont pris fin avec la révolution de 1917 ;
  • Lors de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945), l'aide occidentale est arrivée à temps et, sans elle, comme l'ont écrit les analystes militaires occidentaux, l'URSS aurait dû quitter la guerre à la fin de 1943 ou au début de 1944 (l'état-major militaire allemand avait le même calendrier) ; 
  • la Guerre Russie-Ukraine, 24 février 2022 : à moins que le prêt chinois n'arrive bientôt, la Russie ne pourra la faire durer que jusqu'à la fin de 2026 ou le début de 2027.

Poutine n'a pas de véritable plan, et l'histoire de la Russie, ses pratiques de gouvernance inefficaces et la détérioration de son économie jouent contre lui. Mais il déteste l'Ukraine et croit qu'il peut surpasser l'Ukraine et l'Occident. Cela se terminera par un épuisement total des ressources et/ou un coup d'État interne, exactement comme l'Allemagne et la Russie ont mis fin à la Première Guerre mondiale. La Russie fixe l'ordre du jour de cette guerre, mais peut-être est-il temps pour l'Occident d'adopter une position ferme et de l'arrêter ?

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