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Billet de blog 8 juin 2022

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L’apparente "méritocratie républicaine" de Pap Ndiaye en fait-elle un bon ministre ?

Depuis quelques années, les sociologues décortiquent les biais de réussite des parcours académiques les plus sélectifs ainsi que les stéréotypes liés à ces biais. Pap Ndiaye est dans une situation atypique par rapport à ces biais. Cependant, est-ce que cela l’amènera à agir en rupture de la politique de Blanquer ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pap Ndiaye a réussi le concours de l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud (ENS). Il est agrégé d’histoire. Il a étudié 5 ans aux Etats-Unis et il a un doctorat en histoire de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). C’est un spécialiste de l’histoire sociale des minorités noires aux Etats-Unis et en France. Il a dirigé le musée de l’Histoire de l’immigration situé dans le palais de la Porte-Dorée à Paris. Il siège à plusieurs comités scientifiques pour cette compétence.

Méritocratie républicaine ?

La « méritocratie républicaine » a remplacé les « méthodes de lecture » dans les querelles artificielles qui permettent de développer des écrans de fumée qui évitent de traiter les vrais problèmes de l’Education nationale. En réalité, il y a un consensus sur l’existence de biais sociaux qui influent sur la réussite des concours servant à sélectionner les élites académiques. Pour réussir, il faut beaucoup travailler. Cependant cela ne suffit pas, il y a d’autres facteurs. Ces facteurs multiples et entrelacés font, entre autres, que l’enfant ait envie d’apprendre, qu’il ou elle ait les réflexes qui permettent de réussir les apprentissages de base et de bien mémoriser, puis que le jeune soit dans un lycée où le niveau est haut, qu’il ou elle sache que ce parcours sélectif existe, qu’il ne soit pas bridé par la « menace du stéréotype » tant pour le choix de son parcours d’études supérieures que pour la capacité de rester concentrer lors du concours. (On peut lire à ce sujet : Croire au mérite aide-t-il ou non les élèves à réussir

A ses facteurs, s’ajoutent les facteurs financiers : il faut un logement à proximité du lieu des études supérieures et de la nourriture.

Le grand public ne connait pas forcément ces facteurs, d’où des incompréhensions parfois. Cependant, les personnes qui s’intéressent aux inégalités de destin les connaissent.

Or, Pap Ndiaye est né d’une mère française enseignante et d’un père ingénieur d’une très grande école. Ce dernier a abandonné sa famille pour repartir au Sénégal. Aussi, Ndiaye a tous les facteurs facilitateurs. Son père et sa mère ont fait de études exigeantes, aussi faire des études une normalité pour lui : il n’a pas eu à faire face au syndrome de l’imposteur. Sa mère est enseignante, or ce sont les enfants d’enseignants ou d’enseignantes qui ont la meilleure réussite dans les études supérieures juste avant les cadres. Il fait partie de la classe moyenne et a été scolarisé au lycée Lakanal de Sceaux qui est connu pour être un très bon lycée. Sa mère enseignante connait les parcours sélectifs des études supérieures. Connaissant parfaitement les codes de la classe moyenne, il a su réseauter avec habileté pour être coopté dans les comités scientifiques.

Tous ces éléments facilitateurs n’enlèvent pas son mérite, d’autant qu’il a très certainement, en dehors de sa famille et de ses études, été confronté au racisme. L’ENS est un concours de très haut niveau qui demande une capacité d’apprendre et un investissement personnel important que tout le monde n’est pas prêt à faire. Cependant, les jeunes qui habitent les banlieues françaises aujourd’hui n’ont pas la possibilité de faire le même parcours. Je ne doute pas qu’il le sait.

Son mérite est réel cependant, généralement, on parle de méritocratie républicaine pour ceux et celles qui ont réussi un parcours exigeant sans le soutien intellectuel de parents connaissant les clés de la réussite et de la bonne orientation scolaire (comme Anne Hidalgo ou Najat Vallaud-Belkacem). Ce n’est pas son cas.

Des atouts pour le poste de ministre de l’Education nationale

Pap Ndiaye est un homme de dialogue, bon politique au sens noble du terme et connaissant très bien les conséquences des stéréotypes liés aux apparences et les biais liés aux origines sociales.

Aussi, nous pouvons être convaincus que les polémiques artificielles autour du woke et de l’islamo-gauchisme sont terminés. Il s’agit d’un soulagement pour les historiens et pour toutes celles et ceux qui travaillent à apaiser les relations avec tous les jeunes quelles que soient leurs origines.

Il a la capacité d’aborder les sujets avec modération et justesse : connaitre les causes d’incompréhension, repérer les provocateurs, et communiquer avec les personnes de bonne foi. Nous vous pouvons aussi être convaincus que les provocations gratuites envers les enseignants vont cesser. Le dialogue avec les syndicats enseignants va reprendre. Ce qui ne veut pas dire qu’il leur donnera satisfaction. Cependant, il n’y aura plus de pseudo-concertations où les documents importants sont découverts en séance, ni des protocoles sanitaires infaisables envoyés la veille de la rentrée comme à l’époque Blanquer.

Enfin, à cause des stéréotypes liés à sa couleur de peau, il est un rôle-modèle positif pour de nombreux jeunes : Il donne un exemple de comportement à adopter pour être reconnu dans la société. Il démontre l’importance de la valeur travail.

Cependant, aura-t-il les moyens d’agir pour arrêter la destruction du système éducatif ?

Sur ce point, j’ai de sérieux doutes, et pour trois raisons : la première c’est sa capacité de comprendre ce qui est essentiel pour l’efficacité du système éducation, la deuxième est que le politiquement correct lui interdit de désavouer son prédécesseur et la troisième raison est qu’il est dans un gouvernement qui, pour des raisons idéologiques, souhaite favoriser les solutions qui font appel au secteur privé aux dépens du service public.

Pap Ndiaye a une finesse d’analyse des situations. Cependant ce n’est pas suffisant pour construire une compréhension des enjeux de l’Éducation nationale. En effet, depuis les années 1990, le but réel que s’est donné la technostructure de l’Éducation nationale est d’augmenter le nombre de jeunes ayant un diplôme appelé baccalauréat et un diplôme du supérieur, y compris aux dépens de la capacité de la nation à affronter le futur, y compris en abandonnant la plus grande part des plus faibles scolairement. Ceci est quasi-impossible à déconstruire car il y a une alliance entre la technostructure de l’Éducation nationale et les personnes qui définissent « la bonne parole sur l’éducation à gauche ». Ces derniers demandent aux personnes engagées dans des mouvements de gauche de marteler des affirmations qui sont en réalité contraire aux résultats d’études sérieuses pour soutenir les choix de la technostructure de l’Éducation nationale dans ses projets. Cette tactique permet à la France d'être bien placée sur les critères internationaux concernant le nombre de diplômés. Cependant, pour financer ce bon affichage, des économies sont faites aux dépens des plus faibles scolairement et de ceux qui ne connaissent pas les astuces pour bien s’orienter. Comme les conseillers et proches collaborateurs de Ndiaye sont des représentants de l’ancien sérail et qu’aucun n’a fait des études scientifiques, j’ai des doutes qu’il ne fasse pas, en toute bonne foi, les mêmes erreurs que ses prédécesseurs.

La deuxième cause de doute est l'ampleur des erreurs de son prédécesseur. Pour faire avancer l’école, il faudrait qu’il désavoue ce dernier, et donc revienne en arrière, sur plusieurs points :

  • Le dédoublement des classes de CP a une efficacité très limitée. D’abord parce que 70% des élèves issus de milieu social défavorisé ne sont pas dans un territoire REP+. Ensuite, la diminution du groupe classe au-dessous de 18 élèves n’a pratiquement pas d’effet. Le dispositif « plus de maîtres que de classes » est beaucoup plus efficace car il permet un échange sur les difficultés des élèves et un accompagnement pour les besoins de ceux-ci par le premier enseignant, pendant que le deuxième est à l’écoute du reste de la classe. Aujourd’hui ces dédoublements ont été faits aux dépens des autres niveaux faisant passer d’autres classes au-delà du seuil d’ingérabilité. (L’enseignant ou l’enseignante doit prendre sur le temps d’enseignement et sur sa charge mentale pour obtenir un climat de discipline, ressources qu’il ou elle n’a plus pour enseigner). Il faut une attention pour les plus faibles scolairement partout et non pas seulement en éducation prioritaire et en CP-CE1. Ce qui suppose des classes entre 18 et 24 élèves partout (en fonction de la population de la classe) et des enseignants en surnombres. Il faut mettre en place une organisation et une gouvernance reconnues comme efficaces. Ce n'est pas ce qu’a fait Blanquer qui s'est occupé de manière inadaptée de 30% des jeunes concernés. (Voir à ce sujet le livre « Jean-Michel Blanquer, l’Attila des Ecoles » de Pascal Bouchard.)
  • La diminution des places en enseignement professionnel pour les jeunes entre 15 et 18 ans déséquilibre fortement le système éducatif. En effet, le nombre de places en lycée professionnel a diminué drastiquement cette année, sans que le nombre de places en apprentissage destinées au 15-18 ans aient progressé significativement. Le « boom » des places en apprentissage concerne quasiment exclusivement le supérieur : les BTS, les licences et les masters. Les entreprises ne souhaitent pas prendre des jeunes qui ne maîtrisent pas les fondamentaux de lecture et de calcul, ni des jeunes qui n’ont pas appris à respecter les règles : ponctualités et acceptation des ordres. Les jeunes qui ne trouvent pas de places ni en apprentissage, ni en lycée professionnel vont au lycée général et technologique. Ce qui écroule le niveau des classes de seconde général et technologique, particulièrement en zone prioritaire. Avant le passage Blanquer, ceux et celles qui étaient en situation de naufrage au lycée général étaient réorientées au bout d’un an. Ce qui ne sera plus possible parce qu’il n’y a pas assez de places au lycée professionnel pour celles et ceux qui viennent de troisième. Ce phénomène a plus de conséquences dans les lycées en zone prioritaire qu’en lycées de centre-ville. Aussi, la fuite vers les lycées privés, des parents qui ont les moyens s’accentue, entrainant une plus grande ségrégation sociale des établissements et donc le renforcement des inégalités de destin.
  • Le principe de fonctionnement de Parcoursup rajoute du stress et de l’incompréhension. Avec Blanquer, le système d’affectation dans les parcours du supérieur APB (Admission post bac) a été remplacé par un nouveau système Parcoursup. Le principe innovant sur lequel le nouveau système repose s’est révélé catastrophique. Pour donner « plus de temps de réflexion », les futurs étudiants n’indiquent plus l’ordre de leurs vœux. Aussi, l’affectation est beaucoup plus lente, demande que les élèves restent en attente d'un résultat qui peut tomber n'importe quand et donc rajoute du stress, empêche de partir en vacances. Les élèves les moins bien classés ont leur affectation très tard. Ils ont du mal à trouver un logement compatible avec leurs ressources. Par ailleurs, comme les règles d’affectation ne sont pas transparentes, les élèves ne peuvent pas mettre en place une stratégie. Outre de proposer des places pour tous les élèves qui veulent faire des études, il faut revenir sur les principes intrinsèques de Parcoursup.
  • Le nouveau lycée général renforce les biais sociaux, territoriaux et genrés de l’orientation, et ne permet pas une meilleure préparation aux études supérieurs, ni du point de vue de l’élève, ni du point du vue de la nation. Les concepteurs du nouveau lycée ont été incapables de prendre en compte ni  l’importance du groupe classe, ni le rôle fonctionnel des mathématiques (symétrique à celui de l’expression écrite), ni le chemin cognitif réel que fait un jeune pour s’orienter (qui est l’essai-erreur et non l’orientation progressive dans un silo).

Quelle que soit la bonne volonté de Pap Ndiaye, il n’aura vraisemblablement pas la liberté et les moyens d’agir

La dernière contrainte est liée aux consignes, à la liberté d’action et aux moyens financier que donnera Macron à Pap Ndiaye. Aujourd’hui le système est à bout de souffle. Entre le management autoritaire et descendant, le mépris du précédent ministre et la faible rémunération, il y a plus assez de candidats pour être enseignants. Aussi, l’Etat recrute des vacataires sans expérience pour assurer la rentrée. Il faut augmenter significativement le salaire des enseignants. Il faut rétablir la confiance dans celui qui dirige.

Par ailleurs, la destruction du lycée général et technologique semble une volonté assumée d’imiter le système éducatif des Etats-Unis où le niveau de l’école publique est tellement faible que les jeunes sont obligés de s’endetter pour avoir une qualification. Les parcours très sélectifs du supérieur sont réservés à ceux qui sont passés par l’enseignement privé pour préparer des examens organisés par des officines privées, et à quelques élèves méritants qui servent d’alibis. Si cette analyse est juste, quelle que soit la bonne volonté de Pap Ndiaye, le service public de l’éducation secondaire en France est condamné.

Les universités sont sous-financées et il n’y a pas assez de places pour tous les jeunes qui veulent faire des études.

Aujourd’hui, on peut juste espérer que les élections législatives donneront une majorité de députés et députées qui veulent un service public de l’éducation efficace qui donne sa chance à chaque élève. Ce n’est pas la droite de Macron qui le propose.

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