Entre le 8 juillet 2013, date de l’approbation de la loi d’orientation pour la refondation de l’école, et aujourd'hui, il y a deux visions pour la refondation de l’école qui se superposent :
- Celle de ceux que j’appelle les « stratèges de la refondation de l’école » : hauts fonctionnaires qui ont maîtrisé la rédaction de la loi, proches conseillers des ministres successifs qui veulent changer l’école pour plus de justice et d’efficacité.
- Celle de ceux que j’appelle les « Innovateurs communicants" : personnes qui considèrent l’éducation nationale comme un terrain pour se mettre en valeur en mettant en place des innovations permettant une communication simpliste mais dont aucun ne vérifie l’intérêt pour les enfants.
Ces deux visions sont contradictoires. Les innovateurs communicants ont fait le forcing sur deux « innovations » qui les « stratèges de la refondation de l’école » savaient vouer à l’échec :
- le dernier mot aux familles pour l’orientation (pas pour l’affection alors que c’est là que se situe le problème).
- la suppression des notes au collège qui marche en expérimentation mais ne peut pas être généralisée, comme je vais l’expliquer plus bas pourquoi (Les pays qui avaient supprimé les notes après la 5ème les ont remises).
Malgré le forcing de groupes de pression pour mettre ces deux « innovations » dans la loi, les gardiens de la cohérence de la loi ont tenu bon, et ils ont convaincu les députés de la majorité. Il est prévu que le « dernier mot aux familles » fasse l’objet uniquement d’une expérimentation. La suppression de la note n’est pas dans la loi : il est prévu une « évaluation bienveillante », formule floue qui laisse la liberté de décision à la ministre. Ceci montre que les législateurs savaient que ces deux « innovations » n’étaient pas souhaitables.
La méthode utilisée pour la refondation est celle d’un projet de changement organisationnel et culturel. On commence à déterminer les finalités de l’organisation, finalités qui doivent perçues comme pertinentes par la majorité des personnels de l’école, et par ceux qui communiquent sur l'éducation nationale. Puis on définit un « cadre de travail » : programme, formation, organisation. Puis, on agit pour améliorer l’atteinte des « finalités » en se mettant en soutien des personnes sur le terrain et améliorant tout le système éducatif : adaptation des formations, gestion des ressources humaines, adaptation des programmes, adaptation des moyens, organisation des échanges entre les enseignants.
Le démarrage a été long car, il fallait se mettre d’accord sur des finalités. Ce but est atteint grâce avec le socle de compétence, de connaissance et de culture du CSP. Sans ce socle, il n’était pas possible de communiquer une « vision ». Personnellement, je trouve ce socle pertinent. L’école (jusqu’à fin de collège) a pour finalité de donner aux élèves la culture commune, fondée sur les connaissances et compétences indispensables, qui leur permettra de s’épanouir personnellement, de développer leur sociabilité, de poursuivre leur formation tout au long de la vie, quelle que soit la voie choisie, de s’insérer dans la société où ils vivront, et de participer, comme citoyens, à son évolution. Les connaissances et compétences listées semblent pertinentes.
Les décisions sur le « cadre de travail » vont tomber dans les prochains mois = évaluation, nouveau collège, programmes. Les formations continues associées vont se mettre en place. En résumé, incessamment sous peu, nous allons passer au concret. Cela va être le moment de vérité pour la ministre.
Il se trouve qu’au lieu de s’investir dans le projet du gouvernement, les « innovateurs communicants » ont continué leur petit business de mise en avant de soi-même.
Cela se passe comme cela. Un cadre dirigeant de l'éducation nationale (par exemple un inspecteur général) choisit une « innovation » qui a un haut niveau d’acceptabilité parmi les personnes qui communiquent autour de l’éducation nationale (syndicats, journalistes, pédagogues autoproclamés) et décide de prétendre que la mise en place de cette « innovation » peut sauver l’école. Les personnes qui souhaitent avoir une promotion à tous les niveaux vont s’investir pour faire marcher l’innovation. C’est facile, à cause de l’effet Hawthorne, toutes les expérimentations fonctionnent mêmes les plus stupides : l’enseignant a assimilé les fondamentaux de l’enseignement et a un fort soutien, les élèves sont flattés d’avoir été choisi, les parents ont plus d’occasion de dialoguer avec les enseignants,… L’intérêt des élèves est dans le discours, mais la réalité sur ce sujet n’intéresse personne. Un syndicat aisément reconnaissable est le bras armé pour convaincre les enseignants à participer aux innovations. Les enseignants « innovants » ont en retour un soutien par ce syndicat pour la mise en valeur de ce qu’ils font. Il est bien vue de dénigrer leurs collègues qui empêcheraient l’amélioration de l’école en n’utilisant pas la dernière innovation pédagogique. Ce qui explique d’ailleurs que la majorité des twittos qui émettent des doutes sur la pertinence de la surenchère autour de « l’innovation » ont généralement des pseudos, alors que les promoteurs de l’innovation voulue par une hiérarchie communiquent sous leur vrai nom. Ils appellent "anonymes consternants" ceux qui émettent des doutes sur l'efficacité réelle de l'innovation pédagogique à la mode, et expliquent qu'ils ne dénigrent jamais leurs collègues. C'est vrai ce n'est pas dans leurs écrits officiels. C'est juste une normalité de communication jamais sanctionnée dans le groupe que j'appelle aussi "les paléomodernistes consensuels". (Allez voir dans mes autres écrits pour comprendre pourquoi.)
Sur le dernier mot aux parents, le rapport intermédiaire sur le dernier mot aux familles a remarquablement bien tourné ses phrases pour rester dans le politiquement correct, donne du quantitatif et reste très prudent sur le qualitatif. Il est indiqué que de nombreux établissements n’ont été volontaires qu’après une forte incitation de leur hiérarchie. Voici sur l’article du café pédagogique à ce sujet. http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/12/22122014Article635548355595219566.aspx
Pour comprendre le sujet, je vous conseille la lecture de ce billet.
Les analyses montraient que les notes étaient un faux problème. Les principales difficultés des élèves proviennent des « violences entre élèves » , de n’avoir pas de soutien lors de grosses lacunes impossibles à rattraper dans le cadre de la classe, d’être à partir de la 4ème devant des devoirs que quels que soient leurs effort ils ne peuvent pas réussir, d’avoir un dispositif d’orientation qui ne permet pas de s’investir dans leur métier futur. Alors que l’étude des autres systèmes éducatifs montrait que tous les pays ont une notation (lettres ou chiffres) après la 5ème, cela n’a pas empêché la mise en place d’expérimentation de suppression de notes au collège, voire au lycée, par des inspecteurs qui racontaient que c’était déjà décidé et qui conseillaient fortement aux enseignants qui souhaitaient une bonne « notation » de s’investir dans ces projets. Pour ces enseignants, la décision de la ministre a été incompréhensible, pourtant je savais depuis 3 ans que c’était la seule possible.
Voici la référence d'un billet sur le sujet : http://blogs.mediapart.fr/blog/viviane-micaud/210414/les-effets-pervers-de-la-doctrine-de-l-ecole-bienveillante
(Ajout du 29/04/2015 - Ci-joint un article qui a une argumentation proche sur "l'excès de bienveillance". L'auteur a une représentation de l'école idéale qui n'est pas celle que les expériences à l'internationale considère la plus efficace. http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-132345-triomphe-du-pedagogisme-1114203.php )
Ce qui est gênant n’est pas qu’il y ait des expérimentations. C’est normal, il faut se remettre en cause pour progresser. Ce qui est gênant est que les cadres supérieurs de l'Education nationale font le forcing pour leur donner l’apparence de la réussite sans prendre en compte ni la politique du gouvernement, ni de l’intérêt réel des enfants, au lieu de chercher à déterminer des pistes d'amélioration. Ils mettent les enseignants dans une situation d’injonctions contradictoires qui crée des frustrations qui vont entraver les évolutions nécessaires pour école plus juste et plus efficace.