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La contribution de Roland Gori dans cet ouvrage est d'inviter à sortir des fabriques (nombreuses) de nos nouvelles servitudes par la créolisations des consciences et des visions du monde.
Relions-nous*, comme le suggérait le Parlement des Liens lancé en 2018 par Les Liens Qui Libèrent, restituons au vivant son droit à l'expression multiple et diverse, un temps suspendu par la légitime nécessité des domaines de recherche.
Divisons pour connaître et reconstituons pour vivre, mélangeons et agitons pour ne pas nous condamner à la frénésie immobiles de consommateurs passifs.
Cette invitation est magnifiquement et poétiquement exprimée par Edouard Glissant : "l'Absolu du vrai est menaçant parce qu'il ne conçoit pas le mélange et l'absolu du vivant est fantastique parce qu'il ne se conçoit pas sans mélange.
Il n'y a pas de vivant vrai et grand avec un gran V.
Il n'y a que des vivants avec un mélange au départ et un mélange tout au long de la chaîne du vivant."**
La division, la séparation, l'analyse ne sont que les merveilleux processus de décomposition des sciences, ce sont aussi les opérations de hiérarchisation des groupes sur la base de différences manifestes pour établir une logique de domination.
C'est également la façon de mettre en place, en condition, des organisations "scientifiques" du travail propres au taylorisme.
Dans un société où règne les modes d'êtres d'un ordre qui dépossède les consciences et les cultures de leurs singularités au profit des modèles de production standardisées, la créolisation qui draine avec elle les valeurs de brassage, de mélange, d'emmêlement et d'impureté, est un acte de création, un acte de résistance "du peuple qui manque".
Face à la modernité faussement universalisante*** de la mondialisation, conduisant à un "devenir-nègre", la créolisation est une promesse de "mondialité", comme le nomme Edouard Glissant, pour un devenir-créole du monde.
La mondialisation favorise le retour de notions telles celle de la "race", le mot fait retour avec des significations nouvelles : "la réactivation de la logique de race va également de pair avec la montée en puissance de l'idéologie sécuritaire et la mise en place de mécanismes visant à calculer et à minimiser els risques, et à faire de la protection la monnaie d'échange de la citoyenneté****."
La "race" revient au moment même où les populations précarisées se voient menacées par un devenir-nègre.
Nous devrions y réfléchir afin d'éviter ces nouvelles "guerres civils" dans chaque pays, dans le Tout-Monde.
* Collectif, Relions-nous! La constitution des liens, l'an 1 op. cit.
** Rien n'est vrai, tout est vivant", conférence d'Edouard Glissant.
*** Pierre Bourdieu, "Les abus de pouvoir qui s'arment ou s'autorisent de la raison", Contre-feux, Paris, Liber-Raisons d'agir, 1998 (première édition parue en 1955)
**** Achile Mbembe, Critique de la raison nègre, op. cit.,p.41.
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Mais justement, face à ce devenir-nègre auquel nous condamnent les nouvelles fabriques de la servitude, ne pourrions-nous pas bénéficier de la leçon de la résistance des dominés pris dans les rets abominable de l'esclavage ?
Ne devrions-nous pas prendre exemple sur les manières dont ils ont résisté à la domination et à la servitude et aux différentes formes de colonisation ?
Je l'ai dit et redit dans tous mes ouvrages : nous subissons avec le new management néolibéral une véritable colonisation des cultures et des esprits conduisant à une forme d'esclavage occulte.
Les professionnels ne sont plus traités en citoyens, mais en esclaves ou en colonisés en charge de devoir faire de nouveaux habitus en conflit avec leur éthique usuelle.
Dans ce nouveau contexte culturel et social, les individus sont confrontés à l'éclatement de leur univers mental et social, contraints à une "double conscience", à une fissuration de leurs identifications, au clivage de leurs personnalités, repérée au début du XXe siècle chez les noirs américains, et fortement présente chez les peuples colonisés, comme l'avait montré Pierre Bourdieu.
Il n'est pa question de céder aux analogies aventureuses et grotesques qui nous conduiraient à faire des professionnels de nouveaux esclaves comparables à ceux qui furent enlevés de leurs terres et arrachés de leurs liens, entassés dans les cales des bateaux négriers et chosifiés par les békés.
Ce serait ridicule et infâme.
Non, il s'agit de cultiver la puissance de la métaphore pour voir jusqu'où elle peut nous conduire pour nous aider à sortir de la servitude.
Il s'agit des restituer à la métaphore la puissance heuristique que lui ont contesté la logique et la langue numérique, comme les lectures littérales du monde.
La bienveillance était convoquée pour mettre de l’huile dans les rouages d’une organisation complexe assumée par des bénévoles. Nous étions en disposition d’entendre Roland Gori nous raconter la galéjade des « deux Francis » et montrer que la politique du chiffre et de la performance fait disparaître l’humain. C’était parti. Le débat pouvait avoir lieu. (Dans d’autres billets nous déclinerons la richesse du contenu).
https://blogs.mediapart.fr/edition/camedia/article/100714/frioul-2014-un-foyer-de-contagion

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