Pages 423/426 Défaire l'État social
La deuxième "défaisance" * concerne plus directement le champ politique.
Les nouveaux principes de vision et de division du monde social qui valorisent la concurrence entre les individus s'expriment clairement à partir de la présidence de Valéry Giscard d'Estaing et la mise en place du gouvernement de Raymond Barre qui commence à défaire les institutions de l'État social.
On s'emploie, avant d'autres qui les suivront avec ardeur, à défaire le systèmes juridiques et organisationnels de "l'État social" ce qui affecte vite le fonctionnement des services publiques et des associations reconnues d'utilité publique.
D'ailleurs la notion "d'intérêt social" ce qui affecte vite le fonctionnement des services publics et des associations reconnues d'utilité publique.
D'ailleurs la notion "d'intérêt général" a disparu en 1997 de el définition de l'État donnée par le Conseil Constitutionnel qui préfère le définir comme le "dépositaire des moyens de la puissance publique".
La sécurité sociale, l'habitat collectif, la politique de plein emploi, le SMIC, l'autorisation administrative de licenciement, les allocations familiales, les politiques scolaires, la PMI..., obtenues à partir des luttes, contribuaient à une relative sécurité des conditions d'existence dont profitaient non seulement les classes populaires mais aussi la petite et moyenne bourgeoisie.
C'est cet ensemble d'institutions que l'État, rallié au néolibéralisme défait avec constance.
La précarité et la peur de la précarité fragilisent d'abord les plus démunis.
Du côté ouvrier, lorsque les relais na sont plus là pur exiger une amélioration des conditions d'existence au nom de l'égalité, lorsqu'on peut "se faire vider de son travail comme un malpropre", lorsque l'école apparait de plus en plus pour une machine à produire de la stigmatisation, lorsque les équipes de football d'amateurs issus du groupe des copains de l'usine (les verts de Saint-Étienne, Sochaux issue de la "Peuge" par exemple) disparaissent au profit d'équipes commerciales de professionnels internationaux, lorsque la concurrence s'installe au sein des groupes de travail "dans l'usine chacun tirait la couverture à soi" "y en a qui se fichaient que le travail se fasse"...s'attacher, surtout lorsqu'on ne votait plus, par rejet des représentants, à une identité nationale largement imaginaire procure, outre le sentiment d'appartenir à une communauté, un ressaut de "l'honneur" du rang social qui se complait dans des sentiments de vengeance contre ceux qui sont "installés", surtout s'ils sont installés dans une modernité, devenue synonyme de désordre, dans laquelle on ne se reconnait pas.
S'en prendre à l'État social c'est aussi précarise une grande parie de la population qui n'avait comme seul atout que les titres scolaires et les concours.
De très nombreux détenteurs de titres scolaires se voient réduit aux "petits boulots", aux missions courtes, aux contrats à durée limitée à l'intérim, quand ce n'est au chômage.
C'est dire que, si ceux qui se perçoivent comme disqualifiés se retirent de l'univers des prises de position politiques alors que ceux qui se sont résignés subissent.
C'est dire aussi que d'autres - des démoralisés et des démobilisés - sont prêts, à des titres différents, (les uns sont disponibles pour suivre ceux qui leur apparaissent comme susceptibles de renverser la situation alors que les autres sont sensibles aux arguments antisyndicaux), à suivre les propositions du Front National.
Défaire les systèmes sociaux c'est aussi défaire une relative sécurité d'existence qui peut entrainer un renforcement de la volonté de défendre des biens difficilement acquis contre les risques indirects (peur du vol) d'une société de précarité ; que ce soient les propriétaires à crédit de leur pavillon en zone péri urbaine ou la petite bourgeoisie qui craint pour son destin collectif et personnel.
On sait que le nombre de propriétaires de pavillons dans le lotissements villageois ayant des difficultés de remboursement de leur crédit a augmenté sensiblement ces dernières années.
La crainte de l'insécurité s'en mêle pour peu qu'il y ait dans l'espace local, quelques délits ou cambriolages rapportés par la presse ou que des logements sociaux occupés par des familles nombreuses d'origine étrangères - ayant des manières d'autant plus étranges qu'elles sont inconnues - soient dans le voisinage.
Là encore le déplacement vers les jeunes issus de familles immigrées fonctionne aisément.
L'acceptation d'images négatives des classes les plus démunies ("les jeunes de la cité ne respectent rien", "une cité c'est une cité", ils sont livrés a eux-mêmes et en sont pas éduqués par leur famille"...) croît d'ailleurs corrélativement au retrait de l'État social : ce qui n'est pas sans conséquences puisque certains ne veulent pas que leurs enfants fréquentent "les voyous de la cité" et, dès que cela leur est possible, les retirent des établissements publics du quartier pour les inscrire dans des établissements privés.
Il est possible que, chez les plus démunis culturellement, l'opposition aux étrangers, qui, par leurs pratiques différentes, risquent de briser l'unité (pourtant bien factice) d'une communauté imaginaire, soit d'autant plus fortement affichée, comme Abdelmalek Sayad l'a bien montré, que de multiples comparaisons avec des étrangers proches sont parfois défavorables aux autochtones (enfants qui réussissent à l'école, liens familiaux plus étroits, etc.).
Cette défaisance de l'État social voulue par les classes dominantes peut conduire ceux qui en pâtissent à rêver d'une société reconstituant une communauté mythique et ceux qui craignent d'en pâtir à être séduits par l'idée d'un État fort, autoritaire même.
*pour la première défaisance lire : https://blogs.mediapart.fr/vivre-est-un-village/blog/160724/se-battre-contre-le-fascisme-francisque-avec-christian-de-montlibert-2
Ce livre reprend les textes politiques que l’auteur a pu diffuser depuis une trentaine d’années, alors que vient de se développer une mobilisation collective de grande ampleur contre la prolongation à 64 ans de l’âge légal de départ en retraite.
De fait dans l’augmentation de la durée de la vie professionnelle se formule crûment la volonté des classes possédant le capital de maintenir leurs profits. La diminution du nombre d’enfants et, plus encore, la prolongation de la durée des périodes de formation de la jeunesse diminuent automatiquement la masse des travailleurs disponibles donc la possibilité du profit.
L’appel à une population immigrée, comme l’auraient souhaité des politiques néolibérales favorables à la libre circulation des salariés, aurait pu être une solution, si elle n’avait été écartée par des politiques néoconservatrices.
Restait alors, pour au moins maintenir le volume de la population, à prolonger la durée de la vie professionnelle, ce que vise le projet de loi sur les retraites au bénéfice des classes dominantes.
Cette dimension des rapports conflictuels entre les classes sociales structure l’ensemble de cet ouvrage.
https://editions-croquant.org/hors-collection/1001-trois-decennies-de-prises-de-position.html