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Billet de blog 9 avril 2022

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Vaincre l'intégrisme - réponse à "Lettre d'un Hussard de la République"

Alors que les opinions d'extrême droite représentent désormais environ l'opinion d'1 Français sur 3, et que la progression de l'intégrisme représente l'un des principaux facteurs d'inquiétude collective, cet article répond au livre du professeur de philosophie Didier Lemaire, "Lettre d'un Hussard de la République" qui recherche des pistes équilibrées d'endiguement à la progression de l'islamisme.

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J'ai lu ce week-end le livre de Didier Lemaire, Lettre d'un hussard de la République, ancien professeur de philosophie à Trappes, aujourd'hui placé sous protection policière pour avoir témoigné et dénoncé le progrès de l'islamisme dans la ville dans laquelle il a oeuvré pendant près de 20 ans.

Loin d'être un pamphlet d'extrême droite, ce livre est avant tout une restitution factuelle, un témoignage vivant, et une tentative d'analyse personnelle qui lance une discussion plutôt qu'il ne la clôture.

C'est donc prendre la balle au bond que de faire une réponse à Didier Lemaire, en prenant tout d'abord le soin de souligner son courage et son flegme, qui forcent l'admiration.

Quand certains ont voulu nier la réalité de ce qu'il décrit, qui correspond à une trajectoire réelle de notre société, je commencerais par dire que je me fie évidemment au témoignage d'un homme qui a été confronté de près à l'un des plus grands terreaux européens de l'islamisme politique et qui a été poussé à l'engagement politique par la confrontation à la réalité.

La progression de l'islamisme est un fait, et ce courant idéologique bénéficie d'une dynamique et d'un essor largement commenté à travers le monde et largement illustré par des faits d'actualité à l'échelle internationale (à commencer par la reprise de pouvoir des talibans en Afghanistan).

Le degré et l'imminence de la menace de « guerre civile » qu'il décrit, de basculement dans un climat de guérilla est une position qui lui appartient, mais qui correspond bien à la réalité tangente décrite dans certains quartiers.

Ne discutons donc point du constat, mais posons nous maintenant la question des meilleurs moyens d'ôter les forces sur lesquels l'islamisme s'appuie pour assurer son développement historique.

  1. Couper l'herbe sous le pied à l'élan anti-impérialiste & anti-colonial de l'islamisme

Gilles Kepel le rappelle fréquemment, le djihad international est né en Afghanistan, un pays envahi et martyrisé par l'Armée Rouge dans les années 80. Il s'est donc construit historiquement sur un discours anti-impérialiste et anti-colonial qui correspond à une ressource de mobilisation dans lesquels des pays comme l'Iran, l'Afghanistan, l'Irak, l'Algérie, les pays du Maghreb et du Makrech ont du aller puiser pour aller renverser l'asymétrie des rapports de force dans lesquels ils étaient pris face à des puissances impériales qu'elles soient occidentales ou soviétiques.

L'islamisme a pu trouver une dynamique historique en rencontrant une soif d'idéal de justice sociale et d'émancipation, justement parce que les pays majoritairement musulmans étaient soumis à une domination militaire, sociale et économique des élites occidentales.

Aussi longtemps, donc, que l'impérialisme et la colonisation sous toutes ses formes continueront à opérer à travers le monde, cela contribuera à nourrir non seulement à nourrir le narratif islamiste, mais également le narratif totalitaire chinois qui pour le moment s'appuie sur la haine de l'Occident pour gagner en influence dans toutes les anciennes colonies occidentales.

C'est donc bien une désolidarisation complète vis-à-vis de la politique de colonisation israélienne, que des guerres impérialistes occidentales (en Lybie, en Irak, en Afghanisan) et la dénonciation des crimes commis contre les Ouigours (peuple musulman majoritairement sunnite) et en assumant ce changement de cap de façon claire et récurrente, qui coupera déjà l'islamisme de l'un de ses ressorts.

      2.  Retirer de l'eau au moulin du discours victimaire islamiste

Didier Lemaire explique clairement le ressort puissant du discours victimaire dont se nourrit l'islamisme politique des quartiers : les prédicateurs insistent sur le fait que la stigmatisation, l'exclusion sont le fruits d'une France qui ne veut pas de ses « enfants ».

Depuis l'affaire du hijab de Creil en 1989, en passant par l'interdiction de la burqa en 2010, les interdictions et les obsessions qui pèsent sur le port des signes ostentatoires sont instrumentalisées par les prédicateurs comme des signes de persécution religieuse.

Ainsi que le note Bruno Étienne en 2019, « à travers les conceptions multiples de la laïcité qui se dessinent, le signe d'appartenance communautaire et confessionnel devient la norme des signes identitaires pour une société qui n'a plus les mêmes marques qu'autrefois ». C'est à dire que les signes ostentatoires traduisent une quête de différenciation individuelle qui fait partie même du processus d'individuation et qu'une certaine vision de la laïcité cherche à bloquer, ce qui renforce le phénomène identitaire et victimaire : « l'institution m'empêche d'être moi-même. »

Ainsi que le rappelle encore Bruno Étienne, « toute expression identitaire n'est pas fanatique », et en ce sens, les anciens colonisés cherchent logiquement à renégocier leur rapport avec une politique d'assimilation qui vise à faire disparaître les différences culturelles et cultuelles et au nom de laquelle la République cherche à réappliquer sur son propre sol, une logique de domination qui nourrit le sentiment victimaire. C'est donc ce droit à la différence qui leur est ainsi refusée au nom de l'universel et qui rend la propagande victimaire efficace.

De la même façon, ainsi que le rappelle Pierre Conesa dans ses appels à désislamiser la question intégriste, la couverture médiatique des autres intégrismes évangélistes, messianiques ou « sectaires » est largement passée sous silence alors qu'elle pèse aussi lourd sur sa contradiction vis-à-vis des principes républicains. Cela donne de l'eau moulin au fait que les musulmans sont les « têtes de Turc ».

     3. Concurrencer à la racine l'idéal métaphysique intégriste

L'un des autres ressorts fondamentaux des intégrismes tient évidemment à leur capacité à proposer un système de sens pour une personnalité en cours d'édification, en recherche de repères moraux et existentiels.

Dans une société et une école républicaine qui peine désormais largement à inculquer et à exemplifier des principes philosophiques, et dont le système de valeurs libéral-consumériste dominant crée de l'anomie et de l'absurde en masse, le recours à une idéologie intégriste offre une solution d'édification de substitut, un « repli tactique » pour une jeunesse désorientée. Le parcours d'Abdel Malik est par exemple là pour en témoigner.

C'est un peu le sens de ce que dit Didier Lemaire lorsqu'il dit que la laïcité est inséparable de son contenu spirituel : c'est à dire la laïcité est inséparable de la quête de la liberté de conscience et de l'émancipation individuelle de toutes les tutelles.

C'est ainsi que cela ouvre plus globalement la question de l'enseignement du contenu spirituel de la laïcité à travers la philosophie : qu'est-ce qu'une croyance ? Quelles sont les grands systèmes de croyance? Qu'est-ce que l'intégrisme ? Qu'est-ce que la fanatisme ? Qu'est-ce qu'une persécution religieuse ? Qu'est-ce que la liberté de culte ? Qu'est-ce que la liberté de conscience ? Qu'est-ce que la neutralité de l'État ? Qu'est-ce que la tolérance ? Quelles sont les différentes conceptions de la laïcité ? Qu'est-ce qu'un athée et qu'est-ce qu'un laïc ? Qu'est ce que la spiritualité laïque ?

Une réponse philosophique de tous les professeurs de philosophie de France à la mise en question de la laïcité ne serait-elle pas une meilleure réponse que la politisation (sur un sujet déjà sur-politisé à tort et à travers) d'un professeur de philosophie? Mais les enseignants de philosophie disposent-ils du corpus philosophique et de l'appareil intellectuel pour mener cette réflexion de façon maïeutique avec leurs étudiants ?

Plus généralement, n'est-ce pas à toute l'école républicaine d'accepter d'enseigner une spiritualité laïque plutôt que des simples connaissances, c'est à dire retrouver une mission d'éducation au-delà de la mission d'instruction derrière laquelle l'école s'est souvent retranchée?

        4. Bâtir la fraternité républicaine comme remède de proximité à l'intégrisme

L'idéal frériste et de fraternité intégriste offre aussi un substitut au délitement du lien social républicain. C'est parce que la fraternité républicaine n'est que marginalement pensée, vécue sous une forme authentiquement spirituelle que le religere (le "faire lien") intégriste peut venir offrir là aussi une offre de lien social plus attractive que celle que propose la République.

Cela pose la question de la manière dont notre lien social et notre vivre-ensemble s'organise et se vit à l'échelle de rites et de moments de rendez-vous dans lesquels l'idéal citoyen horizontal s'exprime alors que nous sommes submergés de la parole verticale descendante de nos représentants politiques.

Le troisième terme de notre devise républicaine manque aujourd'hui clairement d'incarnations et de réitérations concrètes dans la vie du citoyen français.

        5. Une laïcité spirituelle et intégratrice placée en surplomb de tous les intégrismes

L'intégration n'est pas un effacement des traces culturelles et cultuelles des citoyens français issus de l'immigration. C'est la création d'un espace commun, d'un espace sécant entre l'identité française et républicaine, l'identité européenne, et les appartenances pluri-culturelles, mondialisées et traditionnelles des esprits en formation. La laïcité, est cet espace de rencontre, de dialogue, de conciliation que le génie français de l'esprit universel a su inventer à travers un corpus philosophique ingénieux.

Aujourd'hui, l'intégrisme laïc qui amalgame liberté d'expression et athéisme social rentre en collision avec les autres formes d'intégrismes qui se font jour dans la société. La laïcité, en devenant un intégrisme comme les autres, finit par reconnaître aux autres intégrismes de faire jeu égal avec elle.

La laïcité, au-lieu d'être cette « conscience placée au-dessus des autres consciences » pour leur garantir leur existence de conscience libre et individuelle, devient alors une conscience parmi d'autres consciences, jetée dans la mêlée et donc prise dans la violence intégriste.

La laïcité, en devenant dogmatique au lieu d'être ouverte et délibérative, devient ainsi une religion comme une autre, mais une religion sans croyants et sans élan vital de conviction profonde et dont la défaite est annoncée d'avance devant le retour en force du religieux au XXIème siècle.

La laïcité, lorsqu'elle est véhiculée par sa philosophie positive et non seulement par un système de règlements et d'interdits, est au contraire spirituelle et puissamment intégratrice ; elle rejoint alors son étymologie première venu du grec laos, le peuple, pour devenir le ferment de l'unité du peuple.

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