Les véritables tortures de conscience dans laquelle se trouve le peuple de gauche sur cette élection présidentielle laissera des traces et appellera une recomposition de l'offre politique au lendemain du second tour.
L'union populaire pouvait s'enorgueillir avec Jean-Luc Mélenchon de bénéficier et du "meilleur tribun" et du "meilleur programme", d'un "vote utile" massif, mais cela n'a pas suffit... cela n'a pas suffit mais il convient de ravaler ses regrets car... cela n'aurait pas suffit.
Cela n'aurait pas suffit à gagner sur un second tour parce que le socle politique et philosophique sur lequel s'appuie LFI et Jean-Luc Mélenchon reste considéré comme extrémiste par un nombre important de français qui auraient peiné à accorder un vote favorable au second tour.
Faisons ici les distinctions entre ce qui relève d'une "gauche radicale" et d'une "gauche extrême" pour bien comprendre dans quelles conditions ces réticences - exprimés y compris par tous ceux du "vote utile" - pourraient être levées pour assurer un projet de gouvernement.
Collectivisme versus individualisme
La gauche extrême est collectiviste en ce sens qu'elle considère de façon dogmatique que certaines formes d'organisation humaine (associations, coopératives, États, collectivités) sont par essences productrices d'intérêt général. La gauche extrême peine également à reconnaître des limites à l'extension du domaine de la puissance publique et nie que des formes d'initiative privée sur un mode entrepreneurial puissent concourir à l'intérêt général.
La gauche radicale est individualiste en ce sens qu'elle s'appuie sur un individualisme universel pour promouvoir la solidarité. Avec Jaurès, elle dit : « Proclamer la valeur suprême de l’individu humain, c’est refréner l’égoïsme envahissant des forts : ce n’est pas décréter l’égoïsme universel. » Elle reconnaît des limites claires à la puissance publique sous la forme de la complémentarité nécessaire avec les initiatives privées.
2. Mobilité sociale versus égalité réelle
La gauche extrême vise d'abord l'égalité réelle par les transferts sociaux monétaires plutôt que bâtir les potentialités intellectuelles, spirituelles et psychologiques pour tous les individus qui veulent sortir de leur condition, quitte alors à construire une société du « ventre mou » ou de la frustration perpétuelle que la droite nomme "égalitarisme" et dont l'Éducation Nationale est devenue l'exemple vivant.
La gauche radicale vise plutôt par l'éducation émancipatrice, la proportionnalité stricte des contributions, à assurer un potentiel de mobilité sociale ascendant et descendant pour tous qui vise à diriger ces efforts vers les causes des inégalités, c'est à dire les inégalités éducatives. Cela signifie qu'elle ne vise pas à viser une égalité réelle mais à réduire les inégalités "à la racine", c'est à dire plutôt dans les causes que dans les conséquences. Elle vise ainsi à promouvoir l'égalité dans la liberté.
3. Fraternité fermée versus fraternité ouverte
La gauche extrême fait de la fraternité de classe une fraternité refermée sur une "section du peuple" concurrente de la fraternité universelle. Elle fait des « camarades » un premier cercle de fraternité, par-delà des citoyens.
La gauche radicale ne fait pas de différence dans la compassion et dans la solidarité qu'elle exprime à la douleur, à l'offense, à l'humiliation, elle ne fait pas de la fraternité d'abord une fraternité de combat "contre", mais une fraternité "d'action pour" de compassion et de reconnaissance, indépendamment de la classe sociale, car « chaque homme est porteur d'un exemplaire de l'humaine condition » (Montaigne)
4. Nation versus supra-nationalité
La gauche extrême fait de la nation le socle de toute souveraineté sur le motif que les instances supra-nationales seraient toutes gangrenées par un ordre néo-libéral. Plutôt que d'accepter le jeu démocratique à l'intérieur de ces instances, elles préfèrent s'en écarter pour mener une existence nationale solitaire pour assurer la prétendue "preuve par l'exemple".
La gauche radicale fait de la supra-nationalité le destin du pouvoir politique parce qu'elle reconnaît que des enjeux (migrations, climats, régulation financière, justice sociale et fiscale) ne peuvent être traités à l'échelle européenne mais aussi parce qu'elle reconnaît que certains principes (jugement des crimes contre l'humanité, des crimes contre l'environnement) sont universels et doivent être placés au-delà du vouloir des nations et des errances possibles de la volonté populaire.
5. Sacralité des hommes versus sacralité des principes
L'extrême gauche accepte de sacraliser les hommes au risque du culte de la personnalité, qu'il s'agisse de Robespierre ou du Che Guevara.
La gauche radicale ne reconnaît de sacrés que les principes et les œuvres. Elle refuse le moindre culte de la personnalité. Elle prend son inspiration dans les déclarations d'Edward Snowden qui continuât en dépit de tout à se déclarer "simple citoyen". Elle s'inscrit dans la filiation de Nelson Mandela et du Mahatma Gandhi, de Victor Hugo, qui ont toujours ut l'esprit de citoyenneté des français. placé le principe de non-violence au-dessus de toutes les maximes d'action.
6. Subjectivisme versus neutralité axiologique
L'extrême gauche mène ses combats sociaux au nom de la race, du sexe, de la classe, de la religion et accepte ainsi de reconnaître des "sections du peuple", c'est à dire qu'elle se place comme une subjectivité parmi les subjectivités sans pouvoir à un seul moment prendre la hauteur de l'arbitre.
La gauche radicale ne reconnaît ni la race, ni le sexe, ni la classe, ni la religion. Elle ne connaît que la neutralité axiologique et la recherche d'impartialité qui vise à faire de chaque citoyen, un sujet de droit égal aux autres sujets, une conscience libre et auto-déterminée, et une humanité irréductible à l'un de ses attributs.
Conclusion
L'extrême gauche est populiste, nationaliste, collectiviste, sélective, particulariste et accepte de placer sa sacralité dans les hommes. C'est toutes ces raisons qui expliquent qu'elle ait pu engendrer les totalitarismes communistes du XXème siècle. Le mélenchonisme est encore perçu comme appartenant à cette filiation.
La gauche radicale, elle, est individualiste, avec un horizon supra-national, une fraternité citoyenne au principe de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, et une éthique de l'universel : la sacralité étant mise toujours dans les principes et jamais dans les hommes, elle refuse également de reconnaître des "sections du peuple". C'est elle qui est aux sources de la IIème et de la IIIème République et du meilleur de ce que nous sommes.
Ces différences philosophiques profondes entre la gauche radicale et la gauche extrême sont-elles de simples différences de sensibilité qui pourraient s'exprimer et trouver un compromis à l'intérieur de l'union populaire ou alors s'agit-il de différences ontologiques qui impliqueraient que la gauche radicale s'autonomise dans la recomposition de notre l'offre politique à gauche?
La ligne étant tracée aux extrême, il lui resterait alors à regarder vers le centre...