Et effectivement, la logique nous pousse à constater deux choses. Premièrement, c’est vrai. Statistiquement, par rapport à la population française, ces instances dirigeantes ne sont pas représentatives en termes d’ethnicité, de genre, ou de religion, par exemple. Deuxièmement, dans nombre de cas, c’est justifié, et l’apport de nouvelles origines permettrait un renouvellement des institutions concernées. Il s’agit néanmoins là, pour moi, principalement du domaine de la création, en conséquence je ne saurais dire si ce renouvellement est une bonne ou une mauvaise chose, mais en tous cas il n’est que partiel aujourd’hui.
Je ne vais donc naturellement pas vous parler de ces cas. Non, je vais me concentrer sur les instances économico-politiques (et en réalité la connivence est telle entre ces deux mondes aujourd’hui que je ne sais pas pourquoi j’ose cet adjectif, j’aurais simplement pu dire économique). Tout le monde (bon, beaucoup de gens en fait, soyons précis) semble affirmer que l’homogénéité (difficile à nier) ethnique, de genre ou religieuse de nos élites pose problème. Peut-être, en tous cas la chose qui est certaine, c’est que ce constat semble incompatible avec une approche réellement démocratique des choses (la démocratie suppose la représentation, CQFD) pour une acceptation donnée du terme démocratie.
Mais (toujours un mais), le problème majeur posé aujourd’hui par nos élites ne réside pas nécessairement uniquement, voire prioritairement dans leur homogénéité. Non, le problème en est que leurs décisions semblent déconnectée des intérêts, enjeux et vie en général d’une partie du pays (je ne reviendrais pas sur les causes, manifestations et conséquence de cette déconnection, lesquelles ont déjà été identifiées, analysées et étudiées bien plus brillamment que je ne saurais le faire). En bref, et en gros, nos élites font système, et ce système tourne en vase clos.
Si l’on croit (et c’est mon cas, pour ne rien vous cacher) que c’est là que réside la problématique principale, alors, plus encore (beaucoup plus, en fait) que les caractéristiques ethniques, de religion ou de genre des élites, importe leur origine sociale, leur formation, leur construction. Ou, en d’autres termes, dans cette analyse, le déterminant majeur est social. En conséquence, combattre l’homogénéité des élites politico-économiques sans combattre leur homogénéité d’origine sociale et surtout de formatage (mêmes écoles, mêmes cursus, mêmes cercles, voire mêmes origines géographiques) ne pourra en aucun cas permettre d’inverser, d’empêcher ni même de ralentir leur croissante déconnexion avec le reste du pays.
C’est déjà un chouïa déprimant, mais on peut en réalité aller plus loin encore. En effet, je suis loin d’être le premier à pointer du doigt cette déconnexion, ce fossé croissant entre deux pays. Celui qui décide, dirige, innove, est à la pointe. Et l’autre. Celui qui applique, suit, répète, forme la masse. J’ai (à dessein, naturellement), évité de parler de travail, labeur ou lutte dans cette dichotomie, elle s’applique à mon sens aux deux entités, un cadre dirigeant travaillant autant qu’un ouvrier, luttant, à sa manière, autant qu’un chômeur, et évidemment vice-versa. Donc, est-on en train de se diriger vers une énième répétition du ‘Separate but equals’ tel que théorisé par nos amis d’outre-Atlantique au moment des lois Jim Crow ?
Evidemment oui. Oui, dans le sens où séparés, mais égaux signifie de fait inégaux. Et, en vue de masquer, ou plutôt de donner l’illusion qu’on s’oppose à cette scission du pays, qui n’est même plus en devenir tant elle semble être actée, des dispositifs émergent, visant à promouvoir, à extraire de leur milieu ou quartier des individus. Comprenons-nous bien, je ne suis pas en train de dire qu’une association qui envoie des personnes de milieux défavorisés à Polytechnique est mauvaise, si elle permet à ces personnes d’être plus heureuses. Ce que je dis, c’est qu’en sortant ces individus (une infime minorité) de leur milieu, en les intégrant, parfois difficilement, dans des milieux ‘autres’, alors est créée l’illusion d’une diversité croissante dans un système qui n’a jamais été aussi scindé en deux, et on s’assure que l’ersatz de diversité ainsi créé ne viendra certes pas perturber l’ordre établi. En même temps. Nous créons aujourd’hui, en idolâtrant le premier de cordée, une caste de janissaires de classe au sein de la société.
Que faire, donc, si ce n’est boire pour oublier ? Et bien au moins répéter, répéter, répéter encore et ad nauseam que sélectionner vingt pourcents d’universités d’excellence pour mieux les financer, ça n’est quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent qu’une façon d’économiser au global en finançant moins les autres quatre-vingts pourcents. Et qu’il en va de même dans tous les secteurs de l’action sociale. Que sélectionner un futur dirigeant (d’entreprise, de ministère ou autre) parmi cent autres d’une même population qui y est traditionnellement peu représentée reste avant tout aux yeux de ses pairs, passés comme futurs, une façon à la fois de se justifier vis-à-vis des quatre-vingt-dix-neuf autres. Pas seulement d’ailleurs, pour légitime et bénéfique pour lui que puisse être son ascension. C’est aussi une façon de s’assurer de sa loyauté, de s’assurer, par le sérail d’où on l’a fait entrer, par l’éducation qu’il a pu recevoir (une illustration parfait en étant donnée par les programmes de type ‘young leaders’ sponsorisé par un certain nombre de fondations privées, souvent d’origine américaine). Le dire, et le démontrer d’ailleurs.