Sociologues, mathématiciens, philosophes, économistes, jusqu’à donner lieu même à des intitulés plus ésotériques encore, économètres, congniciens, j’en passe et des meilleurs. Or, la réponse apparait pourtant d’une simplicité biblique. On ne peut pas. Si on prend une somme d’information, qu’on la condense en une information, alors on perd de l’information. Plus concrètement, j’ai écrit trois fois information dans la phrase précédente, si je ne l’écris qu’une fois, alors je perds en précision. Point.
Donc, en toute logique, construire un indicateur, c’est avant tout sélectionner. Sélectionner intelligemment, efficacement, mais sélectionner quand même. Donc, et tout autant que la situation que je cherche à résumer, mon indicateur va indiquer au vaste monde (qui généralement n’en a que faire, mais ça n’est pas la question) comment je fonctionne, quelles informations je juge pertinentes, quelles autres je laisse de côté. Mais je ne suis pas ici aujourd’hui (métaphoriquement évidemment) pour faire le procès des indicateurs, ni conseiller d’en jeter l’intégralité aux oubliettes (cela dit, pour certains, on peut, et leurs inventeurs avec, et la clé). Non, ce que je cherche à démontrer ici, c’est que les indicateurs ne constituent pas toujours la clé la plus idoine pour comprendre les tenants et les aboutissants d’une situation.
Commençons par un exemple simple, le salaire minimum, ou plutôt le salaire moyen d’ailleurs, peu importe. Il est en France aux alentours de 1500-2000€ mensuels. Il est en revanche en Bulgarie autour de quelques centaines d’euros, mettons 500. Une analyse de surface me conduirait donc à penser que le bulgare moyen vit 3 à 4 fois moins bien que le français moyen. Or, pour inégaux que soient les niveaux de vie dans ces pays respectifs, ce type d’écart parait surdimensionné. Mon indicateur n’étant pas pertinent au regard de mon objet d’étude.
Il est venu donc maintenant le temps d’enfreindre la règle de base que je m’étais fixé, à savoir ne jamais parler de sujets touchant à mon job. Lequel est largement articulé autour de l’énergie. L’industrie énergétique et les indicateurs, sujets ô combien intéressant pour … principalement moi, mon collègue Benjamin et mon camarade de promo Michel. Mais qui vaut quand même la peine de prendre la plume. Comment donc ‘indiquer’ l’énergie, sujet technique s’il en est, avec des instruments par nature imprécis et biaisé (les indicateurs). Avant de dire comment on pourrait le faire, intéressons-nous à comment on le fait aujourd’hui.
Et bien les indicateurs sont de deux types (principaux), ceux centrés autour du prix de l’énergie, et ceux centrés autour de la quantité d’énergie. L’objectif étant généralement de comparer les types de production d’énergie (on pourrait évidemment ergoter sur telle ou telle façon de mesurer, mais globalement, on rentre dans ces catégories). Comme ceux qui ont lu mon billet sur les coûts l’on constater, je ne suis pas un fana de la mesure par l’argent des choses, surtout celles qui revêtent un aspect aussi stratégique et régalien que l’énergie.
Mais commençons néanmoins par là. Mesurer quelque chose par son coût, ou son prix, c’est mesurer la valeur accordée à cette chose par les différents acteurs. Or ces acteurs ne sont par définition ni omniscients, ni omnipotents (Dieu est rarement consulté pour la construction d’indicateurs sur le secteur de l’énergie, car il n’existe pas, et même s’il existait, il se tiendrait à l’écart de ces débats, car il est malin. Voilà). En conséquence, une mesure par le prix mesurera une valeur à l’aune des priorités des acteurs consultés. Donc principalement le marché. En conséquence, ces indicateurs nous indiqueront principalement comment le marché hiérarchise les types de modes de production d’énergie, et toutes les externalités qui ne sont pas aujourd’hui intégrées dans le marché (pollutions, infrastructures de réseau, impacts sociaux et géopolitiques de long terme) seront tout simplement absentes de cette analyse. En d’autre terme, et on en revient à une analyse précédemment développée, compte-tenu de la structure actuelle du système libéral-capitaliste, mesurer quelque chose par le marché, c’est faire abstraction de ses dimensions stratégiques. Lesquelles sont naturellement essentielles dans le cadre du marché de l’énergie. Ou, plus simplement encore, on compare ici des choux (la valeur stratégique des modes de production énergétiques) et des carottes (leur valeur économique de marché).
Bon, une fois qu’on a donc écarté les mesures liées au prix, on se retrouve sur les mesures liées à la quantité. Ce qui peut sembler de prime abord plus pertinent (pour une raison simple d’ailleurs, ça l’est). On compare des choux avec des choux. Mais (car il y a un mais), ce faisant, on suppose que tous les choux sont comparables (comme on supposait implicitement dans le premier paragraphe qu’un euro de Sofia valait un euro de Paris). Ce postulat mérite d’être réinterrogé, il le mérite même amplement. Si l’on s’amuse, par exemple à parler de quantité maximale de puissance pouvant être générée, on se heurte au fait que certains peuvent toujours fonctionner à leur capacité maximale (les barrages, par exemple) et d’autres ne le peuvent pas (les éoliennes, par exemple). Donc un chou de gaz nous donnera 0,9 soupe aux choux, si nécessaire, alors qu’un chou d’éolien ne nous en donnera que 0,3. Simple, donc, me direz-vous, appliquons une simple multiplication, 3 chou d’éolien valent un chou de gaz, et basta. Et non, car ce qu’on cherche, ce n’est pas seulement qu’on produise, mais qu’on produise au bon moment. Or aucun moyen de garantir que certaines productions seront disponibles au moment souhaité, voire une garantie qu’elles ne seront pas disponibles (le solaire peut difficilement lutter contre les pics de froid nocturnes). Nous voilà donc fort marris, pas d’indicateur idoine pour comparer nos sources d’énergie, si ce n’est le dollar…
Et si, plutôt qu’une multiplication, on partait sur une division. Par exemple la quantité totale d’énergie générée par la centrale sur une période donnée, divisée par la quantité d’énergie qu’il a fallu pour la bâtir, et l’alimenter (extraction du pétrole ou du gaz par exemple). Ce faisant, on compare des choux d’éolien avec des choux d’éolien et des choux de gaz avec des choux de gaz. Et on obtient une mesure ô combien pertinente pour une société qui considère que l’énergie est une valeur en soi et qu’elle n’a pas à être mesurée par rapport aux aspects économiques (société relativement utopiste, mais j’assume). Evidemment, il ne s’agit là que des grandes lignes de cet indicateur, il convient de le raffiner pour intégrer les aspects liés au carbone (par exemple une pondération de l’énergie produite au regard du CO2 émis), à l’intermittence (intégrer le coût d’un stockage batterie pour les moyens de production le nécessitant), voire, au vu de l’urgence climatique, une valorisation de la rapidité de déploiement (une sorte d’inflation énergétique, spécifiant qu’un ‘’chou’’ dans 20 ans vaut moins qu’un ‘’chou’’ demain).
Evidemment, je n’ai ici rien inventé, l’indicateur existe (même si on ne le voit que trop peu), dans sa forme simple, principalement. Pour vous donner une idée, le taux de retour énergétique est de 2-5 pour les renouvelables (elles généreront dans les 20-30 ans de leur vie environ le triple de l’énergie qu’il a fallu pour les produire), de 30-50 pour les combustibles fossiles, et un peu plus de 70 pour le nucléaire. Une mesure pertinente dans un monde qui l’est moins.