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Billet de blog 6 mars 2020

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La Faillite du Travail

Notre société n’aurait plus le goût de l’effort, plus la volonté de travailler. Elle ne saurait plus se retrousser les manches, ni mettre du cœur à l’ouvrage. En un mot comme en cent, plus personne ne bosse, ni ne veut bosser.

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Et ce constat, pour amer qu’il soit, justifie aujourd‘hui certains des pires excès de notre monde libéral-capitaliste. Que voulez-vous, il faut remettre le peuple au travail, regarder par-dessus l’épaule des flemmards, fainéants et autres gaulois refractaires, pour … Oui, pour quoi en fait ? Pourquoi au juste ? Que l’on se comprenne bien, cette interrogation rhétorique n’a pas pour but de faire l’éloge de la paresse (d’autres l’ont fait, et avec autrement plus de talent) ou la fortune des fabricants de canapés (ceux qui les dirigent, naturellement, ceux qui les font n’ont, eux, que la juste rétribution d’un travail accompli avec zèle et minutie). Car cela va sans dire, mais il est bon de le rappeler, travailler devrait rester un verbe transitif. On travaille à quelque chose, on travaille pour quelque chose. Donc, poser la nécessité du travail, c’est d’abord et avant tout une façon d’évacuer par la petite porte la question de son sens. Laquelle question devrait, au contraire, occuper le devant de la scène. Coulons dans le béton (avec une dédicace aux ouvriers du BTP) l’injonction, le mantra libéral-capitaliste du ‘Travaillez et vous serez heureux’ pour interroger un peu plus cette facette.

Un constat, tout d’abord, ou plutôt quelques constats. De toute l’histoire de notre monde occidental, le chômage, ou l’inactivité forcée n’a jamais été structurellement aussi élevé qu’aujourd’hui. Parallèlement (ou plutôt causalement), la productivité des individus n’a jamais été aussi haute. Troisième constat, le travail n’a jamais été aussi découpé, aussi fractionné, quel que soit, où presque le secteur d’activité. Dernier lemme enfin, l’ensemble de ces tendances est en accroissement structurel. La productivité augmente, la division du travail croît, le chômage fluctue, mais ne décroit pas, sauf à déréguler fortement le marché du travail. Donc nous, en tant que société, n’avons jamais travaillé aussi peu, aussi efficacement, et pour aboutir à des choses qui nous étaient aussi peu visibles. Pour un câble de chargement de téléphone, celui-ci va être conçu par quelqu’un qui ne le fabriquera pas et ne le vendra pas, avant d’être promu par quelqu’un qui ne l’a pas conçu, puis fabriqué par des personnes qui ne l’utiliseront pas et acheminé par des travailleurs qui ne le verront même pas, et tout ça dans un laps de temps qui n’aurait même pas suffit, quelques décennies auparavant, à en faire les plans.

Pour complexifier encore cette équation, on constate également que l’accroissement de la demande (dictant la production) est faible comparé à l’accroissement de la productivité, lequel accroissement de la productivité est considérablement plus significatif que l’augmentation de la main d’œuvre. Ou, en d’autres termes, on demande un peu plus, on pourrait, à main d’œuvre égale, produire beaucoup plus, et la main d’œuvre augmente. On m’argumentera que cette équation, simpliste, réduit tout travail à sa dimension productive, et ne tient donc pas compte de l’aspect ‘irréductible’ de certains travaux (soins, par exemple). C’est évidemment faux, ces travaux, pour apparemment décorrélés qu’ils soient des aspects productifs, n’en restent pas moins concernés par la hausse tendancielle de la productivité.

Pour résoudre cette équation, apparemment insoluble, deux parades ont été perfectionnées par le système libéral-capitaliste (je ne reviendrai pas ici sur l’obsolescence programmée, ou les biais techniques visant à accroître artificiellement la demande, qui constituent également une stratégie libérale-capitaliste d’évitement vis-à-vis de l’équation main d’œuvre = demande/productivité). La honte de l’inactivité et l’accroissement systémique de la superstructure. Sur la première, peu de choses à dire, si ce n’est : plutôt que de traiter le problème de l’inactivité subie, appelons-le inactivité choisie. La beauté de cette reformulation est qu’elle permet de transformer un défaut systémique en problème individuel. Le chômage n’est plus de la responsabilité (et donc du ressort) du système libéral-capitaliste, mais de celui de l’individu, du groupe, du collectif qui le tolère. La seconde stratégie est plus simple encore. Puisque le travail productif, consommateur de ressources, est dicté par une demande s’accroissant tendanciellement trop faiblement, alors on a vu émerger une catégorie de travail non directement productif, ou, plus prosaïquement, d’activité inutile. Les coûts et souffrance qu’occasionne ce ‘travail creux’ passant au second plan derrière la nécessité d’entretenir la fiction d’une société unie derrière la ‘valeur travail’.

Quel système, donc, pour remplacer cette idéologie néfaste. Comme les deux stratégies, définies quelques lignes au-dessus, les solutions, car elles existent, sont aussi au nombre de deux. L’effort collectif, visant à recréer un lien concret entre la société, nos sociétés, et le travail, défini donc plutôt comme un effort individuel. L’effort individuel, librement consenti, justement rémunéré et objectivement cohérent, s’inscrivant donc dans une vraie démarche sociale. En termes plus concrets, des projets structurants, dans le domaine de l’énergie (reconstruction d’une industrie énergétique), du transport (redéfinition des schémas ferroviaires et interurbains), de l’alimentation… Et puis, comme M. Jourdan, qui faisait de la prose sans le savoir, si vous faisiez du travail sans le savoir ? Ou, plus simplement, admettre la nécessité structurelle de l’absence d’activité, ou de l’activité non productive dans nos sociétés modernes, et la reconnaître comme une composante essentielle d’un marché du travail fonctionnel, permettre à ceux qui s’y trouvent, de façon choisie ou subie, en premier lieu de vivre correctement, et en second lieu, de choisir la destination de leurs efforts individuels.

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